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ladicte ville de Paris en habit mescongneu, et n'y sejourna qu'un jour et une nuit, et puis s'en retourna. Et, quant il fut sceu qu'il estoit ainsi venu en ladicte ville, plusieurs officiers du roy et gens de façon d'icelle furent fort ymaginatifz comment ne pourquoy il estoit ainsi venu que dit est. Et de ladicte venue en furent portées les nouvelles au roy par aucuns qui en parlerent à la charge de ladicte ville, qui n'y avoient aucune coulpe. Et, pour ceste cause et à grant haste, le roy envoya audit lieu de Paris son mareschal, seigneur de Loheac, et maistre Jehan Bureau, tresorier de France, pour pourveoir et donner provision audit donné à entendre. Et, à ce que le roy n'eust aucune ymaginacion que ceulx de ladicte ville de Paris eussent aucune coulpe ou charge à ladicte venue, lui fut envoyé de par ladicte ville une ambaxade où estoient maistre Jehan de l'Olive, docteur en theologie et chancellier de l'eglise de Paris, Nicolas de Louviers, sire Jehan Clerebout, general maistre des monnoyes, sire Jehan Luiller, clerc de ladicte ville, Jaques Rebours, procureur d'icelle, Jehan Volant, marchant, et autres, tous lesquelz le roy receut très benignement. Et, après leur propos fait servant à leur excusacion, fut le roy très content d'eulx et leur fist bonne et gracieuse response, et s'en retournerent joieusement à Paris dont ilz estoient partis1.

1. Sur les circonstances de cette affaire, voir l'analyse que M. de Beaucourt a donnée d'une délibération prise par le conseil du roi le 14 novembre 1460, et dont le procès-verbal se trouve au ms. fr. 5040 de la Bibl. nat., fol. 213. André de Laval, seigneur de Lohéac, de Kergorlay, etc., maréchal de France, celui que Chastellain qualifie « une perle de chevalier

En ce temps messire Robert d'Estouteville, chevalier, qui estoit prevost de Paris, fut mis et constitué prisonnier en la bastide Saint-Anthoine à Paris, et depuis au Louvre, par l'ordonnance desdiz seigneurs de Loheac et maistre Jehan Bureau, pour aucunes injustices ou abus qu'on lui mettoit sus qu'il faisoit en excercant sondit office; dont de ce ne fut point

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entre mille » (éd. K. de Lettenhove, IV, 114; cf. Vaesen, Lettres de Louis XI (Soc. de l'hist. de Fr.), III, 266), reçut l'ordre de se faire assister, pour l'information qu'il était chargé d'ouvrir, par maîtres Pierre du Reffuge, Jean Avin et Henry de la Cloche, qui les premiers avaient dénoncé la présence à Paris du fils bâtard de Philippe le Bon. Ce séjour clandestin, à un moment où les relations du roi Charles avec le duc de Bourgogne, aigries par la présence du dauphin en Flandre, étaient extrêmement tendues, avait paru suspect et fit craindre un moment qu'il n'y eût « quelque entreprinse ou que l'on pourchassast, par delà, faire aucune chose prejudiciable au roy. » Jean Bureau, chevalier, seigneur de Montglat, etc., conseiller de Charles VII dès 1437, commis au fait de l'artillerie (1439), maître des comptes et trésorier de France (1445), maire de Bordeaux (1451), capitaine de Meaux, gouverneur de Pons (Bibl. nat., ms. fr. 20487, fol. 96), avait épousé Germaine Hesselin (voy. Beaucourt, Charles VII, passim, et Vaesen, Lettres de Louis XI, II, 93). Il mourut le 5 juillet 1463. Jean de l'Olive était chanoine de Notre-Dame et passait pour fort éloquent (Mém. de la Soc. de l'Hist. de Paris, t. IV (1877), p. 31). Nicolas de Louviers, bourgeois de Paris, échevin, puis receveur des aides, créé enfin conseiller aux comptes par Louis XI à son avènement, prévôt des marchands en 1463, mourut le 15 novembre 1483. Il avait épousé Michelle Brice (Longnon, Villon, p. 321, et Bibl. nat., Pièces originales, vol. 1764, doss. Louviers). Jean Clerbout était l'un des sept maîtres des monnaies désignés par l'ordonnance du 29 juin 1443 (Beaucourt, Charles VII, III, 471). — Jean Luillier, bourgeois de Paris, était clerc-greffier et receveur tant du domaine que des aides de la ville depuis le 19 août 1447 (Vitu, La Chronique de Louis XI dite Chronique Scandaleuse, etc., p. 44). Il avait épousé Jeanne de Vitry (Obituaire de la Grande Confrérie aux bourgeois, Arch. nat., LL 437, à la date du 5 janvier).

attainct. Et lors, par maistre Jehan Avin, conseiller lay en la court de Parlement, furent fais plusieurs explois en l'ostel dudit d'Estouteville, comme de cercher boistes, coffres et autres lieux pour savoir se on y trouveroit nulles lettres; et fist plusieurs rudesses oudit hostel à dame Ambroize de Loré, femme dudit d'Estouteville, qui estoit moult sage, noble et honneste dame. Dieu de ses exploiz le vueille punir, car il le a bien desservy1!

