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DE MASSILLON *.

S'IL faut, & fur-tout dans la Chaire,

Que, pour toucher, convaincre & plaire,
L'Éloquence parte du Cœur ;

Ci-gît un vrai Prédicateur.

Par M. D. L. P.

* Né en 1663, mort en 1742, à 79

ans.

Le pathétique, les images fortes, la chaleur du fentiment, conftituent l'Eloquence de Massillon. Il détrompe l'efprit en gagnant le cœur. Toujours fertile, toujours abondant, il remplit les fujets qu'il traite en laiffant encore des nuances à faifir. S'il prodigue les fleurs de Rhétorique, il le fait fans confufion, ou plutôt avec un art qui plaît & qui féduit même fes Lecteurs. C'eft par-tout, dit l'Abbé des Fontaines, un raifonnement jufte & méthodique fans affectation; des penfées vives & délicates, des expreffions choisies, fublimes, harmonieufes, & toujours naturelles ; des images revêtues d'un coloris frappant; un style clair, net, & cependant plein & nombreux; nulle antithèfe, nulle phrâse recherchée; point de figures bizarres; une

extrême pureté dans le langage, fans exactitude puérile; une élégance continuelle, & en général une fécondité intariffable, & une abondance d'idées brillantes & magnifiques, qui femblent le langage naturel de l'Orateur. L'efprit le plus profane peut lire avec une efpéce de volupté les difcours de ce grand Prédicateur. Je ne crains point de dire, ajoute l'Abbé des Fontaines, (fi le facré peut être comparé au profane) que le Pere Maffillon eft au Pere Bourdaloue, ce que Racine est à Corneille.

C'eft (dit Voltaire) le Prédicateur qui a le mieux connu le monde; plus fleuri que Bourdaloue, plus agréable, & dont l'éloquence fent l'homme de Cour, l'Académicien & l'homme d'efprit; de plus, Philofophe modéré & tolérant.

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Louis XIV lui dit un jour : « Quand j'ai entendu les autres Prédicateurs, j'ai fouvent été content d'eux. Pour vous, "toutes les fois que je vous entends, je fuis toujours très mécontent de moi

་་

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« même. »

Un de fes Confrères le félicitant fur ce qu'il venoit de prêcher admirablement, fuivant fa coutume: «Eh! laiffez-moi, «mon Pere, lui répondit-il: le Diable "me l'a déjà dit plus éloquemment que

" vous. "

DE PHILIPPE DESPORTES. *

CI-GÎT, pour qui, fans Hyperbole,
L'Hypocrène fut un Pactole!

Du même.

Né à Chartres en 1516, mort en 1606. Peu de Poëtes ont été auffi bien payés de leurs vers. Henri III lui donna dix mille écus pour le mettre en état de publier les premiers Ouvrages; Charles IX huit cens écus d'or pour fon Poëme de Rodomont; l'Amiral de Joyeufe une Abbaye pour un Sonnet; & il mourut avec dix mille écus de rente.

Sa Mufe a une naïveté & une fimplicité également aimables. On en pourra juger par les vers fuivants :

O SOMMEIL, doux repos des Travaux ordinaires, Charmant par ta douceur les penfers ennemis! Charme ces yeux d'Argus qui me font fi contraires, Et retardent mon bien, faute d'être endormis.

Je voudrois être Roi, pour faire une Ordonnance,
Que chacun dût, la nuit, au logis fe tenir :
Les Amoureux, fans plus, d'aller auroient licence.
Si quelque autre fortoit, je le ferois punir.

Balzac difoit de Defportes: « Que les « dix mille écus de rente que fes vers lui "avoient acquis, pouvoient être regardés " comme un écueil contre lequel dix mille "Poëtes s'étoient brifés. »

D'YOUNG *.

ENTRE la Trifteffe & l'Horreur,
Sous le Bufte de JÉRÉMIE,
Couronné par l'Anglomanie;
Ci-gât ce nocturne Pleureur,
Dont la Verve noire & maudite,
En glaçant & brifant le Cœur,
Eût fait abjurer la Douleur

Au plus lamentable HERACLITE!

Idem.

* Poëte Anglois, né en 1684, & mort en 1755.

La mort de fon époufe & celle de deux enfans qu'elle avoit eus d'un premier mariage le plongerent dans un excès de mélancolie affez profonde pour lui faire enfanter le Poëme des Nuits, dont la traduction a fait, à fi jufte titre, la réputation de M. le Tourneur; mais que bien des François, & fur-tout les vaporeux de l'un & l'autre féxe, n'ont pu lire, malgré

toutes les beautés dont il fourmille, fans éprouver le fentiment auffi pénible que douloureux dont fe plaint l'Auteur de cette Epitaphe.

Quelqu'un a dit de ce Poëte:

LE trifte YOUNG cherchoit les épaiffes tenébres;
Errant dans l'horreur des Tombeaux,
Aux lugubres accens des finiftres Oiseaux,
Il mêloit fes accens funébres.

Les Nuits d'Young, telles que M. le Tourneur les a données dans notre langue, font & doivent être préférées à l'Ouvrage Anglois. Le Traducteur a eu le talent d'embellir, par une touche auffi vigoureuse que fublime, les moindres penfées de ce Poëte auffi lugubre qu'énergique: mérite qui ne doit point paroître médiocre aux yeux de ceux qui favent que la Langue Angloife eft fupérieure à la nôtre pour rendre les idées fombres, fortes & pittorefques.

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