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fugitive, de calme et de bonheur, au milieu d'une existence traversée jusque-là par tant d'agitations et vouée dans l'avenir à de si rudes épreuves. Que de fois, dans le cours de sa vie, au milieu des labeurs et des misères de sa royauté naissante ou parmi les tristesses de sa vieillesse, ses souvenirs ne se reportèrent-ils pas vers ces années d'enfance, écoulées sur les bords de la Loire ou sous le ciel de la Provence, où pour la première fois il avait appris ce que c'est qu'une mère, où il avait pu goûter un instant les douceurs de la famille!

Les événements devaient abréger ce séjour en Provence : une invasion anglaise était imminente, et tous les princes du sang devaient se serrer autour du trône; en arrivant dans le Maine, au commencement d'octobre, le roi de Sicile apprit coup sur coup la descente d'Henri V à Harfleur et la perte de cette ville. Charles VI venait de se rendre à Rouen pour préparer la résistance; Louis II se hâta de l'y joindre il partit le 12 octobre, laissant le comte de Ponthieu près de sa femme 1. Le 20, il assista au Conseil où fut discutée la marche à suivre pour arrêter l'ennemi, et où l'on décida de livrer bataille2. Cinq jours plus tard, la France subissait à Azincourt le plus cruel et peut-être le plus irréparable des désastres que les Anglais aient infligés à nos armes. Revenu à Paris avec la Cour, le roi de Sicile se trouvait à Angers le 20 décembre 3. C'est à cette époque que, sur la présentation du duc de Guyenne, le Roi donna au comte de Ponthieu une charge importante, la capitainerie du château de Vincennes'. Nous avons l'original d'une lettre missive adressée à ce sujet à la Cour des Comptes, le 23 novembre 1415 5.

Le comte de Ponthieu ne fut point, comme le prétend Mons

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1. KK 243, f. 46 vo. Ils étaient passés en septembre à Orléans, où ils avaient été logés au palais ducal (Voir Vallet, t. I, p. 17-18, et Catalogue Joursanvault, no 3927). 2. Monstrelet, t. III, p. 98.

3. Le roi Louis, souffrant déjà de la maladie de vessie qui devait l'emporter, était arrivé par eau à Paris le 30 novembre; il en repartit le 10 décembre (Jouvenel, p. 321-22). La date de son arrivée à Angers nous est donnée par les comptes (KK 243, f. 46 vo). 4. Cité par le P. Anselme, t. I, p. 115, d'après mémorial H de la Chambre des Comptes, f. 37.

5. Nous l'avons trouvée dans la collection Gaignières (Fr. 20437, f. 7). C'est la première lettre de Charles qu'on possède. Elle porte sa signature originale. Nous la donnerons dans les Pièces justificatives.

trelet, mêlé aux événements de cette année; il ne parut ni à Rouen, au Conseil du 20 octobre, ni à Paris, à celui où l'on décida d'appeler le comte d'Armagnac : il demeurait paisiblement à Angers, sous la garde de la reine Yolande1. Il y resta même bientôt seul. La mort du duc de Guyenne, ce prince frivole, adonné à une vie inutile et luxueuse, usé par des excès précoces, qui survint le 18 décembre 14152; l'arrivée de l'empereur Sigismond à Paris 1er mars 1416), forcèrent le roi de Sicile à y revenir, et la reine l'accompagna3. C'est pendant leur séjour qu'un complot, tramé par la faction bourguignonne, faillit amener le massacre d'une partie de la famille royale, et en particulier de la reine de Sicile. Les révélations d'une femme amenèrent la découverte de la conspiration, et les mesures énergiques prises par le prévôt de Paris, Tanguy du Chastel, empêchèrent seules le coup d'aboutir 4.

Le nouveau Dauphin, Jean, duc de Touraine, résidait à la Cour du comte de Hainaut, son beau-père, et, malgré les sollicitations qui lui étaient faites, ne se hâtait pas de se rendre dans la capitale. Le duc de Berry, dernier survivant des frères de Charles V, qui, malgré son grand âge, tenait encore

1. Voir Monstrelet, t. III, p. 98 et 126. -- J'avais, à l'exemple de M. Vallet (t. I, p. 18), eu le tort de suivre Monstrelet, dans mon étude sur le caractère de Charles VII (Revue des questions historiques, t. IX, p. 353). L'examen des Comptes de la reine Yolande ne laisse aucun doute à cet égard (KK 243, f. 46 vo).

