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greffier de l'hostel de ville de Paris, » et le Père Lelong, rappelant le nom de Jean de Troyes dans sa Bibliothèque historique de la France (1719, in-fol.), ajoute : « D'autres nomment cet auteur Denis Hesselin. »

De nos jours, et jusqu'à ce que M. Vitu se fut donné la peine d'instruire la cause à nouveau, on peut dire que Jean de Troyes a régné sans contestation sur la Scandaleuse, et c'est à peine si, actuellement encore, les érudits les mieux renseignés abandonnent ce personnage fabuleux. Dans une notice d'allure très vive, presque belliqueuse, Aug. Vitu a présenté au public savant un candidat différent, Denis Hesselin, qui, pour n'être pas de son invention, possédait sur Jean de Troyes l'inestimable avantage d'avoir existé sous Louis XI, d'avoir été greffier de l'hôtel de ville de Paris, d'avoir enfin été fréquemment mis en scène par la Chronique Scandaleuse.

Pour écarter Jean de Troyes, M. Vitu a commencé par rechercher si les documents du xve siècle fournissaient un personnage de ce nom, et il a constaté qu'à Paris, après deux conseillers au parlement nommés Jean de Troyes qui vivaient au XIII° siècle, on retrouve un échevin de ce nom en 1411, lequel fut capitaine de la Conciergerie et, fervent Bourguignon, fut proscrit en 1413, déjà âgé, lors de la rentrée des Armagnacs à Paris. Enfin, M. Vitu a découvert deux autres Jean de Troyes, l'un bourgeois de Paris, cité dans les registres du Parlement à la date du 15 décembre 1436, l'autre qui fut procureur au Châtelet en 14541.

Nous avouons que, si nous n'avions d'autres raisons à opposer, ce dernier Jean de Troyes nous eût paru digne d'être discuté. M. Vitu n'en a pas jugé ainsi : il lui fallait un greffier, et il s'est borné à constater que la liste de ceux

1. Vitu, ouvr. cité, p. 20-27.

de l'hôtel de ville, telle qu'il l'a rectifiée et complétée, ne porte le nom d'aucun De Troyes, mais bien celui de Denis Hesselin. Élu de Paris dès 1456 au moins1, prévôt des marchands de 1470 à 1474, après cela clerc-greffier de la ville à la place de Jean Luillier, fonctions qu'il conserva jusqu'à l'an 1500, ce « grand bourgeois » fut un serviteur très empressé de Louis XI, dont il possédait la confiance. La Chronique le cite souvent, lui et ceux qui avaient avec lui des liens de parenté, toujours avec éloge; M. Vitu en a fait la remarque, de même qu'il a observé que la Chronique passe sous silence certains faits révélés par l'Interpolée et qui sont moins à l'honneur d'Hesselin ; il a noté enfin que, dès que ce personnage a quitté la prévôté des marchands, le titulaire de cette charge n'est plus nominativement désigné dans la Chronique.

Toutes ces raisons sont bonnes assurément, mais M. Vitu n'eût pas été aussi certain de son fait, s'il avait pris la peine d'examiner les manuscrits. Il en est un, le ms. fr. 2889, qui ne lui eût rien appris quant à la personnalité du « faitiste » de la Scandaleuse, mais il en va tout autrement du ms. fr. 5062, auquel le titre peu précis qu'il porte au catalogue de la Bibliothèque a valu peut-être de passer plus inaperçu. On a vu plus haut que dans ce manuscrit la relation s'arrête au mois de mars 1478 (v. st.), mais ce n'est point à l'insu de celui qui a tracé de sa main au moins le dernier feuillet du volume, car il l'a terminé par ces mots : « Explicit ce present petit volume qui parle seulement depuis l'an de grace M CCCC LX jusques en M CCCC LXXIX, » et il a signė J. DE ROYE, non sans accompagner ce nom d'un parafe notarial.

Ou nous nous trompons fort, ou voilà l'origine du trop

1. Arch. nat., Obituaire de la grande confrérie aux bourgeois,

célèbre Jean de Troyes, né soit de quelque confusion de Gilles ou de Galliot Corrozet, soit d'une erreur typographique d'un prote du xvre siècle.

Reste à éclaircir le point le plus intéressant. Ce J. de Roye a-t-il rédigé la Scandaleuse? Voyons d'abord ce qu'il était. Nos renseignements sont peu nombreux, sans doute, mais ils sont suffisamment précis pour qu'il soit possible de déterminer l'identité du personnage. En premier lieu, ce De Roye, qui s'appelait Jean, ainsi que la Chronique ellemême nous l'apprend, dans un passage que nous citerons tout à l'heure et qui est le seul où il soit nommé, ce De Roye appartenait à une famille de bourgeoisie parisienne qui ne paraît avoir eu rien de commun avec celle des seigneurs de Roye, célèbre dans les fastes militaires du moyen âge'. Jean de Roye était pourvu, dès le commencement du règne de Louis XI, d'une charge de notaire au Châtelet, ainsi que l'atteste un acte dressé par lui et signé de sa main exactement de la même façon que le ms. fr. 50622. Cet acte, qui porte la date du 30 mars 1462, v. st., concerne précisément deux personnages qui sont mentionnés dans la Chronique, Jean Baillet, conseiller et maître des requêtes de l'hôtel, et Pierre L'Orfèvre, écuyer, seigneur d'Ermenonville, conseiller et maître des Comptes3. Un autre acte, qui offre cette particularité intéressante qu'il est entièrement

1. Rien d'impossible, par contre, à ce qu'il appartînt à la famille de Pierre de Roye, conseiller au parlement de Paris (Arch. nat., X1a 19, fol. 13, à la date du 5 février 1364).

