Imágenes de página
PDF
ePub

son entrée solennelle au Puy le 14 mai il avait une grande dévotion à la Sainte Vierge, et il venait remercier Notre-Dame du Puy du succès de ses armes. Il assista le 15, revêtu du surplis et de l'aumusse, aux premières vêpres de l'Ascension, et se fit recevoir chanoine; le lendemain, il communia à la grand'messe solennelle, célébrée par l'évêque du Puy, et arma ensuite chevalier Bernard d'Armagnac et plusieurs seigneurs. Le 22 mai, il était à Clermont, où il passa six jours; le 8 juin, il faisait son entrée à Poitiers.

Si d'un côté la situation du Régent s'était améliorée, par la pleine et entière soumission des populations méridionales qui devaient lui demeurer à jamais fidèles, d'un autre côté elle s'était aggravée, par les progrès incessants de l'ennemi et par la conclusion (21 mai 1420) du pacte qui livrait la France au roi d'Angleterre. En outre, le duc de Bretagne, qui jusqu'alors gardait une neutralité plutôt bienveillante et laissait ses sujets servir la cause dauphinoise, avait conclu un traité avec le duc de Bourgogne et poursuivi ses négociations avec les Anglais 3. Enfin un acte d'agression dont il venait d'être victime, allait le jeter plus encore dans le parti ennemi. Nous devons nous arrêter un instant sur cet épisode, car il a fourni la matière d'une grave accusation contre le Dauphin.

Le 13 février 1420, le duc de Bretagne, cédant aux instances réitérées de son cousin Olivier de Blois, comte de Penthièvre, s'était mis en route pour le château de Chenonceaux, occupé par Marguerite de Clisson, mère du comte, où l'attendaient de belles dames et de joyeux ébattements. Il chevauchait en compagnie d'Olivier quand tout à coup, au sortir d'un pont

1. Gallia Christiana, t. I, col. 732.

2. A Vannes le 9 décembre 1419. L'original est à Rouen, dans la Collection Leber, n° 5688.

[ocr errors]

3. Actes des 29 octobre et 31 décembre 1419. Voir Rymer, t. IV, part. II, p. 137 et 146. Cf. la lettre, en date de Corbeil, le 9 juillet 1420, où les ambassadeurs de Bretagne s'adressent au roi d'Angleterre, qu'ils qualifient de « hoir et regent du royaume de France, » et où ils lui rendent compte de tout ce qui touche aux intérêts de leur maître (id., ibid., p. 182).

4. On n'est pas d'accord sur la date. Nous suivons les lettres du duc Jean, dans Godefroy, p. 687. Jouvenel dit le 10 (p. 375); le Religieux le 12 (t. VI, p. 403); la Chronique d'Alençon attribuée à Perceval de Cagny, le 12 également.

qu'on venait de traverser, il se trouva séparé des siens. Le comte, mettant la main sur son épaule, lui dit : « Monseigneur, « vous êtes mon prisonnier', et vous ne m'échapperez pas avant « de m'avoir rendu mon héritage. » Toute résistance était impossible les planches du pont, détachées à l'avance, avaient été jetées à la rivière; des gens armés, sous les ordres de Charles de Blois, seigneur d'Avaugour l'un des principaux seigneurs de la cour de Bretagne - entourèrent aussitôt le duc et ses gens, parmi lesquels était son jeune frère Richard. Après cette scène de violence, où le sang coula, et où la vie du duc fut, paraît-il, menacée, on le lia sur son cheval, au cou duquel on avait passé un licol, et on le mena ainsi, voyageant jour et nuit entre deux grands ribauds à chevaucher, » jusques à Chenonceaux, où l'attendait impatiemment Marguerite de Clisson, qui déjà s'était emparée de sa vaisselle d'or et d'argent".

Quel pouvait être le mobile d'un tel attentat? Faut-il y voir un simple épisode de la vieille rivalité entre la maison de Blois et la maison de Montfort, querelle qui remontait à près d'un siècle, mais qui semblait alors assoupie, car le duc Jean venait justement de témoigner à Olivier et à Charles de Blois une vive. amitié et de les combler d'honneurs? Faut-il l'attribuer à des raisons d'État, et en faire remonter la responsabilité jusqu'au gouvernement du Dauphin?

