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Et, le mercredi ensuivant [10 juillet], fut menée audit de Saint-Pol certaine quantité d'artillerie dudit seigneur de Charrolois comme de L à LX chariotz. Et, ce mesmes jour, aucuns de la compaignie de messire Pierre de Breszé1 yssirent dehors Paris, pour aler à leur aventure dessur lesdiz Bourguignons qui ainsi aloient audit Saint-Cloud. Desquelz Bourguignons en fut par eulx tué deux, et en fut prins cinq, dont l'un d'iceulx fut fort navré, et tellement que tout le devant de son visaige lui fut abatu d'un cop d'espée, et lui pendoit le visaige à sa peau sur sa pettrine. Et par iceulx Bourguignons fut prins ung archer, serviteur de messire Jehan Mohier?, chevalier de la compaignie dudit de Breszé. Et, ledit jour de mercredi, environ six heures de nuit, lesdiz Bourguignons baillerent une escarmouche terrible et merveilleuse au boulevert dudit Saint-Cloud, qui fort espoventa ceulx de dedens qui le tenoient pour le roy, tellement qu'ilz prindrent composition de rendre ledit pont à heure presente, ce qu'ilz firent, et s'en revindrent à Paris eulx et leurs biens saufz. Et si promirent de delivrer et bailler lesdiz cinq Bour

1. Pierre de Brézé, seigneur de la Varenne et comte de Maulevrier, grand sénéchal de Normandie, fut l'un des grands serviteurs de Charles VII auxquels Louis XI témoigna le plus de rancune. Enfermé quelque temps à Loches, le séduisant Brézé ne tarda pas à vaincre l'antipathie de son nouveau maître, au point que ce dernier, on l'a vu, fit plusieurs séjours chez lui, à Mauny et à Nogent. Chastellain a laissé de ce protecteur des lettres un magnifique éloge. Pierre de Brézé avait épousé Jeanne Crespin et se fit tuer à Montlhéry (voy. ci-après et Anselme, VIII, 271).

2. Jean Morhier, seigneur de Villiers-le-Morhier, etc., avait épousé Jeanne, fille naturelle de François Ier, duc de Bretagne (Anselme, I, 458).

guignons prins ledit jour. Et, pour ce faire, demourerent pour hostages Jaques Le Maire, bourgois de Paris, qui estoit cappitaine dudit Saint-Cloud, et ung homme d'armes de la compaignie dudit de Breszé, estant aussi audit pont de Saint-Cloud1.

Et, le vendredi ensuivant [12 juillet], fut tenu en l'ostel de ladicte ville de Paris ung grant conseil, pour deliberer et savoir quelle response seroit rendue ausdiz Bourguignons, sur ce qu'ilz avoient requis que de ladicte ville feussent envoiez aucuns deleguez par icelle pardevers ledit seigneur de Charrolois et ceulx de sadicte compaignie, pour leur estre dit par eulx de bouche et en secret les causes pour

1. Au camp bourguignon, la résistance inattendue des Parisiens, le 8 juillet, donna à réfléchir aux gens prudents, qui firent valoir en faveur d'une retraite immédiate le soulèvement des Liégeois, le manque de vivres et d'argent, enfin et surtout l'absence des ducs de Berry et de Bretagne, qui avaient failli au rendezvous et dont on commençait à suspecter la loyauté. Le comte de Charolais, encouragé par Rouville, vice-chancelier de Bretagne, qui affirmait la prochaine arrivée de son maître, refusa d'écouter ces conseils, jurant qu'au besoin il passerait la Seine tout seul avec un page (Hennin, dans Barante, éd. citée, p. 426). Le 9 juillet, Saint-Pol et ses fils, les comtes de Marle et de Brienne, le seigneur de Fiennes et ceux de l'avant-garde saisirent un grand chaland chargé de foin qui remontait à Paris, le vidèrent et passèrent l'eau du côté d'Argenteuil. De là, ils coururent sur la rive gauche jusqu'à Saint-Cloud, dont ils ne réussirent point à effrayer les défenseurs. Le lendemain, 10 juillet, Charolais longea la rive droite et vint prendre à revers le pont de Saint-Cloud, dont la possession lui était indispensable, le passage à travers Paris lui étant refusé, pour assurer ses communications avec le Sud. Assaillie des deux côtés, la garnison se rendit, après quelques coups de serpentine, « à la persuasion de Mgr Jacques de Luxembourg, seigneur de Richebourg » (Hennin, témoin oculaire, l. c.). Jacquet Le Maire, qui commandait au pont de Saint-Cloud, était un marchand épicier de Paris.

lesquelles ilz estoient ainsi venus en armes oudit pays de France. A quoy fut conclud que on feroit savoir audit de Charrolois qu'il envoyast bon saufconduit, à Paris, pour ceulx qui seroient ordonnez estre envoiez pardevers lui, et, ce fait, que on y envoieroit gens pour les oyr et escouter tout ce qu'il vouldroient dire, pour au surplus le faire asavoir au roy, qui estoit près d'Orleans, ou à son conseil estant audit lieu de Paris, pour leur faire telle response qu'il seroit advisé de faire.

