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en son nom, le rendit indolent, malgré son aptitude au travail; inintelligent des situations, malgré la rectitude de son esprit ; ombrageux et dur, malgré la douceur de son caractère 1. »

Dans le jugement suivant, formulé pourtant par Augustin Thierry à la fin de sa carrière, on retrouve encore la trace d'opinions préconçues : c'est l'appréciation du règne plutôt que celle du Roi, relégué à ce rang de témoin que lui a assigné le président Hénault :

« Du long et pénible travail de la délivrance nationale sortit un règne dont les principaux conseillers furent des bourgeois, et le petit-fils de Charles V reprit et développa les traditions d'ordre, de régularité, d'unité qu'avaient créées le sage gouvernement de son aïeul. Charles VII, roi faible et indolent par nature, occupe une grande place dans notre histoire, moins par ce qu'il fit de lui-même que par ce qui se fit sous son nom; son mérite fut d'accepter l'influence et de suivre la direction des esprits les mieux inspirés en courage et en raison. Des âmes et des intelligences d'élite vinrent à lui et travaillèrent pour lui, dans la guerre avec toutes les forces de l'instinct patriotique, dans la paix avec toutes les lumières de l'opinion nationale... L'esprit de réforme et de progrès modela sur un plan nouveau toute l'administration du royaume : les finances, l'armée, la justice et la police générale. Les ordonnances rendues sur ces différents points eurent leur plein effet, et elles se distinguent, non comme les précédentes par une ampleur un peu confuse, mais par quelque chose de précis, de net, d'impérieux, signe d'un talent pratique et d'une volonté sûre d'elle-même parce qu'elle a le pouvoir... La forme de la monarchie moderne, de ce gouvernement destiné dans l'avenir à être à la fois un et libre, était trouvée; ses institutions fondamentales existaient; il ne s'agissait plus que de le maintenir, de l'étendre et de l'enraciner dans les mœurs. Le règne de Charles VII fut une époque d'élan national; ce qu'il produisit de grand et de nouveau ne venait pas de l'action personnelle du prince, mais d'une sorte d'inspiration publique d'où sortirent alors en toutes choses le mouvement, les idées, le conseil 2. »

La même année, un écrivain distingué, bien connu par ses beaux travaux sur Colbert et l'administration sous le règne de Louis XIV, consacrait deux volumes à Jacques.

1. Aperçus nouveaux sur l'Ilistoire de Jeanne d'Arc (Paris, Jules Renouard, 1850, in-8°), p. 24.

2. Essai sur l'Histoire de la formation et des progrès du Tiers-État (Paris, Furne, 1853, gr. in-8°), p. 63-64.

Cœur. En retraçant l'histoire du célèbre argentier, M. Pierre Clément se plaçait à son tour en face de cette figure royale, si diversement jugée, et se demandait ce qu'il faut en

penser.

« Peu de princes ont été jugés d'une manière plus différente et plus contradictoire que Charles VII. Frappés uniquement de ses défauts, la plupart des historiens lui ont refusé tout mérite personnel... Si j'ai bien compris cette physionomie, elle a été souvent sacrifiée contre toute justice... Il y a dans la vie de de Charles VII deux parts distinctes à faire. Pendant les douze ou quinze premières années de son règne, il se montra faible, sans volonté, sans confiance en lui-même, se laissant diriger par des favoris qu'on lui imposait violemment. Puis, rendu plus habile et plus prudent par ses fautes mêmes, car le métier de roi, suivant l'expression de Louis XIV, a, plus que tout autre, besoin des leçons de l'expérience, il finit par acquérir cette volonté, cet esprit politique et de suite qui lui manquaient d'abord, et poussé, sinon par la nature même, du moins par les nécessités de sa position, il se battit vaillamment, chassa les Anglais du royaume, fit adopter des réformes capitales, et assura, par un acte célèbre, les libertés de l'Eglise gallicane. Je ne parle pas de la fermeté qu'il déploya contre son indigne fils at contre quelques princes du sang. Ce n'est donc point dans le roi, mais dans l'homme, qu'il faut chercher les défauts de Charles VII. Ces défauts sont principalement l'ingratitude, l'oubli complet des plus grands services, et des faiblesses étranges, scandaleuses, qui le rendirent, surtout vers la fin de sa vie, indifférent à toute pudeur...

