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JOURNAL DE JEAN DE ROYE

CONNU SOUS LE NOM DE

CHRONIQUE SCANDALEUSE

1460-1483.

A l'onneur et louange de Dieu, nostre doulx saulveur et redempteur, et de la benoiste, glorieuse vierge et pucelle Marie, sa mere, sans le moyen desquelz nulles bonnes euvres ou operacions ne pevent estre conduictes; et pour ce aussy que plusieurs roys, princes, contes, barons, prelatz, nobles hommes, gens d'eglise et aultre populaire se sont souvent delictez et delictent à ouyr et escouter des hystoires merveilleuses et choses advenues en divers lieux, tant de ce royaulme que d'aultres royaulmes christiens, au trente cincquiesme an de mon aaige me delectay, en lieu de passe temps et d'eschever oysiveté, à escripre et faire memoire de plusieurs choses advenues au royaulme de France et aultres royaulmes voisins, ainsy qu'il m'en est peu souvenir, et mesmement depuis l'an mil quatre cens soixante que regnoit à roy de France Charles, septiesme de ce nom, jusques au trespas du roy Loys, unziesme de ce nom, filz du dit roy Charles, qui fut le penultime jour du mois d'aoust mil quatre

cens quatre vingtz et troys, combien que je ne vueil ne n'entens point les choses cy après escriptes estre appellées, dictes ou nommées Croniques, pour ce que à moy n'appartient, et que pour ce fayre n'ay pas esté ordonné et ne m'a esté permys, mais seulement pour donner aucun petit passe temps aux lisans, regardans ou escoutans icelles, en leur priant humblement excuser et supployer à mon ignorance et adresser ce qui y seroyt mal mis ou escript; car plusieurs desdictes choses et merveilles sont advenues en tant de diversitez et façons estranges que moult penible chose auroit esté à moy ou aultre de bien au vray et au long escripre la verité des choses advenues durant ledit temps1.

1. Interpolations et Variantes, § I. Il est manifeste que la rédaction de ce prologue est postérieure à la mort de Louis XI. Donc, il n'a jamais figuré en tête du ms. fr. 5602, actuellement dépouillé d'ailleurs de ses deux premiers feuillets. A-t-il été transcrit au commencement du ms. fr. 2889? On ne peut le savoir, car ce manuscrit, plus maltraité encore que son aîné, débute seulement avec l'entrée du roi Louis XI à Paris. Le texte reproduit ici est celui fourni par l'édition gothique. Hors un renseignement sur l'âge du chroniqueur, ce prologue ne contient rien d'original. Les idées qu'il exprime se retrouvent dans la plupart des préambules des mémoires ou chroniques de l'époque, depuis le Miroir historial de Vincent de Beauvais, dont la traduction française par Jean de Vignay (Bibl. nat., ms. fr. 50) fut imprimée pour Vérard en 1495, jusqu'à Olivier de la Marche. « Pour ce que oiseuse est chose nuisant et commancement et atrait de tous vices selon ce que sainct Jeroisme tesmoingne..., » écrit frère Vincent; et le chroniqueur bourguignon, qui rédigeait sa préface vers 1472 ou 1473 : « Ayant de present en souvenance ce que dit le saige Socrates que oysiveté est le delicieux lict et la couche où toutes vertus s'oublient et s'endorment... je doncques... ay emprins, etc. » Et, plus loin : « Et n'entens pas que ceste ma petite et mal acoustrée labeur se doibve appeler ou mettre ou nombre des cronicques. » Enfin, Olivier termine aussi par le vœu

Et premierement, touchant le fait et utilité de la terre durant ladicte année mil quatre cens soixante, au regart et en tant que touche le terrouer et finaige du royaulme de France, il y creust compettamment de blez, qui furent bons et de garde; et n'en fut point vendu, au plus chier temps de ladicte année, que vingt quatre solz parisis le septier, mais il n'y creust que bien peu de fruict. Et, au fait des vignes, il y eut bien peu de vin, et par especial en l'Isle de France, comme d'ung muy de vin pour chascun arpent, mais il fut bien bon; et se vendit chier le vin creu es bons terrouers d'entour Paris, comme de dix à unze escus chascun muy1.

En ce temps fut faite justice et grande execucion audit lieu de Paris de plusieurs povres et indigentes creatures, comme de larrons, sacrileges, pipeurs et crocheteurs. Et pour lesdis cas plusieurs en furent batus au cul de la charette, pour leurs jeunes aages et premier mefait, et les aultres, pour leur mauvaise

« que les lisans et oyans suppleront mes faultes, agreeront mon bon vouloir et prendront plaisir et delect de ouyr et savoir plusieurs nobles, belles et solempnelles choses advenues de mon temps et dont je parle par veoir, non pas par ouy dire » (éd. Beaune et d'Arbaumont (Soc. de l'hist. de France), t. I, p. 183-187).

1. Il en fut de même dans le Nord (Mémoires de Jacques du Clercq, éd. Reiffenberg. Bruxelles, 1823, 4 vol. in-8o, t. III, p. 27 et 92) et en Normandie. Les Rouennais adressèrent au Conseil du roi des représentations pour que l'exportation des blés fût interdite, considérant que, dès le mois d'août, il ne restait plus rien de la récolte précédente et que les céréales avaient été cette année rentrées dans de fâcheuses conditions. Il était à craindre aussi que vins, cidres et poirés ne fussent peu abondants, ce qui augmenterait la consommation de la bière et de la cervoise, boissons qui se fabriquaient avec du grain (Reg. des délibérations de l'hôtel de ville de Rouen, A3, fol. 181).

coutume et perseverence, furent penduz et estranglez au gibet de Paris, nommé Montigny, nouvelle[ment] créé et estably pour la grant vieillesse, ruyne et decadence du precedent et ancien gibet, nommé Montfaucon 1.

Audit temps fut fait mourir et enfoye toute vive, audit lieu de Paris, une femme nommé Perrette Mauger, pour occasion de ce que ladicte Perrette avoit fait et commis pluseurs larrecins, et en ce faisant par long temps continué, et aussy favourisé et recellé plusieurs larrons, qui aussy faisoient et commettoient plusieurs et divers larrecins audit lieu de Paris; lesquelz larrecins pour lesditz larrons vendoit et distribuoit, et l'argent que de ce elle recepvoit, en bailloit et delivroit ausditz larrons leur portion, et pour elle en retenoit son butin. Pour lesquelz cas et aultres par elle confessez fut condempnée par sentence donnée du prevost de Paris, nommé messire Robert d'Estouteville, chevalier2, à souffrir mort et estre enfouye toute vive devant le gibet, et tous ses biens acquis et

1. Le gibet neuf de Montigny, élevé vers 1457, n'était pas éloigné de celui de Montfaucon, lequel datait du x siècle et se dressait en dehors de l'enceinte de Paris, entre les portes Saint-Martin et du Temple (voir le plan de Paris, dit de la Tapisserie, et Lon. gnon, OEuvres de Villon. Paris, 1891, in-8°, p. xxí).

2. Robert d'Estoute ville fut armé chevalier par Charles VII en 1441, après la prise de Pontoise (Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. III, p. 192). Seigneur de Beynes, baron d'Ivry et de SaintAndré en la Marche, conseiller et chambellan du roi et garde de la prévôté de Paris, il succéda dans ce poste important à son beau-père Ambroise de Loré (1447). Robert d'Estouteville, destitué par Louis XI dès son avènement au trône, fut rétabli en 1465 et exerça l'office de prévôt de Paris jusqu'à sa mort, survenue au mois de juin 1479 (voir ci-après).

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