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Et est assavoir que, le jeudi xxx jour de juillet, oudit an LXI, qui fut le lendemain de ladicte mort, environ Ix heures de nuit, fut veue ou ciel courir bien fort une très longue comete, qui gectoit en l'air grant resplendisseur et grande clarté, tellement qu'il sembloit que tout Paris feust en feu et en flambe. Dieu l'en vueille preserver!

Et, le jeudi vr jour d'aoust oudit an IIII© LXI1, le corps dudit defunct arriva et fut amené reposer en l'eglise de Nostre-Dame des Champs hors Paris, où il fut amené dudit lieu de Meun. Et le lendemain fut alé querir audit lieu et apporté à Paris en moult grant et belle conduicte, ordonnance et reverence qui fut faicte audit corps, comme bien le valoit : c'est assavoir du clergié, des nobles personnes, officiers, bourgois et populaire. Et y avoit pour luminaire porté devant ledit corps i torches de livres de cire chascune piece, toutes armoiées en double aux armes de France, et estoient portées par i povres personnes, tous revestus de robes et chaperons de dueil. Et estoit ledit corps porté en une lictiere par les henouars de Paris2; laquelle lictiere estoit

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1. Lisez le mercredi soir, 5 août. Sur les funérailles de Charles VII, voir Beaucourt, Chronique de Mathieu d'Escouchy (Soc. de l'hist. de France, 1863-64), t. II, 424-444; Félibien, Histoire de Paris, 1725, in-fol., t. IV, Pièces justif., p. 599, et particulièrement le récit de l'Histoire de Charles VII de Jean Chartier, éd. Vallet de Viriville, in-12, t. III.

2. Les henouars, officiers de gabelle au nombre de vingt-quatre, jouissaient du privilège de porter le cercueil du roi. Dans l'occasion présente, ils se conduisirent assez mal. Sous un prétexte futile, ils menacèrent d'abandonner le corps à la Croix-aux-Fiens, sur la route de Saint-Denis, si on ne leur comptait pas dix livres parisis. Il fallut, pour les décider à reprendre leur funèbre far

couverte et assemillée d'un moult riche drap d'or qui bien povoit valoir mil ou XII escuz d'or. Et dessus ladicte lictiere estoit la pourtraicture faicte dudit defunct roy Charles, revestu d'un bel habit royal, une couronne en la teste; et en l'une de ses mains tenoit ung ceptre, et en l'autre le baston royal1. Et en cest estat fut porté en la grant eglise NostreDame de Paris. Et tout devant aloient tous les crieurs de corps de ladicte ville pareillement vestuz de dueil et armoiez devant et derriere desdictes armes de France. Et après eulx estoient portées devant icelle lictiere lesdictes II torches ainsy armoiées en double que dit est. Et après icelle lictiere aloient faisans le dueil Messeigneurs les duc d'Orleans et conte d'Angolesme, freres, les contes d'Eu et de Dunois, messire Jehan Jouvenel des Ursins, chevalier, chancelier de France, et le grand escuier, tous revestus de dueil et montez à cheval2. Et puis, après icelle lictiere, aloient

deau, l'intervention de Tanneguy du Châtel, qui, au reste, paya de sa poche les frais des funérailles de son maître.

1. « Estoit lad. figure faite de cuir, revestue d'une tunique et d'un manteau de velour blanc à fleurs de lys fourré d'hermines, tenant en une de ses mains la main de justice et en l'autre main un grand sceptre ayant une couronne sur la teste et un oreiller de veloux dessous et un manteau d'or dessus » (J. Chartier, éd. Vallet, l. c.).

2. Charles, duc d'Orléans, né le 26 mai 1391, mort le 4 janvier 1465, avait épousé en troisièmes noces Marie de Clèves, qui lui survécut. Son frère Jean, comte d'Angoulême, né en 1404, mourut en 1467. Charles d'Artois, comte d'Eu, succéda tout enfant à Philippe, son père, en 1397. Il mourut le 25 juillet 1472.

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Jean, comte de Dunois, fils bâtard du duc d'Orléans Louis, naquit vers 1403 et mourut le 24 novembre 1468. Le chancelier de France, en 1461, se nommait Guillaume Jouvenel des Ursins, seigneur de Traînel, et non pas Jean; celui-ci était

à pié, deux et deux, tous les officiers de l'ostel dudit defunct, aussi tous vestus de dueil angoisseux, lesquelz il faisoit moult piteux veoir; et, de la grant tristesse et courroux qu'on leur veoit porter pour la mort de leurdit maistre, furent grans pleurs et lamentacions faictes parmy toute ladicte ville. Et aussi y avoit au joignant de ladicte lictiere six des pages dudit defunct, housez et esperonnez, sur six coursiers tous vestus et couvers de veloux noir, et lesdiz pages oudit habit de dueil. Et Dieu scet le doloreux et piteux dueil qu'ilz faisoient pour leurdit maistre ! Et disoit on lors que l'un desdiz pages avoit esté par quatre jour entiers sans boire et sans menger pour la grant passion qu'il portoit de ladicte mort.