<< Charles VII réforma la justice, organisa l'armée, publia d'excellents règlements sur les finances, rétablit l'ordre dans les monnaies, fonda l'administration et porta le premier coup à la féodalité... On peut le dire avec vérité : sous le rapport politique et administratif, la France sortait en quelque sorte du chaos; une ère nouvelle commençait... Pour quiconque examine attentivement l'ensemble des travaux de cette époque, il est constant que là se trouve le véritable point de départ de la société nouvelle... On devine, on sent, en étudiant les chroniqueurs contemporains, qu'aucun roi de France n'a été, de son vivant, plus aimé et plus populaire 1. »

Nous arrivons à l'apparition du tome VI de la nouvelle Histoire de France de M. Henri Martin, qui, après ses

1. Jacques Cœur et Charles VII, ou la France au quinzième siècle (Paris, Guillaumin, 1853, 2 vol. in-8o), t. 1, pages VIII, XLV-XLVII, 100, 132; t. II,Jp. 234.

quinze volumes de 1834-36 et ses dix-huit volumes de 1838-53, avait commencé, en 1855', une quatrième édition, entièrement refondue, qui constitue un ouvrage absolument différent des deux précédents. Nous avons ici la dernière manière de l'historien et son jugement définitif sur Charles VII :

<< Charles VII, à la fois mobile et obstiné, léger et « songeur, » soupçonneux envers les bons et crédule aux méchants, amolli dès l'adolescence par ce précoce abus des voluptés qui avait coûté la raison à son père et la vie à son frère, ne montrait en rien l'activité d'esprit et de corps, ni les passions énergiques de son âge. Il n'était pas lâche quand il fut obligé de payer de sa personne, il le fit honorablement; mais il craignait les fatigues et le tumulte des camps il n'était ni cruel ni absolument insensible; mais sa sensibilité toute physique, pour ainsi dire, était sans profondeur et sans durée; sa vie morale était toute dans la sensation présente; si son esprit était capable de réflexion et de souvenir, jamais homme n'eut moins que lui la mémoire du cœur; il était ingrat, moins par perversité réfléchie que par impuissance morale...; toujours à la merci du premier intrigant qui s'emparait de son esprit en flattant son humeur défiante et ses goûts de paresse et de volupté... Son épicuréisme pratique s'éloignait, tant qu'il pouvait, de la vue du mal, pour échapper à toute impression pénible... Plus tard, beaucoup plus tard, la maturité de l'âge exerça sur ses facultés une favorable influence; sa rectitude d'esprit ne demeura plus stérile; l'aptitude au travail et à l'action, la volonté, la personnalité, à un certain degré, se manifesta en lui. Cette modification fut bien lente, et il ne se défit jamais d'ailleurs du vice des petites âmes, la défiance jalouse contre tout ce qui était grand; la haine ou la peur des trop éclatants services... Il ne faut pas être injuste cependant... Le mérite passif qu'on est obligé de reconnaître à Charles VII, c'est d'avoir accepté le mouvement qui portait la bourgeoisie intelligente aux affaires et qui sortait du fond mème de la France... Il avait au moins, pour vertu négative, l'antipathie des excès des gens de guerre... Il avait aussi les avantages négatifs de son vice, la << méconnoissance » et ne gardait guère plus de mémoire des offenses que des bienfaits 2. »

1. Le premier volume porte le millésime de 1855. L'avertissement est daté de juillet 1854.

2. Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789, 4o édition (Paris, Furne, 1855-60, 17 vol. gr. in-8°), t. VI, pages 90, 91, 109, 323, 365, 368, 385. Notons ici que M. H. Martin s'est empressé d'adopter l'assertion de Michelet sur Yolande donnant Agnès Sorel pour maîtresse à son gendre : « Elle ne pouvait, dit-il

Le tome VI de l'Histoire de France de M. Henri Martin souleva, à son apparition, une polémique que nous ne pouvons passer sous silence, car elle n'a point été sans influence sur le mouvement de l'opinion. Il faut si peu de chose pour former un courant dans un sens ou dans un autre! Un critique distingué, qui fut mêlé à ce débat, ne nous dit-il pas que l'appréciation sévère du caractère de Charles VII, faite par M. Quicherat, avait, en raison de l'autorité de l'auteur et de la discrétion même de ses vues, semblé « déterminer l'histoire contre Charles VII, » et que, comme tout le monde, il avait été entraîné à se ranger à ce sentiment 1? Il n'était donc point. inutile qu'en présence du véritable réquisitoire formulé par M. Henri Martin, s'élevât une protestation, appuyée sur ces documents originaux que l'historien invoquait à ses débuts, et dont il faisait ici si bon marché. C'est ce que tenta de faire, avec quelque audace, un écrivain fort jeune alors et très inexpérimenté 2. Par bonheur, il ne fut pas seul à soutenir l'attaque M. Émile Chasles, dans la Revue contemporaine, M. Alfred Nettement, dans l'Union, intervinrent dans le débat, et combattirent avec autorité la thèse de l'historien. M. Henri Martin dut prendre la plume à son tour pour répondre aux critiques dont son livre avait été l'objet, ce qui lui attira une réplique assez vive o.

