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RÉFLEXIONS

SUR

LE POEME ÉROTIQUE UN chat, pendant une nuit d'orage, fe gliffe dans une voliere & emporte une tourterelle; voilà tout le fujet de ce poëme. Le fond de Ververd, le plus ingénieux badinage qu'aucune langue ait jamais produit, n'est peut-être pas plus riche; mais le fond le plus aride s'étend, fe féconde, s'embellit fous la main d'un peintre habile qui a le fecret des couleurs ; & malheureusement, l'aimable & pareffeux auteur de la Chartreufe, en renonçant à peindre, a jufqu'ici gardé fon fecret & fes pinceaux. La molle facilité, la mélancolie douce, ces graces que leur négligence ne rend que plus intéreffantes, fe font avec lui refugiées dans fa retraite ; & il ne nous a laiffé que de froids imitateurs à qui un remord de confcience fiéroit beaucoup mieux qu'à lui. Cependant, en rendant juftice à fes maîtres, il ne faut jamais perdre

l'espérance de marcher fur leurs traces. L'admiration exclufive eft le tribut de la foibleffe, & l'art a des reffources qui fe multiplient à mefure qu'elles femblent s'épuifer. La poéfie ett un champ vafte, où l'on moiffonne dans tous les tems; & qui veut battre la plaine, rencontre des réduits moins fréquentés, des efpeces de réferves où les fleurs font plus fraîches, plus abondantes & plus nouvelles. Le poëme érotique, par exemple, me paroît offrir des beautés, finon tout-à-fait neuves, du moins beaucoup plus rares dans notre langue. Nous avons eu, pendant quelque tems, la fureur de l'épopée de là font nés la Moyfiade, Childe brand, la Magdeleine, la Pucelle de Chapelain, & tous ces monftres épiques qui font rougir le goût & la raison. La légéreté de notre caractere, notre religion augufte, mais trifte, fur-tout l monotonie faftidieufe de notre rime, peuvent ne pas convenir à cette forte de production; & il falloit l'heureuse hardieffe de l'auteur de la Henriade, pour lutter contre tant d'obftacles, qu'il avoue lui-même n'avoir pas tous furmontés.

Malherbe & Rouffeau ont élevé l'ode à fon plus haut degré de perfection: la Motte, après

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A

eux, n'a réuffi qu'à être médiocre. Segrais mit, l'éclogue à la mode : les madrigaux champê, tres de M. de Fontenelle nous en ont dégoûtés. Madame Deshoulieres a réuffi dans l'idylle; & il n'eft plus poffible de chanter, après elle, les fleurs, les ruiffeaux & les moutons. Pour la fable, & le conte, la Fontaine ne laiffe prefque plus rien à faire. Boileau nous a enrichis de tous les tréfors de la poéfie didactique : heureux, s'il n'avoit pas eu le fuccès déshonorant de la fatyre! Regnier, Grécourt, Vergier, & quelques écri vains de nos jours, ont porté auffi loin qu'il pouvoit aller, le cinifme de la poéfie libertine. M. de Voltaire, ce compofé de tous les efprits, & fi l'on peut le dire, le fublimé de toutes les #imaginations qui l'ont précédé, a été & eft encore tout ce qu'il veut être. Enfin, nous avons des richeffes innombrables dans tous les genres, excepté la poéfie érotique ou voluptueufe; pour vingt Clinchftel, à peine pourrions-nous citer un l'Albane. Qu'on ne m'oppofe point la foule de nos chanfons & de nos poéfies légeres, brillantes effervefcences du génie françois, en général plus badines que délicates, plus ga3 lantes que tendres, & plus penfées que fenties.

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Chaulieu, fans doute, a connu la volupté; mais il ne l'a chantée que par faillies; il en eut toujours la chaleur, jamais le recueillement : fes ouvrages font des éclairs; & les émotions qu'il donne font fi promptes, que l'ame n'a pas le tems de les raffembler, & d'en former ce fentiment, ce tact intérieur & délicat, qui feul conftitue le plaifir. Cela n'empêche pas que Chaulieu ne foit un poëte charmant, plein de graces, de naturel, & quelquefois de philofo phie.

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Par la forte de poëme que j'examine ici, j'entends un ouvrage divifé par chants, dont l'intérêt feroit gradué & continu, où l'on trouveroit tour-à-tour de la gaîté fans emportement, de la mélancolie fans trifteffe; dont les couleurs feroient toujours fraiches & animées; où les paffions n'auroient qu'une flamme infinuante & douce, & qui reproduiroit à nos yeux toutes les teintes riantes du tableau de la nature. La caufe de notre difette à cet égard, vient certai nement du fond même de nos mœurs. Toujours diftraits, toujours emportés par des courans étrangers, nous ne fommes point affez maîtres de notre ame, pour y recevoir ces fenfations

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paifibles dont je viens de parler. Tout gliffe fur nous à force de voir, nous ne voyons rien: notre imagination eft trop occupée, pour que notre cœur le foit. Tous les objets fucceffifs, que notre tourbillon promene fous nos yeux, nous fommes prompts à les faifir, & fûrs de les bien peindre; mais le plaifir, qui n'eft guere parmi nous qu'un délire de convention peintures qui s'en rencontrent dans nos écrits, font, en général, factices, comme ce plaifir même: c'eft un verre terne, à travers lequel on cherche à entrevoir les rayons du jour : le tems i que nous confumons à être amufés eft autant de pris fur le tems que nous devrions employer à être heureux; & nous ne connoiffons pas l'expreffion du bonheur, parce que nous en avons - rarement la réalité.

Je crois que plus un peuple eft corrompu moins il doit être voluptueux : c'eft que la volupté vraie tient à la naïveté de l'innocence au calme d'un cœur que la vertu tranquillife, & au petit nombre des befoins. Les jouiffances trop multipliées font néceffairement trop rapides: & qu'eft-ce qu'un plaifir auquel ne furvit pas le charme de la réflexion, & qui meurt

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