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avaient pris les devants d'une façon si étrange, se seraient-ils trouvés contraints de revenir sur les engagements contractés par leurs ambassadeurs? Si les documents anglais nous révèlent les difficultés qui surgirent au cours des négociations, un grave historien français nous apprend les divisions qui régnaient dans le Conseil, où se trouvaient des hommes assez bons Français pour ne point consentir à sacrifier les intérêts du royaume. Une discussion s'engagea sur la question de savoir s'il ne fallait point, au lieu de tout céder au roi d'Angleterre, tenter de se rapprocher du Dauphin. Le parti bourguignon et le parti français se trouvèrent aux prises. On vit le conseiller intime du duc de Bourgogne, le futur chancelier de son fils, Nicolas Rolin, prétendre que la paix avec les Anglais était une nécessité qu'il fallait subir, et qu'un si grand bien pouvait être acheté au prix de l'abandon d'une partie du royaume. Un président au Parlement, Jean Rapiout, soutint l'avis contraire. Ce furent les Bourguignons qui l'emportèrent on décida qu'il fallait traiter avec les Anglais, et qu'il convenait de leur accorder ce qu'ils demandaient 2. A Paris, où l'on se préoccupait vivement des négociations, on regardait déjà la chose comme conclue; et à ce propos, le fougueux auteur du Journal d'un bourgeois de Paris laisse échapper cette exclamation, où la passion politique s'efface devant le cri de la conscience publique « Et fut une dure chose au Roy de France que lui, qui devoit estre le souverain Roy des Chrestiens, convint qu'il obeist à son ancien ennemy mortel, pour estre contre son enfant et ceulx de la bande 3. »

Mais, au milieu des discussions qui s'engagèrent", le parti

1. Jouvenel, p. 366-68.

2. Jouvenel, l. c.

3. Journal d'un bourgeois de Paris, p. 124.

4. Nous n'ajoutons pas grande foi, après ce que nous révèlent les documents diplomatiques, au récit de Monstrelet (t. III, p. 321-22) et à l'altercation qui se serait produite entre le duc et le roi d'Angleterre. Jean sans Peur, pendant la durée des conférences, traita avec Henri V de ses intérêts personnels, et l'on a quelques-uns des actes de cette négociation (Rymer, p. 122-23), qui se dénoua par la conclusion d'un traité signé à Calais le 14 juillet. D'ailleurs, l'attitude de Henri V à l'égard du duc, à la suite des conférences, la continuation des relations entre les deux princes indiquent qu'ils n'étaient rien moins que brouillés. Aussi bien, Jean sans Peur était un grand comédien les paroles qu'on lui prête ont pu, malgré tout, être prononcées.

français regagna du terrain: il fit si bien qu'il imposa sa loi à la Reine et au duc', et qu'il fit avorter les négociations. Le 30 juin, les conférences avec Henri V prirent fin; le 11 juillet, le traité de Pouilly était signé entre Jean sans Peur et le Dauphin.

1. Nous avons à ce sujet l'aveu d'Isabeau elle-même. Dans la lettre qu'elle adressa le 20 septembre 1419 au roi d'Angleterre, et qu'on a lu plus haut (p. 186-89), elle constate que si elle et le duc avaient traité avec le roi d'Angleterre, tout le monde les aurait abandonnés.

2. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans une lettre datée de Mantes, le 14 juillet, et signée R. PRIOUR « And whanne it (le traité tel qu'il avait été accepté de part et d'autre) was broughte to the point for to have ben engrossed, und fullyth to be maad an ende of, the saide frenssh partie hath comen with diverses demandes and questions, in lettyng and tarygng of that matere, so ferforthe that now at this tyme it is not knowen whethir we shall have werre or pees. » Rymer, l. c., p. 126.

