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Louis XI et récite des choses qui ne sont pas trop à son advantage. » On la connaissait aussi sous le sobriquet de la Mesdisante, et c'est le titre que Paul Petau (1568–1614) a tracé de sa main sur l'un des deux exemplaires de l'édition princeps de la Chronique que possède la Bibliothèque nationale1. Médisante ou scandaleuse, voilà comment les hommes du xvIe siècle qualifiaient l'innocente Chronique de Louis XI! Le nom est resté, mais il paraît peu justifié au lecteur moderne, nourri d'indiscrétions d'une tout autre portée.

L'édition de 1620 est une reproduction de celle de 1611. Le volume, de format petit in-4°, ne porte pas le nom de l'éditeur. Le titre est le même que celui de 1611, mais à côté du portrait de Louis XI est un second titre répété encore en tête du texte de la Chronique, et qui n'est autre que celui de l'édition princeps avec cette addition : « Imprimées de nouveau sur les vieux exemplaires sans aucun changement. »

On retrouve la Chronique de Louis de Valois à la suite des éditions que Godefroy et l'abbé Lenglet-Dufresnoy ont données des Mémoires de Ph. de Commynes?.

Enfin, de nos jours, elle a été imprimée dans la Collection complète des Mémoires relatifs à l'histoire de

1. Réserve Lb 27. L'autre exemplaire a appartenu à d'Hozier, et une main plus ancienne a écrit au-dessous du titre imprimé les mots Histoire mesdisante. C'est le titre aussi que donne à la Chronique le Père Garasse (Recherche des recherches d'Estienne Pasquier, 1622, p. 3); mais il se trompe quand il prétend que l'auteur intitula ainsi sa chronique avec l'intention de diffamer Louis XI. M. Vitu l'observe avec justesse (ouvr. cité, p. 13), mais il a tort de conclure qu'aucune édition n'ayant porté le titre de Chronique Médisante, l'ouvrage n'a jamais été connu dans le public

sous ce nom.

2. Bruxelles, 5 vol. in-8°, 1723; Paris et Londres, 1747, 4 vol. in-4°.

Un siècle plus tard, Jules Quicherat, adoptant sans réserve l'opinion émise par l'abbé Lebeuf, excommuniait à son tour la malheureuse Chronique, qui, suivant son expression, n'avait de scandaleux que le sans-gêne avec lequel son rédacteur avait pillé l'œuvre d'autrui. La Chronique était une copie de la Chronique officielle de Louis XI, non pas, comme l'avait cru Lebeuf, de celle rédigée par Jean Castel, abbé de Saint-Maur, car Jean Castel n'aurait laissé que des notes, mais une simple copie de la relation composée sur ces notes par un moine de Saint-Denis, Mathieu Lebrun, qui, succédant à Castel en 1476, ne prit pas la peine de classer correctement les papiers laissés par son prédécesseur, et commit au moins une « bévue » chronologique si forte qu'elle suffit à marquer le peu de valeur historique de l'œuvre tout entière. Nous n'insisterions pas sur la preuve soi-disant décisive apportée par Quicherat contre l'autorité de la Chronique qu'il attribue à Lebrun et, par conséquent, contre celle de la Scandaleuse, s'il ne s'agissait pas d'opposer à sa thèse une opinion toute contraire, mais à l'accusateur incombe la preuve; si cette preuve fait défaut, l'accusation doit tomber d'elle-même, et notre Chronique, quelle que soit son origine, ne mérite pas le dédain dont on l'a accablée.

Donc, voici ce que narre la Chronique : Le samedi matin 14 mars 1472 (v. st.), Louis XI partit du Plessis-lès-Tours, << à privée compaignie, » pour s'en aller à Bordeaux et à Bayonne, et, afin de ne point être suivi, il fit tenir toutes les portes de Tours fermées jusqu'à dix heures, rompit un pont par où il avait passé et donna ordre à M. de Gaucourt, capitaine des gentilshommes de sa maison, de demeurer en arrière afin de veiller à ce que personne n'allât après lui1.

1. Ci-après, à la date.

-Le fait est curieux, mais voici que M. Quicherat découvre qu'il s'est passé, non pas au mois de mars 1473, mais au mois de mars de l'année 1462, car 1° Chastellain le conte à cette dernière date, 2o le recueil des ordonnances (t. XVII) indique que Louis XI tenait conseil à Tours le 29 mars et qu'il passa tout le mois suivant entre Tours et Poitiers.

