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Enfin, il a omis également certaines interpolations publiées par Godefroy et Lenglet-Dufresnoy dans leurs Preuves de Commynes. Sans compter que ces ouvrages ne sont pas dans les mains de tout le monde, ceux qui ont eu besoin de consulter le texte des interpolations de la Chronique savent qu'il faut perdre beaucoup de temps pour retrouver les passages de la Scandaleuse auxquels ces interpolations se rattachent. Il a semblé utile par conséquent, en réimprimant les passages originaux du manuscrit interpolė d'une manière plus complète, nous ne voulons pas dire plus correcte, que ne l'a fait Quicherat, de faciliter la tâche des lecteurs par l'adjonction au texte de la Chronique de références, qui leur permettront de retrouver aisément les interpolations correspondantes et feront mieux saisir les nuances que la différence des temps et des opinions a introduites entre les deux récits d'un même fait.

De l'origine de ces additions à la Scandaleuse, Quicherat a fait une si heureuse recherche qu'il a d'un seul coup épuisé le sujet. Il n'est pas douteux qu'un familier de la maison de Chabannes, s'appropriant le texte de la Chronique, s'est proposé, probablement sur l'ordre de Jean de Chabannes, comte de Dammartin, personnage assez peu scrupuleux, paraît-il1, de transformer ce récit en une chronique domes

l'édition des Mémoires de Commynes par Lenglet-Dufresnoy. Les pièces et lettres données par Lhermite de Soliers comme recueillies de diverses archives et « trésors » ont été simplement copiées dans le ms. 481 de Clairambault, ainsi que l'a indiqué Quicherat.

1. Sur certaine lettre fausse de sa belle-mère Jeanne, veuve de l'amiral de Bourbon, qu'il aurait fait fabriquer afin de discréditer cette fille de Louis XI auprès du roi Louis XII, voir la curieuse déposition publiée par M. Delisle dans Littérature latine et histoire du moyen âge, p. 106 et suiv. Paris, 1890, in-8°.

tique destinée à mettre en lumière les grandes actions et les notables aventures d'Antoine de Chabannes, comte de Dammartin. Cette transformation, le rédacteur de l'Interpolée l'accomplit en ajoutant au texte de la Scandaleuse, qu'il transcrivit presque sans modifications, des souvenirs personnels ou des documents empruntés aux archives de la maison qu'il servait.

Quicherat a démontré que le manuscrit interpolé a dû être composé entre l'année 1498, date du divorce de Louis XII, et la fin de 1502, époque à laquelle Jean Lebourg, de Valognes, en termina la copie. En relevant tous les passages où le rédacteur anonyme s'est mis en scène, le sagace érudit est parvenu aussi à prouver que ce rédacteur n'est autre qu'un ancien secrétaire de Louis XI, nommé Jean Le Clerc. Attaché d'abord à la personne d'Antoine de Chabannes1, Le Clerc passa, au commencement de 1466, au service de Louis XI, dont il sut capter la faveur, et qu'il servit avec beaucoup d'intelligence. Mais les relations qu'il avait conservées avec son premier maître amenèrent sa disgrâce à l'époque où les révélations du comte de Saint-Pol et celles du duc de Nemours compromirent le comte de Dammartin dans l'esprit du plus soupçonneux des rois. C'est ainsi que Jean Le Clerc perdit, au mois d'octobre de l'année 1476, la charge de clerc des Comptes, dont Louis XI l'avait pourvu le 2 décembre 1475. Il fut réintégré quelque temps après dans son office de secrétaire et reconquit la confiance du roi; mais ce n'est que le 16 juin 1496 qu'il put

1. Un Jean Le Clerc était en 1448 notaire et secrétaire du roi Charles VII (Bibl. nat., Titres, n° 685, fol. 122). S'il est vrai qu'en 1461 le rédacteur du manuscrit interpolé avait vingt-six ans seulement, comme il le dit lui-même (ci-après, t. II, Interpolations et Variantes, § 1), il ne pourrait s'agir de lui, mais peut-être de son père.

reprendre officiellement à la Chambre des comptes les fonctions dont il avait été privé assez injustement, semble-t-il, pour que, dès le 30 septembre 1484, un an après la mort de Louis XI, on lui en rendît les gages. Le Clerc garda son office jusqu'à sa mort, survenue à la fin de 1510, et c'est revêtu de la robe rouge de clerc des Comptes qu'il figure, la plume à la main, sur une miniature placée en tête du manuscrit interpolé de la Chronique Scandaleuse1.