Et, ce mesmes jour, vindrent à la porte SaintHonnoré, environ cinq heures au soir, deux heraulx de par ledit seigneur de Charrolois, pour avoir la response de ce que dit est; ausquelz fut dit, comme devant est dit, et que ledit de Charrolois approuchast en aucun lieu près Paris et envoyast ledit saufconduit et qu'on yroit à lui pour l'escouter; et autre chose n'eurent. Et, après ces choses, ilz requirent avoir pour argent du papier et parchemin avecques de l'encre, dont il leur fut baillé. Et si demanderent à avoir du sucre et autres drogueries, pour aucuns gentilzhommes qui estoient malades en leur ost, dont on leur fist refus, qui s'en tindrent à bien mal contens de ceulx de ladicte ville. Et à tant s'en retournerent iceulx deux heraulx.

Et, le dimenche ensuivant, x® jour dudit mois de juillet, oudit an LXV, arriverent à Paris bien matin monseigneur de la Borde et messire Guillaume Cousinot1, qui apporterent lettres de par le roy aux bour

1. Philippe de Melun, chevalier, conseiller et chambellan du roi, seigneur de la Borde-le-Vicomte, etc., maître des eaux et

gois, manans et habitans de ladicte ville, par la teneur desquelles le roy les mercioit comme devant de leurs bons vouloirs qu'ilz avoient envers lui et de la bonne et grande resistence qu'ilz avoient faicte à l'encontre desdiz Bourguignons, et qu'ilz voulsissent adjouster foy ausdiz de la Borde et Cousinot de tout ce qu'ilz leur diroient de par lui. Laquelle credence estoit en affect que le roy les mercioit moult de foiz de leurs grandes loyaultez, et si les prioit oultre de tousjours de bien en mieulx continuer, et que dedens le mardi ensuivant il seroit à Paris1, comme au lieu du monde que plus il desiroit estre, pour donner remede et provision partout, et qu'il aymeroit mieulx avoir perdu la moitié de son royaume que mal ne inconvenient aucun venist en ladicte ville, ou possible lui seroit de y pourveoir. Aussi dist et pria ledit Cousinot, de par le roy, que ceulx de Paris pourveussent au logis des gens d'armes et de trait que le roy avoit et amenoit avecques lui, et aussi de mettre pris raisonnable sur les vivres. A quoy lui fut respondu par maistre Henry de Livre, prevost des marchans, que aussi feroit on.

forêts de France (1434), mourut en 1471. Il avait, comme Guillaume Cousinot, seigneur de Montreuil (1400-vers 1484), joué un rôle important pendant la campagne de Louis XI en Bourbonnais. Sur Cousinot, voy. la notice de M. Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 215. Ce personnage servit aussi fidèlement Louis XI que Charles VII et joua encore un rôle aux états généraux de 1484, mais il était alors « un fort ancien homme. »

1. C'est ce jour-là (16 juillet) que fut livrée la bataille de Montlhéry. Il faut conclure des termes du message adressé aux Parisiens que Louis XI ne prévoyait pas, au moment où il en chargea les seigneurs de la Borde et de Montreuil, que les « Charolais » lui barreraient la route de Paris (cf. Du Clercq, IV, 162 et suiv., et Commynes, éd. Dupont, I, 28, 30 et suiv.).

Et, le lundi ensuivant [15 juillet], lesdiz Bourguignons, qui estoient deslogez dudit Saint-Cloud, s'en alerent loger à Montlehery eulx et toute leur artillerie, cuidans aler eulx joindre avecques les compaignies des ducs de Berry et de Bretaigne, le conte de Dunois, et autres qui s'en venoient audit de Charrolois1. Et de ce en furent portées les nouvelles au roy, qui estoit par deça Orleans pour s'en venir à Paris; lequel et à toute diligence vint et arriva le mardi matin, xvre jour dudit moys de juillet, à Chastes soubz ledit Montlehery2. Et d'ilecques, sans soy rafreschir ou que bien peu, et sans attendre toute sa compaignie, qui estoit pour gens à cheval la plus belle et mieulx en point que

1. Le 14 juillet, Charolais écrivit de Saint-Cloud à Philippe le Bon qu'il était pressé par le duc de Berry, alors près de Chartres, de se porter au-devant des Bretons, afin d'unir ses forces aux leurs pour attaquer le roi avant qu'il pût mettre en ligne tout son monde. Charles de Bourgogne annonçait son départ dans la direction d'Étampes pour le lendemain. Le 15 au matin, G. de la Roche annonce que le comte « s'en vat au Montlhery et de là à Etampes,» pour rallier les Bretons, et il ajoute : L'en dit que le roi approuche très fort et que ses gens viennent après file à file. » La duchesse d'Orléans avait en effet informé le comte de Charolais que, le jeudi précédent (11 juillet), le roi avait ouï la messe à Notre-Dame de Cléry (Mélanges historiques, II, 350. Cf. Commynes, éd. Dupont, I, 24, et l'Itinéraire de Charles de Bourgogne, dans Lenglet, II, 183). C'est sans doute par son avantgarde, logée dès le 13 à Issy, au sud de Paris, que le comte eut avis de l'approche des Français et des Bretons (Hennin, dans Barante, éd. citée, p. 426). La garde du pont de Saint-Cloud, son seul trait d'union avec le Nord, fut confiée par Charolais à un gentilhomme hennuyer, Oste de la Mote (Ibid., p. 427).

2. Le roi était à Orléans le 13 juillet, le 14 à Étampes, et le 15 au soir il venait coucher à Étrechy, à plus de 70 kilomètres d'Orléans. On trouvera en appendice, à la fin de la présente édition, une note étendue sur la bataille de Montlhéry.

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