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ORSQUE la prise de Harfleur fut connue, la consternation fut grande, et l'on murmura beaucoup de ce que le royaume était si mal défendu. On faisait cent

récits sur la prise de Harfleur. Il n'était question que de trahison et de gens gagnés. On taxait les

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'Le Religieux de Saint-Denis. Journal de Paris.

seigneurs de lâcheté, et chaque jour on parlait d'eux avec plus de mécontentement. En effet, les gens de guerre que les princes amenaient successivement au roi, qui pour lors était à Rouen avec son fils, paraissaient bien plus empressés à piller les Français qu'à combattre les Anglais.

L'occasion semblait pourtant favorable; l'armée du roi d'Angleterre était ravagée par les maladies; au lieu de s'avancer en Normandie, il avait été contraint de prendre le chemin de Calais; et, comme le connétable, qui était en Picardie, défendait les passages de la Somme, les Anglais avaient à faire une route longue et difficile, en remontant la rive gauche de la rivière. Ils manquaient de vivres. La saison était mauvaise; ils souffraient beaucoup. Leur présomption était fort abattue.

C'était bien le moment de venger le royaume. Presque tous les princes et les grands seigneurs étaient arrivés auprès du Dauphin. Le duc d'Orléans, nonobstant les ordres qu'il avait reçus, était venu en personne. Ses frères, les ducs de Berri, d'Alençon, de Bourbon, de Bar, les comtes de Richemont et de Vendóme', plus de quinze au

Le Religieux de Saint-Denis.

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tres grands barons du royaume avaient conduit leurs hommes d'armes. Mais comme les princes n'avaient point voulu que le duc de Bourgogne vînt partager avec eux une gloire qu'ils regardaient en ce moment comme assurée, les ordres du roi avaient été maintenus en ce qui le touchait : aussi n'avait-il pas envoyé les hommes d'armes de Bourgogne, de Savoie, de Lorraine avec lesquels il se tenait prêt à venir. Il avait même fait défense à ses vassaux de Picardie et d'Artois de marcher sans son commandement, encore qu'ils eussent reçu celui du roi; bien peu lui obéirent'. Quant à son fils, le comte de Charolais, il désirait de tout son cœur d'aller combattre les Anglais; mais son père avait chargé les sires de Roubais et de la Viefville, ses gouverneurs, de l'empêcher de se rendre à l'armée du roi. Ils le tenaient dans le château d'Aire, et lui cachaient les nouvelles de la guerre, le flattant toujours de partir, et lui disant qu'il n'était pas temps encore. Le comte de Nevers, frère du duc Jean, avait obéi au mandement du roi.

Les bourgeois de Paris offrirent six mille hommes bien armés, en demandant qu'on les

2 Monstrelet.

fit marcher en tête les jours de bataille; leur offre fut dédaignée. Le duc de Berri rappela inutilement la valeur qu'ils avaient montrée dans les derniers troubles, et leurs beaux faits de guerre; le maréchal Boucicault, le connétable et d'autres anciens chevaliers étaient bien du même avis; mais le duc de Bourbon, le duc d'Alençon et les jeunes seigneurs ne voulaient point des gens des communes, et disaient que ceux qui n'étaient point de leur avis avaient peur. « Qu'avons-nous << affaire de ces gens de boutique? disaient-ils; « nous sommes déjà trois fois plus nombreux que « > les Anglais. Les personnes sages blâmèrent beaucoup cette présomption, et remarquèrent que la noblesse oubliait les journées de Crécy, de Poitiers, de Nicopolis, dans lesquelles le salut ou l'honneur du royaume leur avait été si malheureusement confiés. On disait que dans les temps de gloire de la France, on avait reçu également sous les armes tous les hommes de cœur, quelle que fût leur condition'.

Le duc de Bretagne avait d'abord répondu qu'il ne viendrait pas, à moins que son cousin le duc de Bourgogne ne fût aussi mandé; mais le conseil

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du roi, et surtout l'évêque de Chartres, qui conduisait tout, lui firent faire de grandes offres, le roi lui abandonna la ville de Saint-Malo, lui promit cent mille francs, lui donna de magnifiques présens, et il consentit à se mettre en route avec six mille gens d'armes'.

Bien qu'il ne fût pas encore arrivé, non plus que beaucoup d'autres seigneurs, l'armée de France était devenue belle et nombreuse; elle avait passé la Somme, et fermait le chemin du retour au roi d'Angleterre, qui suivait toujours la gauche de la rivière, cherchant le moyen de la traverser, et perdant beaucoup de ses gens par la faim et les maladies. Enfin, grâce à la négligence de la garnison de Saint-Quentin, qui ne garda point le passage de Béthencourt, il réussit à entrer en Picardie.

Alors le connétable et les princes envoyèrent demander au roi l'ordre de livrer bataille. Un nombreux conseil fut réuni pour résoudre cette grande affaire. D'après tout ce qu'on savait, la victoire semblait si bien assurée, que sur trentecinq conseillers, trente furent d'avis qu'il fallait combattre. Le duc d'Aquitaine, et même le roi,

I Juvénal.

1OME IV. 5 EDIT.

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