tel

Une chose à noter, c'est que le rédacteur de ce manuscrit n'a pas travaillé sur les manuscrits de la Chronique dont il empruntait si lestement le récit, non plus que sur l'édition sortie des presses de Topie ou de Neumeister, la première qui parut de la Scandaleuse, comme on le verra tout à l'heure. Le texte qu'il eut sous les yeux est celui qui fut imprimé pour Antoine Vérard peu après l'an 1500, et inséré dans le tome second de la Chronique Martinienne. Quicherat avait observé déjà que le récit de la bataille de Saint-Jacques, que Jean Le Clerc l'a donné, est emprunté à ce recueil. Une autre preuve assez forte est que Le Clerc a copié un paragraphe tout entier concernant le pape Paul II, qui n'existe ni dans les manuscrits ni dans l'édition princeps de la Scandaleuse, mais seulement dans celle qu'en a donnée Vérard. Le Clerc savait-il le nom du chroniqueur anonyme qu'il pillait avec tant de désinvolture? On ne peut l'affirmer, mais il est piquant de noter qu'il connaissait le personnage auquel nous allons tenter de restituer la paternité de la Scandaleuse ces deux hommes avaient été en rapports fréquents. Est-il téméraire, après cela, de sup

1. Ces renseignements sont tirés de la notice que J. Quicherat a consacrée à Jean Le Clerc dans l'article cité de la Bibliothèque de l'École des chartes.

2. Ci-après, Interpol. et Var., § IX.

poser que Jean Le Clerc n'a point ignoré l'origine de la source à laquelle il puisait1?

II.

Il est temps de revenir à la Scandaleuse. On n'en connaît que deux manuscrits, dont il importe d'autant plus de dire quelques mots que, sauf les éditeurs des grandes collections de mémoires relatifs à l'histoire de France qui prétendent les avoir consultés, sans qu'il y paraisse beaucoup, personne ne semble les avoir jamais vus. Et pourtant tous deux font partie, depuis longtemps, des collections de la Bibliothèque nationale. Également exécutés sur papier au xv° siècle, ils portent au catalogue : l'un, le ms. fr. 2889, la désignation

1. Autre hypothèse. Au tome II de la Martinienne, la Chronique de Louis XI est précédée de celle du règne de Charles VII, où le texte, emprunté en partie à la Chronique de Chartier, a été remanié de la même façon et par les mêmes procédés que celui de la Scandaleuse dans le manuscrit interpolé. Remplie de détails sur les actions militaires de Jacques et surtout de son frère Antoine de Chabannes, cette Chronique de Charles VII a été visiblement composée sur des mémoires de famille, et, comme l'Interpolée, elle reproduit des documents empruntés aux archives d'Antoine de Chabannes (voir le Mémoire sur la Chronique Martinienne, par l'abbé Lebeuf, dans les Mém. de l'Acad. des inscript., t. XX, 1745). D'autre part, la Chronique de Charles VII n'a été certainement rédigée qu'après la mort du premier comte de Dammartin, de la maison de Chabannes (Martinienne, t. II, fol. cccıv, col. 2), par conséquent après le 25 décembre 1488. Serait-elle due aussi à Jean Le Clerc? Il est remarquable que la compilation de Vérard ne fut livrée au public qu'après la mort du pape Alexandre VI († 18 août 1503). Or, Jean Lebourg dit avoir terminé la transcription du manuscrit interpolé le 23 décembre 1502. Il faut donc que le rédacteur de ce manuscrit ait connu le texte de la Chronique Scandaleuse, tel que la Martinienne le donne, avant son impression.

de Chronique Scandaleuse; l'autre, un titre plus vague, qui lui a été attribué à une date déjà ancienne, Histoire de France de 1461 à 1479. Ce manuscrit est classé parmi les manuscrits français sous le no 5062.

C'est le meilleur et le plus ancien; aussi est-ce lui que la présente édition reproduit intégralement jusqu'au mois de mars de l'année 1479 (n. st.), c'est-à-dire jusqu'au terme de l'année 1478, suivant l'ancien comput1; c'est là qu'il s'arrête et s'est toujours arrêté. L'écriture de ce manuscrit est fort régulière, le texte en est correct, et, s'il n'est pas autographe, il est certain qu'il a appartenu à celui que nous considérons comme l'auteur de la Chronique. La mention par laquelle ce personnage l'a terminé, mention qu'il a signée et que nous reproduirons tout à l'heure, ne laisse pas de doute sur ce point, et l'emploi en plusieurs endroits du récit de verbes au temps présent témoigne d'une rédaction faite au cours des événements. Ce manuscrit est entré à la Bibliothèque du roi par achat, en 1670, et on sait qu'il faisait partie auparavant de la bibliothèque d'un célèbre docteur-régent de la Faculté de Paris, nommé Jacques Mentel, qui avait rassemblé une importante collection de livres et de manuscrits2.

Là s'arrêtent nos renseignements sur le ms. fr. 5062. Ils sont plus maigres encore quant au ms. fr. 2889. Aussi correct pour le fond que son aîné, mais d'une exécution plus

1. Exception faite pour le premier et pour l'avant-dernier feuillet du manuscrit, qui ont disparu.

2. Une partie de cette collection provenait de celles de Jean Passerat et de Jean Grangier, professeurs en éloquence latine. Né à Château-Thierry en 1597, mort à Paris en 1671, Jacques Mentel a été l'objet d'une notice biographique signée par le Dr Carlier dans les Annales de la Société archéologique de ChâteauThierry, année 1872, p. 126 et suiv.

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