2. « Du mercredy XVIe jour de decembre MCCCCXV. Ce jour Mgr Loys de France, aisné fils du Roy nostre sire, Dauphin de Viennois et duc de Guyenne, mouru, de l'aage de vingt ans ou environ; bel de visage, souffisamment grant et gros de corps, pesant et tardif et po agile, volontaire et moult curieux à magnificence d'habits et joyaux circa cultum sui corporis, desirant grandeur d'honneur de par dehors, grant despensier à ornemens de sa chapelle privée.. Et si avoit bon entendement tant en latin que en françois, mais il employoit po, car sa condicion estoit à present d'employer la nuict à veiller et po faire, et le jour à dormir; disnoit à trois ou quatre heures après midy et souppoit à minuict et alloit coucher au point du jour ou à soleil levant souvent. Et pour ce estoit avanture qu'il vesquist longuement. » Reg. du Parlem, dans Felibien, Histoire de Paris, t. IV, p. 560. Cf. Religieux, t. V, p. 586. Voir sur le duc de Guyenne l'intéressant écrit du regrettable Léopold Pannier, les Joyaux du duc de Guyenne.

3. Monstrelet, t. III, p. 135-36. Le roi et la reine partirent d'Angers avec Mgr de Guise et Mgr René le 27 février. Le comte et la comtesse de Ponthieu restèrent à Angers (KK 243, f. 47). C'est donc à tort que Monstrelet fait venir le comte de Ponthieu à Paris à ce moment.

Chose à remarquer,

4. Voyez les détails donnés par Monstrelet, t. III, p. 140-42. parmi ceux qui furent pris en flagrant délit et exécutés, figuraient de « notables hommes » que le chroniqueur désigne. Cf. Jouvenel, p. 332-33; Journal d'un bourgeois de Paris, p. 70; Reg. du Parlement, dans Felibien, t. IV, p. 561; Cousinot, Geste des Nobles, p. 160.

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une grande place dans le Conseil, disparut à son tour le 15 juin 1416. En l'absence de son frère, le comte de Ponthieu fut appelé à recueillir l'héritage politique du duc. Il quitta Angers, le 16 juin', pour rejoindre ses beaux-parents, et fut nommé capitaine général de Paris, en remplacement du duc de Berry 2. Le 15 juillet, il reçut en apanage le duché de Touraine, et en fit hommage le même jour entre les mains du Roi3. La maladie de Charles VI, les infirmités croissantes de la reine Isabeau laissaient au roi de Sicile tout le poids du gouvernement; il avait alors la présidence du Conseil ', et, sous son habile direction, Charles allait pouvoir s'initier aux affaires. Le duc de Touraine, bien qu'àgé de moins de quatorze ans, paraît au Conseil à partir du 3 septembre 1416 3.

Le roi Louis, dans ce poste élevé, était en butte aux animosités de plus en plus ardentes du duc de Bourgogne, qui le regardait comme son ennemi personnel : profitant de l'absence du connétable d'Armagnac, occupé à combattre les Anglais, Jean sans Peur tenta de faire enlever Louis aux portes mêmes de la capitale. Mais la mort ne devait pas tarder à le délivrer de ce rival redoutable en proie à un mal qui le minait lentement, le roi de Sicile dut, après les fêtes de Noël, quitter Paris, et se retirer en Anjou, où il mourut quatre mois plus tard (29 avril 1417).

Le duc de Touraine restait seul et sans guide sur la scène politique où il avait été appelé si jeune.

1. KK 243, f. 47.

2. Berry, ap. Godefroy, p. 431; Monstrelet, t. III, p. 146. « Donna à Charles, son mainsné fils, dit Monstrelet, la capitainerie de Paris soubs le gouvernement du Roy Loys, son beau-père. »>

3. Ordonnances, t. X, p. 371.

4 I figure parmi les signataires des ordonnances des 16 et 25 juin, 15 juillet, 3 septembre et 22 octobre. Ordonnances, t. X, p. 369, 371, 372, 379, 382, 385. 5. Ordonnances, t. X, p. 379.

