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onques avoit esté veue par avant pour autant de gens qu'il y avoit, se vint fraper et bouter dedens l'armée desdiz Bourguignons. Et ilec à l'aborder y ot fait des plus beaulx faiz d'armes qui jamais furent veuz pour ung peu de gens, car aussi c'estoient tous nobles hommes vaillans et de grant eslite, qui tellement besongnerent que le roy gaigna et mist en fuite toute l'avangarde desdiz Bourguignons. Et y ot d'iceulx Bourguignons à ladicte rencontre grant quantité de mors et de prins. Et, d'icelle desconfiture en vint incontinent le bruit à Paris; de laquelle ville en yssit aux champs plus de xxx personnes, partie desquelz s'en alerent à cheval à l'escart et trouverent moult desdiz Bourguignons qui furent prins et desconfiz par eulx, et aussi par ceulx des villages d'autour d'icelle ville, comme de Vanves, Yssy, Sevre, Saint Cloud, Suresnes et autres lieux. Et, en ce faisant, fut gaigné bien grant butin sur lesdiz Bourguignons, tant en chariotz, bahus, males, boistes que autrement, et tant y perdirent lesdiz Bourguignons que on disoit lors que leur perte en toutes choses montoit à plus de Ir mil escuz d'or.

Et, après que ladicte avangarde ot esté ainsi desconfite, le roy, non content de ce, mais cuidant tousjours perseverer et avoir le bout d'iceulx Bourguignons, et sans soy rafreschir ne prendre aucun repos ne lui ne ses gens, se rebouta, lui sa garde, et environ шr lances de sa compaignie, dedens lesdiz Bourguignons, qui s'estoient fort raliez par le moien dudit conte de Saint-Pol, qui moult bien servy ledit de Charrolois celle journée. Lesquelz Bourguignons recueillirent vigoreusement le roy et sadicte compaignie, car

ilz s'estoient serrez en bataille et par ordre et leur artillerie aprestée, de laquelle ilz greverent fort les gens du roy et en tuerent plusieurs gens de bien et aussi de ceulx de la garde du roy, qui moult vaillamment s'i porterent et servirent bien le roy, qui ot ilec beaucop à faire et [fut] en grant danger par diverses foiz de sa personne, car il n'avoit q'un peu de gens et sans artillerie; et tellement y fut oppressé le roy, qui tousjours estoit des premiers dedens, qu'il ne savoit que faire. Et, posé ores qu'il n'avoit que peu de gens, si maintenoient plusieurs que s'il eust eu davantage cinq cens frans archers à pié pour expedier les Bourguignons qui ilec furent gettez par terre, qui après se relevoient, qu'il eust mis en telle subjection iceulx Bourguignons que jamais n'eust esté memoire d'eux en armes. Ledit seigneur de Charrolois y perdit toute sa garde, et aussi fist le roy beaucop de la sienne. Et fut tellement suivy ledit de Charrolois que par deux foiz fut prins par Geoffroy de Saint Belin et Gilbert de Grassay1 et puis fut rescoux. Et, durant ladicte journée, y ot grande occision de hommes et de chevaulx, dont plusieurs en furent tuez par les ribaulx pietons du costé dudit de Bourgongne, qui, de piques et autres ferremens les tuoient. Et y mourut de gens de nobles maisons de costé et d'autre. Et, après que tout fut fait, on trouva que oudit champ y estoient mors III vIc hommes; Dieu en ait les ames!

Et, vers la nuit, les Escossois de la garde du roy,

1. Geoffroy de Saint-Belin, chevalier, conseiller et chambellan du roi, baron de Saxefontaine, bailli de Chaumont. Gilbert de Grassay, conseiller et chambellan du roi, seigneur de Champéroux.

voians et considerans le grant danger où le roy estoit et la grant perte de leurs gens, aussi que lesdiz Bourguignons poursuivoient fort et asprement, prindrent le roy, qui moult estoit las et afflict, et qui n'avoit cessé de combatre et faire grans armes toute la journée sans boire et sans menger, et le menerent dedens le chastel dudit Montlehery. Et, pour ce que plusieurs gens de l'armée du roy n'avoient point veu qu'il eust ainsi esté mené audit Montlehery et ne le savoient où trouver, cuidoient qu'il feust mort ou prins, et à ceste cause la pluspart d'iceulx se mirent en fuite. Et lors monseigneur du Maine, monseigneur l'admiral de Montauban, le seigneur de la Barde1 et autres cappitaines qui bien avoient de VII à VIII lances, se retrahirent et s'en alerent et habandonnerent ainsi le roy, et, à ladicte journée, nul des dessusdiz n'y frapa un seul cop; et, à ces moiens, le champ demoura ausdiz Bourguignons.

En icelle rencontre et ou nombre des mors y furent trouvez de gens de façon et bonnes maisons, c'est assavoir : messire Pierre de Breszé, chevalier, seneschal de Normandie; Geoffroy de Saint-Belin, dit La Hire, bailli de Chaumont; Floquet, bailly d'Evreux, et plusieurs autres chevaliers et escuiers de nom de la compaignie du roy3. Et aussi, de la compaignie

1. Jean de Stuer ou d'Estuer, chevalier, seigneur de la Barde, de Montélimart, etc., vicomte de Ribérac et d'Espeluche, était fils de Jean de Stuer et de Jeanne de Pons. Il épousa Catherine Brachet (Moréri).