CHAPITRE IX

LA DIPLOMATIE DU DAUPHIN

§ II. — NÉGOCIATIONS AVEC LES DIVERSES PUISSANCES DE 1418 A 1422

Situation faite à la France, en Europe, par la simultanéité de deux gouvernements rivaux. Relations avec la Castille et avec l'Écosse; le Dauphin fait échouer les efforts de la politique bourguignonne près de ces deux puissances et obtient d'elles une assistance armée. —. Attitude du duc de Savoie. - Influence politique de la reine Yolande : la maison d'Anjou en Lorraine et à Naples. Continuation des relations avec la Castille et l'Écosse, et ouvertures faites à l'Aragon. Le meurtre de Montereau consomme l'alliance anglo-bourguignonne : traités d'Arras et de Rouen, bientôt suivis du traité de Troyes. Accueil que ce traité reçoit en Europe. Relations du Dauphin avec la cour de Rome : dispositions plus favorables du Pape, qui intervient en faveur de la paix et envoie un légat en France. Nouveau secours d'Écosse en 1421. Efforts du roi d'Angleterre pour contrebalancer l'action de la France; il cherche des auxiliaires en Allemagne et s'allie à la République de Gênes. - Ambassade du Dauphin en Castille. Ouvertures faites au duc de Milan, qui autorise la levée d'un corps de troupes.

La situation faite à la France, depuis le 29 mai 1418, par la simultanéité de deux gouvernements, l'un, celui du Roi, siégeant à Paris, représenté par la Reine et le duc de Bourgogne; l'autre, celui du Dauphin, installé dans les provinces du centre, soulevait un problème délicat au point de vue des relations internationales avec lequel de ces gouvernements les puissances étrangères unies à la France par d'anciens traités, telles que la Castille et l'Écosse, allaient-elles entretenir des rapports? Cette question semble avoir, dès le début, préoccupé le duc de Bourgogne; car, aussitôt que l'autorité du nom d'Isabeau fut venue couvrir sa rébellion et donner à ses

actes une apparence de légalité, il fit de Troyes où il résidait

des ouvertures au roi de Castille.

Le trône de Castille était alors occupé par un enfant, Jean II, né le 6 mars 1405, dont la sœur avait épousé en 1415 le roi d'Aragon, Alphonse V. D'antiques alliances unissaient la Castille à la France des traités successifs, conclus en 1274, 1294, 1346, avaient été renouvelés entre Charles V et Henri de Transtamarre, quand l'épée victorieuse de Du Guesclin eut assuré à ce prince la possession du trône (20 novembre 1368) '. Au début du règne de Jean II, le traité de Valladolid, dirigé principalement contre l'Angleterre, était venu (décembre 1408) sceller l'alliance intime de la Castille et de la France, et devait, pendant de longues années, demeurer la charte réglant les rapports des deux États".

Henri IV, roi d'Angleterre, dont la soeur, Catherine de Lancastre, avait épousé Henri III de Castille, père de Jean II, et exerçait la régence pendant la minorité de celui-ci, avait voulu profiter de ces rapports de familles pour renouer avec la Castille des relations interrompues depuis de longues années. Il en entretenait, et d'assez étroites, avec la Cour d'Aragon qui, bien qu'unie à la France par des liens très anciens, les avait laissés se relâcher depuis le milieu du quatorzième siècle, et qui, tandis que la Castille demeurait française, était devenue favorable à l'Angleterre. Peu après son avénement, Henri V signa (28 janvier 1414) un traité avec Jean II, stipulant une trêve générale d'un an3, laquelle fut ensuite prolongée pour une égale durée. Après la prise

1. Voir Du Mont, Corps Diplomatique, t. II, part. 1, p. 68. Ce traité fut confirmé en 1387 et 1390. Archives, J 915, no 9. Sur les relations de la France avec la Castille, voir une note très érudite, dans l'excellente édition du Vietorial, donnée en 1867 par le comte Albert de Circourt et le comte de Puymaigre, p. 556-559.