Le comte de Penthièvre, et son frère Jean, seigneur de Laigle, apportèrent, dans leur conduite à l'égard du duc de Bretagne, un acharnement et une violence qui attestent combien étaient enracinés chez eux les sentiments de haine et de vengeance. Ils n'étaient pas seulement les descendants -bien indignes et bien dégénérés, il faut le dire, de l'héroïque Charles de Blois; ils étaient les fils de Marguerite de Clisson, fille du connétable de Clisson, qui jamais n'avait consenti à reconnaître le traité de Guérande par lequel la maison de Blois avait

1. Monstrelet met (t. IV, p. 30) : « Je vous fais prisonnier de monseigneur le Dauphin. » Nous suivons l'arrêt du Parlement.

2. « L'avions fait nostre mareschal et gouverneur de nostre chevalerie, nostre special et privé chambellan à la garde de nostre personne. » Arrêt du Parlement de Bretagne, rendu le 16 février 1421. Godefroy, Historiens de Charles VI, p. 686.

3. Ce récit est emprunté à l'arrêt du Parlement, l. c., p. 687-89.

renoncé au trône ducal, et qui n'avait point oublié les griefs de son père contre le duc Jean V. Marguerite avait, en 1406, fiancé son fils aîné, Olivier, à Isabeau de Bourgogne, fille de Jean sans Peur : l'un des motifs qui avaient porté le duc de Bretagne Jean VI à ménager si soigneusement le duc de Bourgogne avait été peut-être la crainte de voir se produire, à un moment donné, une revendication des droits d'Olivier, avec l'appui de son beau-père. La comtesse de Penthièvre était encore plus animée que ses fils contre la maison de Montfort, et c'est à son instigation que l'attentat avait été commis: cela est affirmé formellement par un auteur du temps'.

Mais le même auteur nous dit aussi que le comte de Penthièvre « traita tant devers le duc de Touraine, Dauphin, qu'il obtint de lui ung mandement scellé de son scel pour prendre et emprisonner le duc de Bretaigne. » Et l'arrêt du Parlement de Bretagne nous apprend que, dans un de ces entretiens où le duc se montra, par sa lâcheté et sa bassesse, sous un jour si peu favorable, Marguerite de Clisson, répondant à Jean VI qui la suppliait de lui sauver la vie et de lui donner des assurances à cet égard, lui dit « qu'elle ne savoit comme il en iroit, et que ce que ses enfans-en avoient fait, avoit esté par le commandement de monseigneur le Regent, et qu'ils en avoient bonnes et belles lettres, et qu'il falloit passer à son ordonnance 3. >>

Ce qui est plus grave, c'est que le fait est confirmé par des lettres, en date du 16 mars 1420, rendues à Carcassonne, où se trouvait alors le Dauphin. Dans ces lettres, adressées au comte de Penthièvre, à Jean, seigneur de Laigle, et à Charles, seigneur d'Avaugour, ses frères, on expose que le comte de Penthièvre avait été naguère nommé lieutenant et capitaine général dans l'Anjou, le Maine et les marches de Bretagne, avec plein pouvoir « de faire tout ce qu'il connaîtrait être au bien et profit du Roi et à la conservation de sa seigneurie; » que, « usant de ladite commission, » il est venu à la connais