2. Le comte de Charolais, dit Olivier de la Marche (éd. Beaune et d'Arbaumont, t. III, p. 16), « garda ce jour le champ de la bataille que l'on nommoit anciennement le champ de Plours. » 3. Le lendemain de la bataille, Olivier de la Marche, envoyé

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desdiz Bourguignons, y en ot beaucop de mors et de prins plus que de ceulx du roy1.

Et, après que le roy ot esté ung peu rafreschi oudit chasteau de Montlehery, fut mené et conduit d'ilec jusques en la ville de Corbueil, où il sejourna jusques au jeudi ensuivant, xvIII* jour dudit moys de juillet, qu'il arriva sur le tart en sa ville de Paris2. Et souppa ce jour en l'ostel de son lieutenant general,

au village de Montlhéry pour faire le logis du comte de Charolais, trouva sur de la paille les cadavres du grand sénéchal de Normandie et de << plusieurs autres nobles et bons personnaiges françois.» Brézé, La Hire et Floquet tombèrent victimes de leur impétuosité, qui les entraîna « sy avant en la bataille qu'ils ne peurent retourner » (Du Clercq, IV, 170). Commynes veut que La Hire se soit fait tuer en revenant à la nuit de « chasser » les fuyards bourguignons (éd. Dupont, I, 46). Basin prétend que Brézé fut occis dès le commencement de l'action par les gens mêmes du roi. Et, bien, ajoute-t-il, que ce forfait eût été accompli sans que Louis XI en ait rien su, la veuve du grand sénéchal et nombre d'autres le soupçonnèrent d'avoir ordonné le crime (II, 126). C'est cette rumeur, habilement exploitée par les rebelles, qui fut cause plus tard de la trahison de Jeanne Crespin à Rouen (voy. plus loin).

1. Les morts ayant été dépouillés aussitôt, il fut impossible de savoir lequel des deux partis avait subi les plus grosses pertes.

2. Louis XI arriva à Corbeil le 17, vers dix heures du matin (Du Clercq, IV, 172; Hennin, dans ouvr. cité, p. 436). Le jeudi 18, il fit son entrée à Paris à cinq heures du soir et fut reçu « à grant joie » par les gens d'Église et par les bourgeois. Une partie de son monde l'avait rallié; l'autre « demoura es villages environ Paris pour soy rafreschir» (Maupoint, Journal, p. 58). Louis XI devait exagérer quelque peu lorsqu'il écrivait, le 27 juillet, aux habitants de Poitiers qu'il avait encore avec lui 1,500 à 1,600 lances de la grande ordonnance, sans les corps d'armée des comtes de Nevers et d'Eu et les contingents d'autres seigneurs qui étaient venus le joindre avec 300 lances (Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 339).

messire Charles de Meleun1. Et avecques lui y souperent aussi plusieurs seigneurs, damoiselles et bourgoises. Auquel lieu il recita toute son adventure ainsi advenue audit Montlehery, et, en ce faisant, dist et declaira de moult beaulx mots et piteux, de quoy tous et toutes pleurerent bien largement. Et si dist plus que, au plaisir de Dieu, le lundi ensuivant, il retourneroit derechef à l'encontre de sesdiz ennemis et qu'il mourroit en la poursuite ou que brief en aroit le bout: dont il ne se fist riens, pour ce qu'il fut conseillé pour le mieulx du contraire, avecques ce qu'il fut laschement servy de ses gens de guerre2; et ne tint point à lui, car il est3 assez et trop vaillant.

Et, le vendredi ensuivant, XIX jour dudit moys de juillet oudit an LXV, ung gentilhomme, nommé Laurens de Mory, seigneur dudit lieu de Mory, près de Mitry en France, qui avoit esté constitué prisonnier en la bastide Saint-Anthoine, pour occasion de ce

1. Interpolations et variantes, § XI.

2. La défection du comte du Maine et de l'amiral de Montauban et les sentiments douteux d'une partie de la population parisienne furent la cause de cette abstention. -« Vous, et les autres qui ont charge de gens de guerre, avez dict en aucuns conseilz où estoie present que vous n'estiez pas seur de voz gens, car plusieurs en y avoient qui vous avoient fait la poulle à Montlhery » (Apostrophe de Jacques Rebours, procureur de la ville de Paris, au bâtard du Maine, relatée dans sa déposition du 28 juillet 1468, au procès de Charles de Melun. Bibl. nat., ms. fr. 2921. Cf. Basin, II, 123 et suiv.).

3. Telle est la leçon du ms. fr. 5062, fol. 20. Le ms. fr. 2889, fol. 21, porte il estoit.

4. Ces deux localités forment aujourd'hui une seule commune sous le nom de Mitry-Mory (Seine-et-Marne, cant. de Claye).

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