Sur le premier point la réponse est aisée. De ce que Louis XI prit incognito la route du Midi en 1462, « habillé de gros drap gris, rudement, en manière de pèlerin, une grosse rude paternostre pendue au col',» s'ensuit-il qu'en 1472 il ne recommença pas l'excursion en de pareilles conditions? On sait de reste qu'à diverses reprises, pour échapper aux fâcheux ou pour mieux garder le secret d'une expédition dont l'objet était politique, le roi Louis dissimula ses allées et venues, et cela pendant plusieurs jours. L'autre argument, tiré de la date fournie par des ordonnances incontestées, serait irréfutable s'il n'était notoire que l'indication, au bas d'un document de ce genre, du lieu où il a été rédigé indique que le Conseil et la chancellerie royale séjournaient en cet endroit à telle date, mais n'entraîne pas forcément la présence du roi en personne. Or, l'Itinéraire de Louis XI nous montre ce prince en route pour le Midi dès la moitié du mois de mars 1473. Sa présence est signalée à Bordeaux le 24 du même mois et un peu plus tard à Notre-Dame-deSoulac en Médoc. Et, si l'on doutait de l'exactitude de l'Itinéraire, qu'on ouvre le tome III de l'édition Lenglet des Mémoires de Commynes, et l'on y trouvera la preuve que

1. Chronique de Chastellain, édition Kervyn de Lettenhove. Bruxelles, 1864, in-8°, t. IV, p. 196.

2. Ce précieux travail, entrepris par Mlle Dupont pour l'édition des Lettres de Louis XI, nous a été obligeamment communiqué par M. Vaesen, que la Société de l'histoire de France a chargé de cette publication, actuellement en cours.

c'est la Scandaleuse qui a raison contre Quicherat. En effet, le vendredi soir 9 avril 1473 (et non 1472, comme le veut Lenglet, car en 1472 le 9 avril tomba un jeudi), le chancelier d'Oriole écrit à l'évêque de Léon, alors à Bruxelles pour conclure une trêve entre le roi et le duc de Bourgogne, que Louis XI est « allé en son veage » et que sa chancellerie ne l'a pas accompagné1. Quelques jours plus tard, le 13 avril, c'est le comte de Saint-Pol qui écrit de Laon au même évêque de Léon : « Vous avez sceu que le roy est tiré à Bayonne2. » Il est inutile de pousser plus loin la démonstration; aussi bien paraît-il presque certain que ni l'abbé Lebeuf ni Quicherat n'ont consulté de la Scandaleuse ni les manuscrits ni l'édition originale. Il y a mieux : ils ne se sont point aperçus que les deux premières éditions des Chroniques de Saint-Denis, celle de Pasquier Bonhomme, parue en 1486, et celle de Vérard, imprimée en 14933, les deux seules que le compilateur de la Martinienne aurait pu connaître, ne contiennent la mention d'aucun fait postérieur à la mort de Charles VII. C'est dans l'édition de 1514' que pour la première fois la narration est poursuivie jusqu'en 1513. Il y a donc bien eu emprunt, mais c'est l'éditeur de la compilation pseudo-officielle qui a pillé la Scandaleuse et non pas, comme on l'a dit, le rédacteur de cette dernière chronique qui s'est approprié le texte de celle dite de Saint-Denis.

IV.

Si la Chronique de Louis XI est, comme tout l'indique,

1. P. 184.

2. P. 186.

3. Voir G. Brunet, la France littéraire au XVe siècle, etc., p. 46. 4. 3 vol. in-folio gothique.

une œuvre originale1, il est intéressant d'en rechercher l'auteur2. Ici encore, nous rencontrons M. Vitu, non plus en allié, mais en adversaire. Recueillons d'abord les opinions des anciens. La première édition, celle qui parut avant 1500, ne porte pas de nom d'auteur. La seconde, celle de la Martinienne3, paraît attribuer la paternité de la Chronique à Jean Castel, qui fut, on l'a dit plus haut, chroniqueur de France de 1461 à 1476 et eut pour successeur, après sa mort, survenue au mois de février de cette dernière année, frère Mathieu Lebrun. Il n'y a point à s'arrêter à cette attribution, qui, si elle était acceptée, équivaudrait à reconnaître dans la Scandaleuse une simple copie de la Chronique officielle de Louis XI. — En tête de l'édition de 1558, pas de nom d'auteur, mais, dès 1583, on voit le Trésor des Histoires, composé par l'écrivainlibraire Gilles Corrozet (1510-1568) et édité par son fils Galliot, attribuer sans autre explication la Chronique de Louis XI à Jean de Troyes. L'année suivante, Jean de Troyes, devenu un « historien français du temps de Louis XI, » avait les honneurs d'un article dans la Bibliothèque françoise de La Croix du Maine, et dès lors sa fortune était faite. D'autres, cependant, l'éditeur de 1611 et celui de 1620, se bornèrent à donner pour auteur à la Chronique « un

1. A la réserve de quelques passages (voir par exemple le récit de la bataille de Nancy), qui semblent bien être la reproduction de certaines relations qui eurent cours à Paris à l'époque.

2. Les conclusions qui vont être présentées au lecteur ont été formulées par nous dans la Bibliothèque de l'École des chartes, année 1891, 1re et 2e livr., p. 130 et suiv.

3. « Le second de la Martiniane, qui suyt selon les dactes des temps des croniques de France selon le croniqueur Castel et monseig Gaguin, general des Mathurins de l'ordre de la Trinité, et plusieurs autres croniqueurs. Et finissent lesdictes croniques là où ledit Gaguin a finé de sa cronique derreniere jusques à l'an mil cinq cens. »

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