2. Ces fonctions le mirent en rapports fréquents avec bien des familles parisiennes dont il cite les divers membres. Les Hesselin, leurs parents et alliés étaient sans doute ses clients, d'où la mention fréquente de leurs noms dans la Chronique.

3. Bibl. nat., Pièces orig., vol. 1747, dossier L'Orfèvre, no 18; orig. sur parch.

écrit et signé de la main de Jean de Roye, existe en double exemplaire aux Archives nationales. C'est une expédition collationnée d'un vidimus délivré le 9 août 1466 par le prévôt de Paris, Robert d'Estouteville, un protecteur du chroniqueur, de certaines lettres patentes délivrées à Montargis au mois de juillet précédent, en confirmation d'autres lettres du mois de novembre 1465 par lesquelles Louis XI étendait les privilèges du duc de Bourbon 1.

En 1469, Jean de Roye fut commis avec un de ses collègues, Henri le Wast, à dresser l'inventaire des biens trouvés en la ville de Paris qui appartenaient au cardinal Balue et à prendre note des dépositions des témoins que les commissaires désignés pour instruire le procès de l'ex-favori du roi jugeraient à propos d'interroger. Rien d'étonnant après cela si la chronique est si minutieusement informée de la distribution qui fut faite des biens de Jean Balue2.

Jean de Roye était donc l'un des soixante notaires au Châtelet de Paris, mais ce n'est pas le seul office qu'il détenait. Il portait encore le titre de secrétaire du duc de Bourbon, Jean II, et exerçait les fonctions de concierge de l'hôtel de Bourbon à Paris. On sait que cette somptueuse demeure, une des plus magnifiques du vieux Paris, reconstruite et augmentée à la fin du xrve siècle par le duc Louis II, occupait sur la rive droite de la Seine l'espace compris entre la colonnade actuelle du Louvre et le cloître Saint-Germain-l'Auxerrois. L'hôtel servait de résidence au duc de Bourbonnais et à sa famille lorsqu'ils séjournaient à Paris, et il est certain que la place de concierge ou de garde de cet édifice était un poste de

1. Arch. nat., P 1371, cote 1948. Parch. jadis scellé.

2. Compte de Jean de Beaune des deniers provenant de la confiscation du cardinal d'Angers. Bibl. nat., ms. fr. 4487, fol. 54; orig., parch.

grande confiance. Jean de Roye y fut installé sans doute après la guerre du Bien public, car les sentiments décidément royalistes qu'il exprime en narrant les événements de 1465 ne permettent pas de supposer qu'il fût à cette époque au service d'un des chefs de la rébellion. Dès 1466, au contraire, tout l'indique dans son récit, et les noms des divers membres de la maison de Bourbon ne sont enregistrés qu'avec respect, parfois avec vénération. Il y a longtemps que le Père Lelong, frappé du fait, émettait, dans sa Bibliothèque historique de la France, l'opinion que l'auteur de la Chronique << devait être un officier de la maison de Bourbon, » et M. Vitu lui-même n'a pu s'empêcher de signaler cette opinion, mais en la combattant par la raison que l'ensemble de l'œuvre ne permet pas de supposer que le chroniqueur ait quitté Paris. Cet argument n'est pas applicable au garde de l'hôtel de Bourbon.

C'est Jean de Roye lui-même qui a pris soin de nous dire quelles étaient ses fonctions, à l'occasion d'une fête que le cardinal-archevêque de Lyon, Charles de Bourbon, frère du duc Jean II, donna à l'hôtel au mois de mars 1478, après Quasimodo. Le galant prélat, un des serviteurs préférés de Louis XI, et qui, bien plus souvent que son frère, résidait à Paris, offrait un souper à la duchesse douairière d'Orléans, Marie de Clèves, à son fils le duc Louis et à d'autres grands personnages. Le repas, somptueusement servi, réunit la noble compagnie dans la fameuse galerie dorée, mais Mme de Narbonne, Marie d'Orléans, « alors fort grosse, » son mari, Jean de Foix, et six de leurs intimes soupèrent en une chambre basse, « au logis de Jehan de Roye, secrétaire de Mons. le duc de Bourbon et garde dudit hotel de Bourbon. » Cet hôtel, qui était un peu sa chose, le chroniqueur l'a nommé encore à d'autres reprises. C'est là que fut

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