Le résultat de cette polémique, pour tout juge non prévenu, fut le sentiment unanime que l'historien avait dépassé les bornes et fait preuve, dans ses appréciations,

(p. 331), l'empêcher d'avoir des maîtresses; elle lui en donna une de sa main et le gouverna par cet étrange intermédiaire. »

1. M. Émile Chasles, dans l'article cité ci-dessous.

2. Le règne de Charles VII d'après M. Henri Martin et d'après les sources contemporaines, par G. du Fresne de Beaucourt. Paris, Durand, mars 1856, in-8° de 115 p. 3. Une question de justice historique : le caractère de Charles VII, par M. Émile Chasles, dans la Revue contemporaine du 30 juin 1856 (t. XXII, p. 310–328).

4. D'une polémique récente à l'occasion de Charles VII et de Jeanne d'Arc, par M. Nettement, dans l'Union des 2 et 16 juillet 1856.

5. Des récentes études critiques sur Jeanne Darc (sic). Revue de Paris du 15 septembre 1856.

6. Un dernier mot à M. Henri Martin, par G. du Fresne de Beaucourt. Paris, Durand, janvier 1857, in-8° de 60 p.

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d'une singulière partialité. Il nous paraît, écrivait M. Émile Chasles, que M. Henri Martin a manqué de justice en accablant de mépris Charles VII. A supposer que l'on doive demeurer dans l'incertitude sur le vrai caractère de ce roi, le livre de M. Henri Martin reste en dehors de l'esprit moderne de l'histoire '. » Et M. Nettement, allant au fond de la question, qu'il résumait en maître, après avoir montré le peu de fondement du système de M. Henri Martin, faisait toucher du doigt chez l'historien la passion politique à laquelle il avait cédé et qui l'avait égaré : « C'est, disait-il, un libéral de l'école de 1827, qui veut prouver que le roi du quinzième siècle a régné et n'a point gouverné; il ne juge point Charles VII, il fait de l'opposition contre lui. »

De même que, dans cette revue des historiens, nous avons négligé Genoude3, de même nous passerons sous silence les travaux de M. Amédée Gabourd, l'abbé Pierrot, Auguste Trognon, aussi bien que les multiples abrégés parus de nos jours". Trois auteurs seulement doivent encore fixer notre attention: M. Hippolyte Dansin, M. Dareste, M. Vallet de Viriville ".

1. Revue contemporaine, l. c., p. 328.

2. Un dernier mot sur une polémique récente à propos de Jeanne d'Arc, dans l'Union du 5 mars 1857.

3. Histoire de France, 1844-1850, 30 vol. in-8° (16 jusqu'à la Révolution).
4. Histoire de France, 1855-62, 20 vol. in-8°.
5. Histoire de France, 1857-60, 15 vol. in-8°.

6. Histoire de France, 1863-61, 5 vol. in-8°.

7. Nous indiquerons ceux de MM. Émile de Bonnechose (1834, 2 vol. in-12, 14 éditions jusqu'en 1869), Mazas (1834-36, 4 vol. in-8°, 4o éd. en 1846), Henrion (1837-40, 4 vol. in-8°), Am. Gabourd (1839-40, 3 vol. in-12, nouv. éd. en 1843, 1846, 1851), Mennechet (1840, 4 vol. in-12, nouv. éd. en 1863), Théod. Burette (1840, 2 vol. gr. in-8°, nouv. éd. en 1812 et 1859), Achmet d'Héricourt (1844-46, 2 vol. in-8°), l'abbé Mury (1860, 2 vol. in-12, nouv. éd. en 1875-76, 4 vol. in-12), Henri Abel (1861, 5 vol. in-12), Edmond Demolins (1878-80, 4 vol. in-12). Nous devons distinguer des simples abrégés l'Abrégé de l'Histoire de France de M. Victor Duruy, parce qu'il a eu, outre l'édition en 2 vol. in-12 de 1855, une édition illustrée, revue et très augmentée, publiée en 1862 par Lahure, sans nom d'auteur, sous ce titre : Histoire populaire de la France (2 vol. gr. in-8°). Dans cet ouvrage, M. Duruy dit qu'au début de son règne, et pendant de longues années, Charles VII « ne montra de vivacité que pour les plaisirs et une sorte d'hébétement en face des affaires et des périls » (t. II de l'Histoire populaire, p. 2); il est vrai qu'il lui rend justice plus loin, en parlant de la dernière partie de son règne.

(8) Nous ne croyons pas devoir faire une mention spéciale de l'Histoire de France

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