6. Voir les détails donnés par Monstrelet sur l'expédition du seigneur de Sores, qui parvint à se mettre en embuscade avec 600 combattants, entre Paris et l'église SaintLaurent. << Si estoient là alez, dit-il, pour prendre le Roy Loys de Cecile, à l'aide de quelques Parisiens. » Cf. les détails qui se trouvent dans les lettres de Charles VI du 30 août contre les brigands bourguignons (Monstrelet, t. III, p. 151 et 155); voir aussi le Religieux, t. VI, p. 42-44, qui donne la date (13 août), et les Registres du Parlement, Archives, X1a 1480, f. 64 vo, et dans Felibien, t. IV, p. 562.

7. Le roi et la reine arrivèrent à Angers le 8 janvier. Archives, KK 243, f. 47 vo.

Lors des négociations entamées pour faire revenir à Paris le Dauphin Jean, nous le voyons suivre sa mère et le duc de Bretagne à Senlis (11 janvier-24 février 1417) ; il assiste au Conseil du 30 mars, où le comte de Hainaut, qui s'était fait dans cette mission l'agent de Jean sans Peur, déclara avec violence qu'il mettrait le Dauphin dans Paris avec le duc de Bourgogne, ou que sinon il le ramènerait en Hainaut. Mais soudain l'on apprend que le jeune prince, saisi d'un mal subit, vient d'être emporté (5 avril 1417).

Charles est désormais le Dauphin par lettres du 13 avril, le Roi lui donne le Dauphiné, avec toutes les prérogatives attachées à son titre 2.

1. Voir Monstrelet, t. III, p. 167; Religieux, t. VI, p. 51-53.

2. Ordonnances, t. X, p. 404. L'original est aux archives de Grenoble, B 3178.

CHAPITRE II

ÉVÉNEMENTS POLITIQUES ET MILITAIRES DEPUIS 1417 JUSQU'A 1422

s'empare de Tours.

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Jean sans Peur tente un accommodement avec la Cour. La mort du Dauphin Jean renverse ses plans: il prend les armes. Attaque de Paris. Soumission de tout le pays chartrain. Occupation de Troyes, où la reine Isabeau vient s'installer. Mesures prises par le gouvernement royal pour résister au duc et à la Reine, et s'opposer aux progrès de l'invasion anglaise. Négociations entre le gouvernement royal et le duc de Bourgogne. Leur rupture, suivie de l'entrée des Bourguignons dans Paris. - Triomphe de la faction bourguignonne. Le Dauphin organise la résistance à Bourges; ses partisans prennent les armes de tous côtés. Le duc de Bourgogne à Paris; troubles dans la capitale livrée à l'anarchie. Semblants de résistance du duc contre l'invasion anglaise. Henri V s'avance dans la Haute Normandie, où il fait le siège de Rouen, qui capitule au bout de six mois. Perte de toute la contrée. Campagne faite par le Dauphin, qui Négociations entre les diverses parties; elles n'aboutissent pas. Conférences de Meulan. Le duc de Bourgogne se rapproche du Dauphin. 11 périt à Montereau. Coalition anglo-bourguignonne contre le Dauphin. Campagne du Midi : Charles fait rentrer le Languedoc dans la soumission. Traité de Troyes, suivi de la prise de Sens, de Montereau et de Melun. Nouvelle campagne du Dauphin, aussitôt interrompue par la mort soudaine du comte de Vertus. Départ d'Henri V pour l'Angleterre. Les hostilités se poursuivent entre les Dauphinois et les Anglais, qui perdent la bataille de Baugé. Marche triomphale du Dauphin, que Chartres arrête sur la route de Paris. Retour du roi d'Angleterre, qui s'avance jusqu'à Vendôme. duc de Bourgogne dans le Nord: il gagne la bataille de Mons-en-Vimeu. Meaux par Henri V. Le Dauphin perd la plupart de ses possessions dans le Nord. Campagne contre le duc de Bourgogne dans l'Est. Henri V meurt au moment où il marchait à son secours. - La mort du roi d'Angleterre est bientôt suivie de celle de Charles VI.

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Par la mort du Dauphin Jean, survenue le 5 avril 1417, le cinquième des fils de Charles VI était devenu l'héritier du trône. Comme son frère aîné Louis, duc de Guyenne, mort le 18 décembre 1415, Jean s'était montré favorable au parti bourguignon: marié à Jacqueline de Bavière, fille du comte

1. Monstrelet, t. III, p. 161; Chronique anonyme, publiée par M. Douet d'Arcq à la suite de son édition de Monstrelet, t. VI, p. 230.

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