Et le lendemain, qui fut vendredi vire jour d'aoust oudit an LXI, ledit corps d'icellui defunct fut tiré hors de ladicte eglise Nostre-Dame de Paris, environ trois heures après midi, et mené et acompaigné, comme devant est dit, en l'eglise Saint-Denis en France, et là il fut inhumé et y gist1. Nostre Sauveur Dieu ait mercy de son ame!

archevêque de Reims. Guillaume et Jean Jouvenel étaient frères, d'ailleurs, et tous deux fils de Jean Jouvenel, mort en 1431, président au Parlement de Poitiers. Guillaume Jouvenel, né le 15 mars 1400, mort le 23 juin 1472, exerçait les fonctions de chancelier depuis le 16 juin 1445. On verra plus loin qu'il fut destitué par Louis XI à son avènement, puis rétabli en 1465. La charge de grand écuyer était exercée depuis le 20 mai 1454 par Tanneguy du Châtel. Il avait épousé Jeanne de Raguenel, vicomtesse de la Bellière, et fut tué devant Bouchain en 1477.

1. Le cortège atteignit l'église de Saint-Denis le vendredi à huit heures du soir, et l'inhumation eut lieu le lendemain matin, après une messe dite, comme l'avait été celle de Notre-Dame de Paris, par Louis de Harcourt, patriarche de Jérusalem (J. Chartier, éd. Vallet, l. c.).

Et, vers la fin dudit mois d'aoust1, nostre souverain seigneur et roy de France Loys, lors estant daulphin de Viennoys et ainsné filz dudit defunct, succeda à ladicte couronne, fut sacré roy à Reims, par l'arcevesque Jouvenel 2; auquel lieu il fut moult noblement acompaigné par la pluspart des seigneurs de nom de son royaume, en moult grant et notable nombre.

Et, le derrenier jour dudit moys d'aoust, il party d'un hostel, estant aux faulxbourgs de la porte SaintHonoré, nommé les Porcherons, appartenant à messire Jehan Bureau, qui fut fait chevalier audit sacre à Reims, pour venir faire son entrée en sa bonne ville et cité de Paris3. Au devant de laquelle entrée yssi

1. Le samedi 15 août. On trouvera des détails sur le sacre de Louis XI dans Maupoint, p. 42; Th. Basin, II, p. 8 et suiv.; du Clercq, III, p. 151 et suiv., et particulièrement dans Chastellain, IV, p. 54 et suiv. Cf. Bibl. nat., ms. fr. 5739, fol. 234 et suiv., pap., xve s.

2. Jean Jouvenel des Ursins occupa le siège archiepiscopal de Reims du 13 mai 1449 au 14 juillet 1473.

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3. Interpolations et variantes, § II. Le nouveau roi, accompagné d'une suite nombreuse, se rendit de l'abbaye de SaintThierry, près Reims, à Paris, en passant par Meaux, où le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, parti de Reims après lui, le rejoignit le 21 août. Louis XI séjourna à Meaux et arriva à SaintDenis le 25, puis, le 29, il vint s'installer en « une petite placette nommée les Porcherons, » pour attendre que les Parisiens eussent terminé leurs préparatifs (Chastellain, IV, 75). Dès le 14 août, le prévôt des marchands et les échevins prenaient leurs dispositions pour loger chez l'habitant les gentilshommes qui faisaient cortège au roi, le nombre des hôtelleries ayant beaucoup diminué depuis que le feu roi et la cour avaient cessé de fréquenter Paris. Le 18, on vit arriver au bureau de la Ville les maréchaux des logis du roi et des princes du sang en quête de gîtes pour leurs maitres, et les quarteniers les conduisirent chez les habitants qui avaient offert des lits, les bourgeois de Paris ne pouvant être

rent hors de ladicte ville tous les estas d'icelle et par bel ordre pour illec trouver le roy et lui faire la reverence et bienveignant. En laquelle assemblée estoient l'evesque de Paris, nommé Chartier1, l'Université 2, la court de Parlement, le prevost de Paris, la Chambre des Comptes et tous officiers, le prevost des marchans et eschevins, tous vestus de robes de drap de damas fourrées de belles martres. Et lesquelz prevost des marchans et eschevins vindrent aux champs rencontrer et faire la reverence au roy. Et proposa devant lui pour ladicte ville ledit prevost des marchans nommé maistre Henry de Livres3, qui lui bailla et presenta les clefz de la porte Saint-Denis, par où il fist sadicte entrée. Et, ce fait, chascun se tira à part; et ou mesme lieu le roy fist ce jour grant nombre de chevaliers. Et, en venant par le roy vers ladicte porte Saint-Denis, il trouva près de l'eglise de Saint-Ladre

contraints par fourriers à loger les officiers du roi, gens de guerre ni autres (Ordonn. des rois, t. XV, p. 10 et suiv.).

1. Guillaume Chartier occupa l'évêché de Paris du 4 décembre 1447 au 1er mars 1472.

2. Le 25 juillet, l'Université fut assemblée pour discuter la question de savoir si elle se porterait au-devant du nouveau roi, et c'est seulement le 25 août qu'il fut décidé de ne rien changer aux habitudes anciennes et d'attendre Louis XI avec le clergé au parvis Notre-Dame (Du Boulay, Hist. de l'Université de Paris, 1670, in-fol., t. V, p. 651). Cette résolution déplut au roi, qui accueillit assez mal la harangue des universitaires (Voy. Relation de l'entrée du roi Louis XI à Paris, p. p. M. de La Fons-Melicoq dans le Messager des sciences de Gand, année 1461, p. 115).

3. Henry de Livres est qualifié, au mois d'août 1468, conseiller du roi au Parlement ès requestes du Palais (Bibl. nat., ms. fr. 2921, fol. 53).

4. L'église Saint-Lazare était en dehors des murs et très près de la porte Saint-Denis.

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