1. Monstrelet, t. IV, p. 29.

2. Id., ibid.

3. Arrêt du Parlement, l. c., p. 690.

sance du comte que le duc de Bretagne favorisait le parti des Anglais, qu'il avait conclu des trêves avec eux, défendu qu'aucun de ses sujets ne vinssent au service du Dauphin sous peine de confiscation de leurs biens, et puni ceux qui avaient transgressé ses ordres; qu'il était entré en relations personnelles avec le roi d'Angleterre, à Rouen et ailleurs, et avait fait avec lui « plusieurs secrètes alliances et confédérations; » qu'en outre, en « bien demonstrant la faveur et affection desordonnée, avec les damnables promesses et convenances, » qu'il avait aux ennemis, il leur avait fourni harnais, chevaux, artillerie, vins et autres vivres, et « donné toute faveur, » en cela et autrement, au grand déplaisir des « bons preudes hommes, »> barons et nobles du pays de Bretagne; que, de plus, le duc, << perseverant en sa mauvaise volonté, » avait « empesché et detourbé » l'armée d'Espagne, dans la saison précédente, et presentement s'efforçait d'empêcher la descente de l'armée d'Écosse; qu'enfin il avait favorisé le parti des sujets rebelles au Roi et au Dauphin; - que le comte de Penthièvre, considérant que, sans en venir à des voies de fait, il ne pouvait être pourvu« aux inconveniens inenarrables qui, par la damnable entreprinse du duc, estoient vraisemblablement taillés de ensuir, à la grande foule et par aventure totale destruction de ceste dicte seigneurie, » avait naguère, en compagnie de son frère le seigneur d'Avaugour, pris et arrêté le duc de Bretagne et Richard, son frère, démontrant en cela leur grande loyauté et bon vouloir envers le Roi et le Dauphin et la couronne de France. Le Dauphin déclarait prendre en sa main, comme ses prisonniers, le duc de Bretagne et son frère, ordonnant de garder leurs personnes avec la plus grande vigilance, afin qu'à son retour du Midi on pût lui en rendre bon compte et qu'appointement fut conclu1.

L'attitude du Dauphin, lançant un tel réquisitoire contre le duc de Bretagne et avouant publiquement les auteurs de l'attentat, est d'autant plus singulière que, la veille même du jour où, cédant aux instances du comte de Penthièvre, le duc

1. Nous n'avons qu'une copie moderne de cette pièce. Collection Doat, vol. 161, fol. 53.

avait quitté Nantes en sa compagnie, il attendait une ambassade du Dauphin. Nous savons, en effet, que, par lettres du 1er février données sans doute à Saint-Symphorien où Charles se trouvait alors Martin Gouge, évêque de Clermont, un de ses principaux conseillers, avait été chargé d'une mission près du duc de Bretagne. Le prélat se rendit-il en Bretagne? Nous ne savons; mais nous le retrouvons près du Dauphin, à Carcassonne, le 14 mars, deux jours avant la date des fameuses lettres patentes. Le 25 février, à la nouvelle de l'attentat commis contre le duc, le Conseil du Dauphin, resté à Bourges sous la présidence du chancelier Le Maçon, envoyait Robert Postel, bailli de Garancières, en Bretagne, « par devers aucuns chevaliers et escuiers d'icellui pays, pour certaines choses secrètes, grandement touchans monseigneur le Regent. » A ce moment, un membre du Conseil, Adam de Cambray, était en mission en Bretagne, et son voyage n'était peut-être pas étranger à l'événement qui venait de se produire. L'ordonnance du 16 mars devient encore plus inexpliquable si nous considérons que le Dauphin, à la réception de la lettre que lui écrivit, sous le coup de la première émotion, sa sœur, la duchesse de Bretagne, envoya à celle-ci Prégent de Coëtivy, un de ses pannetiers, lequel était, le 8 mai, près de la duchesse, et prenait part aux mesures dirigées contre les Penthièvre ; qu'à la fin de mai partit une ambassade, composée de l'évêque de Clermont, du comte Dauphin d'Auvergne et de Tanguy du Chastel, chargés d'assurer la duchesse de l'affection qu'il por

1. Quittance de 500 livres donnée par Martin Gouge le 2 février. Clairambault, 54, p. 4107.

2. L'ambassade n'était pas arrivée le 10, comme on le voit par l'arrêt du Parlement de Bretagne déjà cité (p. 687).

3. Lettres du Dauphin, portant don de deux cents livres pour avoir des fourrures, ms. fr. 20882 (Gaignières, 153), f. 65.

4. Lettres du Dauphin du 25 février, visées dans une quittance du 26 février. Clairambault, 88, p. 6953.

5. Lettres du Dauphin du 5 mars, visées dans une quittance du 8. Le but ostensible du voyage était une information sur la valeur des terres de feu le seigneur de Pouzauges, qu'occupait le duc de Bretagne. Clairambault, 24, p. 1753.

6. Le sire de Coëtivy figure parmi les membres du conseil qui prennent part aux délibérations du conseil de la duchesse Jeanne. Lettres du 8 mai 1420, données à Vannes. Orig., Archives, K 59, no 26.

« AnteriorContinuar »