2. Voir ce traité dans Du Mont, t. III, p. 1, p. 510, et dans Rymer, t. IV, part. I, p. 144. 3. Il est fait allusion à une alliance entre Henri III et Alphonse X, dans des instructions données par Henri V, le 5 décembre 1416 (Rymer, I. c., p. 187); elle fut conclue entre 1252 et 1272. Édouard III s'était allié, dans le siècle suivant (janvier 1363) avec Pierre le Cruel; mais cette alliance avait été éphémère, et l'avénement d'Henri de Transtamarre avait rattaché étroitement la Castille à la France.

4. Traités de 1290, 1293, 1298 et 1352. Archives, J 915.

5. Rymer, t. IV, part. ш, p. 67-69.

6. Voir Rymer, l. c., p. 93 et 104.

d'Harfleur et la victoire d'Azincourt, il avait, nous l'avons vu, envoyé une ambassade en Castille pour solliciter une alliance'. En janvier 1417, il fit partir de nouveaux ambassadeurs, avec mission de rappeler l'alliance conclue autrefois, et de la renouveler si c'était possible; en cas d'échec, on invoquerait le traité récemment signé entre la Castille et le Portugal', afin de faire comprendre l'Angleterre dans la trêve, comme alliée du roi de Portugal; en outre, on devait tout tenter pour rompre l'alliance française. Henri V semble avoir échoué dans cette négociation, mais il resta pourtant en relation avec la Castille.

La France fut plus heureuse en Aragon que l'Angleterre ne l'avait été en Castille. Toutes les contestations soulevées dans ce pays par la succession de Jean Ier (mort en 1395) avaient enfin cessé par la renonciation de Yolande d'Aragon, duchesse d'Anjou, et la reconnaissance d'Alphonse V qui, le 2 avril 1416, avait succédé à son père Ferdinand IV, monté sur le trône le 28 juin 1412. Du vivant de celui-ci, et au milieu de ces compétitions, la politique française et la politique anglaise s'étaient rencontrées en Aragon. Charles VI entretint des relations avec don Ferdinand, et même avec son prédécesseur don Martin; il envoya une ambassade chargée de renouveler les alliances avec la France. En 1413, l'Angleterre laissa le duc de Clarence signer un traité d'alliance avec le comte d'Urgel et prêter à celui-ci un concours armé dans sa lutte contre Ferdinand IV 6.

1. Voir plus haut, p. 261. Pouvoir donné, en date du 13 janvier 1416, à Jean Tiptoft, sénéchal d'Aquitaine, et à d'autres, pour traiter avec le roi de Castille. Rymer, l. c., p. 152. 2. Ce traité est de 1411. Il se trouve dans Leibniz, Codex diplomaticus, p. 290-305. 3. Instructions à John Seynt-John et autres, en date du 15 décembre 1416 (Rymer, l. c., p. 187). Leurs pouvoirs sont du 26 janvier 1417 (p. 191).

4. Sauf-conduit du 17 novembre 1417 à Gaya Gareya, venant en la compagnie de Jean de Saint-Pierre (Léchaudé d'Anisy, Rôles normands, p. 235). John Hull resta en Castille pendant toute cette année (Voir Proceedings and ordinances, t. II, p. 239). Une lettre du roi d'Angleterre, datée de son ost devant Falaise le 10 février (1418), parle du long séjour fait en Castille par John Hull, et ordonne de lui donner une gratification proportionnelle au temps qu'il y a passé (sir H. Ellis, Original letters, 3a series, t. I, p. 64).

5. Curita, Anales de la Corona de Aragon, t. III, f. 9 vo et f. 91-92. Voir sur une autre ambassade, envoyée en 1410-1411, après la mort de Martin, le Recueil de Besse, p. 81 et suiv., et les documents publiés dans la Colleccion de documentos ineditos del Archivo general de la Corona di Arayon, t. I, p. 252 et suiv. Cf. t. X, p. 350 et suiv., Hist. des Comtes d'Urgel.

6. Ferreras, Hist. générale d'Espagne, t. VI, p. 190.

On vit aussi, dans l'armée du

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