En ladicte année furent les rivieres de Seine et Marne moult grandes, tellement que en une nuit ladicte riviere de Marne creut et devint si grande à l'environ de Saint-Mor des Fossez 2 comme de la haulteur d'un homme, et fist plusieurs grans dommages en divers lieux. Et, entre autres dommages, ladicte riviere vint si grande à ung village nommé Cloye3, et en ung hostel ilec estant qui est à l'evesque de Meaulx, qu'elle en emporta toute la massonnerie du

1. Jean Avin avait été l'un des commissaires ordonnés à faire le procès de Jacques Cœur. Il vivait encore en 1489. Son hôtel était situé rue Saint-Antoine (Bibl. nat., ms. fr. 11686, fol. 129). Si la malédiction que le chroniqueur adresse à ce personnage n'a pas été ajoutée au moment des poursuites que Jean Avin fut chargé de diriger contre les officiers du duc de Bourbon en 1479 (voy. plus loin, à la date), il faut conclure que depuis longtemps il était l'ennemi des « Bourbonnais. » Il suffit peut-être que, dans l'occasion présente, il se soit acharné contre les d'Estouteville que Jean de Roye aimait, dont il fréquentait l'hôtel, et qu'il cite toujours avec un affectueux respect. Ambroise de Loré passait pour une des personnes les plus accomplies de son temps. Mariée vers 1446, elle mourut en 1468. Villon lui a dédié une ballade (éd. Longnon, p. 79 et 319).

2. Aujourd'hui dép. de la Seine, cant. de Charenton-le-Pont. 3. Claye, Seine-et-Marne, arrond. de Meaux, sur un petit affluent de la Marne.

devant dudit hostel, où il y avoit deux belles tours nouvellement basties, dedens lesquelles y avoit de belles chambres bien natées, voiriées1, garnies de litz, tapisserie et autres choses, que tout emporta ladicte riviere.

En ce temps, advint en Normandie que le corps de l'eglise de Fescamp, par male fortune et feu d'aventure, qui vint de la mer de devers les marches de Cornouaille, se bouta ou clocher d'icelle abbaye, qui fut tout brulé et ars. Et furent les cloches d'icelle abbaye toutes fondues et mises en une masse, qui fut moult grande pitié en ladicte abbaye2.

Oudit temps, fut grandes nouvelles par tout le royaume de France et en autres lieux de une jeune fille de l'aage de XVIII ans ou environ, qui estoit en la ville du Mans, laquelle fist plusieurs folies et grandes merveilles, et disoit que le dyable la tourmentoit, et sailloit en l'air, crioit, escumoit et faisoit moult d'autres merveilles, en abusant plusieurs personnes qui l'aloient veoir. Mais, enfin, on trouva que ce n'estoit que tout abus et qu'elle estoit une meschante fole et faisoit lesdictes folies et dyableries par l'ennortement, conduite et moien d'aucuns des

1. C'est-à-dire dont le sol était recouvert de nattes et les fenêtres vitrées :

« Sur mol duvet assis ung gras chanoine
Lez ung brasier, en chambre bien natée. »

(Villon, éd. Longnon, p. 83.)

2. Cette catastrophe eut lieu le 1er février 1461. Suivant Du Clercq, la foudre fondit les cloches et abattit le clocher avec la moitié de la nef (III, 97). L'abbé Cochet signale seulement la destruction d'une flèche en bois qui surmontait le clocher (Les églises de l'arrondissement du Havre, 1845, in-8o, 2o part., p. 9).

officiers de l'evesque dudit lieu du Mans, qui la maintenoient et en faisoient tout ce que bon leur sembloit, et qui ausdictes folies faire l'avoient ainsi duite1.

Oudit temps, advint derechef oudit royaume d'Angleterre, après que la desconfiture devantdicte ot ainsi esté faicte par ledit conte de Warwyk que le duc de Sommerset, cousin dudit roy Henry d'Angleterre, acompaigné de plusieurs autres jeunes seigneurs, parens et heritiers des autres princes et seigneurs qui avoient esté tuez à la prinse dudit roy Henry de Lencastre, firent de grans amas de gens d'armes et vindrent tenir les champs à l'encontre du dit duc de York. Et tant firent qu'ilz le vindrent trouver en ung champ lui et sa compaignie, qui furent ruez jus. Et oudit champ, nommé les pleines Saint-Albons, fut tué ledit duc de York; et, après qu'il ot esté tué, lui copperent la teste, laquelle ilz mirent au bout d'une lance; et autour d'icelle teste lui mirent une couronne de feurre en figure de couronne royale,

1. Cette diablerie » fit grand bruit à l'époque, et Du Clercq en conte tout au long les péripéties (III, 98 et suiv.). La soidisant possédée, Jeanne Seron, réussit à abuser complètement l'évêque du Mans, Martin Berruyer, ainsi qu'en témoigne la lettre qu'il adressa à la reine Marie d'Anjou le 19 décembre 1460, lettre dont le chroniqueur d'Arras a transcrit le texte. Charles VII envoya de Bourges au Mans, pour informer du fait, plusieurs doctes personnages, et, entre autres, le doyen de Rouen, maître Nicole Dubois (Reg. de l'hôtel de ville de Rouen A8, fol. 184). A la suite de cette enquête, Jeanne Seron fut, par délibération du conseil du roi, amenée à Tours, interrogée, trouvée « sorciere et corrompue. Convaincue de concubinage avec un jeune clerc, elle avoua son imposture, et fut condamnée à être mitrée et prêchée publiquement au Mans, à Tours et à Laval, enfin à pleurer ses péchés en prison à Tours pendant sept ans « en pain de douleur et en eau de tristesse. »

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