Imágenes de página
PDF
ePub

LETTRE

DE JULI E.

AH,
H, je fuis libre enfin !... & ma main peut tracer
Cet entretien muet, que j'ofe t'adreffer..

Ovide, que fais-tu ?... quelle eft ta deftinée?...
Écris-moi...réponds-moi... Que dis-je ! infortunée !

Et quel eft mon espoir ? Peut-être, en ces momens,
Ton vaiffeau malheureux eft brifé par les vents.
Peut-être mon amant, fur un lointain rivage,
Défiguré, fanglant, eft jeté par l'orage.
Mais fi tu vois ces bords, ces climats détestés,
Effroyables déferts, par le Gete habités,
Dis, en lifant ces traits, dictés par l'amour même;
Dans l'univers encore il eft un cœur qui m'aime.

Quelle nuit ! quel départ! Timide en mes defirs,
Je n'ofois me livrer à nos derniers plaifirs;
Mais lorfqu'il te fallut...ah ! j'en frémis encore,
Devancer, pour me fuir, le retour de l'aurore,
Je crus qu'une furie, en cet inftant d'horreur,
Enfonçoit à la fois cent poignards dans mon cœur.
Mes yeux ne voyoient plus: la mourante Julie
N'avoit plus tes baifers, pour lui rendre la vie.

Quelle barbare main, après ce long effroi,
A ranimé des jours qui ne font rien fans toi?
Ciel ! que devins-je alors? Muette, confondue,
J'interroge des yeux une foule éperdue.
On foupire, on fe tait; & les vents orageux
Se font entendre feuls, dans ce filence affreux...
Le défefpoir enfin me donne fon courage.
J'échappe à mes bourreaux, & je vole au rivage;
Je le fais retentir de mes triftes fanglots:

Mes yeux baignés de pleurs, attachés fur les flots,
Et cherchant ton vaiffeau fur cet immenfe efpace,
Croyoient dans le lointain en découvrir la trace.
De ton fatal départ témoins inanimés,

Tes pas fembloient encor fur le fable imprimés; Et cent fois je voulus, dans ma douleur profonde, Tromper mes furveillans & m'élancer dans l'onde. "Puiffent les mers, difois.je, au gré de mes tranfports, "Me porter, cher amant, fur tes fauvages bords! " Puiffes-tu, parcourant cette rive effrayante,

رو

[ocr errors]

Y retrouver encor ta malheureuse amante;

Et plein de cet amour qui furvit au trépas,

Pour la derniere fois la ferrer dans tes bras!

A ce trifte délire on ofé me fouftraire;

On m'entraîne au palais, & j'y revois mon pere,
Ou plutôt mon tyran & mon perfécuteur,
De tes maux & des miens impitoyable auteur,

Qui dans mon défespoir semble trouver des charmes,
Et mettre de la gloire à méprifer mes larmes.
De quel droit ofe-t-il, forçant mes fentimens,
Comme fes vils Romains, maîtriser mes penchans?
Ah! qu'il regne, qu'il faffe ou la paix ou la guerre ;
Qu'il décide à fon gré des deftins de la terre.
Je ne voulois qu'un cœur, je régnois fur le tien;
Qu'il garde fon empire, & me laiffe le mien.
Dans Rome déformais, trifte esclave du trône,
On ne peut donc aimer, fans qu'un tyran Fordonne!
Pourquoi t'exile-t-on ? O dépit! ô fureurs !
Frémis, pere cruel, frémis de mes douleurs.
Ne viens pas d'un amant accufer la naissance:
Elle ne m'offre rien dont ma fierté s'offenfe;
Et périffe le jour, marqué par tant de maux,
Où des concitoyens ont ceffé d'être égaux!
Mais dans un rang obscur le ciel l'eût-il fait naître,
Ses talens le plaçoient à côté de fon maître.
Ils en ont fait un dieu, qui defcend jufqu'à moi.
Il fait aimer enfin; il eft bien plus que toi.

Cher amant, c'eft ainfi que la tendre Julie
Laiffe éclater les feux qui l'ont enorgueillie.
Rome, tout l'univers, fans pouvoir m'alarmer,
Diront que tu m'aimas, & que j'ofai t'aimer.
Voudrois-je reffembler à ces femmes timides,
Qui, fous de vains attraits cachant des cœurs arides,

Ne connurent jamais ce délire enflammé,
Et cet oubli de tout, hors de l'objet aimé ?
Qu'on ne m'oppose point cette vaine apparence,
Ce menfonge éternel, que l'on nomma décence.
Le véritable orgueil eft de fuir le détour;
Et l'honneur d'une amante eft tout dans fon amour.
De mille courtifans la foule en vain s'empreffe
A demander ma main, à briguer ma teudreffe.
Va; la trifte Julie eft loin d'y consentir :
Je t'aime trop, hélas ! pour ne les point haïr.
Que font-ils près de toi ? D'ambitieux esclaves,
Qui viennent près du trône implorer les entraves;
Qui, flatteurs de mon pere, affiegent fes vieux ans,
Fatiguent la langueur de fes derniers momens,
Careffent fon orgueil, de fleurs fement fa trace,
Et dévorent l'instant de monter à fa place:
Méprifables Romains, Romains infortunés,
Affaffins aujourd'hui, demain affaffinés;

Et qui, dans leurs projets fans doute illégitimes,
Fondent fur cet hymen le fuccès de leurs crimes!
Ah, tu m'en vois frémir! le comble de mes maux
Seroit de te donner d'auffi lâches rivaux.

Que m'importent leurs droits, leur pouvoir que j'affronte,
Et leurs triftes honneurs qui les couvrent de honte?

Il me faut un amant fans titres, fans appui,

Qui m'aime pour moi-même, & que j'aime pour lui.

[ocr errors]

Non, tu ne conçois point l'excès de mon ivreffe;
Combien mon cœur brûlant eft fier de fa tendreffe!
Je voudrois, cher amant, pour te prouver ma foi,
Voir cent rois à mes pieds, les dédaigner pour toi,
Leur dire remportez vos fceptres, vos couronnes;
L'amour fuit les grandeurs & la pompe des trônes.
Le fort vous prodigua des titres faftueux;

Mais Ovide eft aimable... Ovide eft malheureux.
Loin de toi cependant la fidelle Julie
Compte tous les inftans qui compofent la vie.
Peins-toi mon défespoir dans cette horrible cour
Et l'abandon d'un cœur déchiré par l'amour.
Je cours, je vais, je viens, incertaine, égarée:
Rien ne peut confoler ton amante éplorée.
Le jour à peine luit, j'en fouhaite la fin.

Sans ordre, mes cheveux font épars fur mon sein.
Tout ornement me pefe; & dans mon infortune,
Je détefte Péclat d'une pompe importune.
Dans mon abattement je trouve des douceurs,
Et j'aime à voir mes yeux obfcurcis par les pleurs.
Quelle parure, hélas! m'eft encor néceffaire?
On m'a ravi l'amant à qui je voulois plaire.

Je cherche les forêts, ces réduits effrayans,

Faits pour cacher au jour les malheurs des amans, Là, de tes traits, de toi, profondément remplic, Dans un fombre plaifir je refte enfevelie.

« AnteriorContinuar »