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seul avec Jean de Vergy, avait essayé de défendre son maître, fut blessé mortellement '. Les autres seigneurs bourguignons, à l'exception du seigneur de Montagu, lequel, à ce qu'on prétend, se sauva du côté de la ville', furent faits prisonniers par quatre des conseillers du Dauphin, seuls restés sur le pont, avec l'aide des gens de leur parti qui étaient accourus 3.

Bien que la chose ait été soudaine, on s'étonne que les gens du duc, qui occupaient la barrière du pont du côté du château, ne soient pas survenus. Un contemporain nous en donne l'explication: « Ceux du chastel, dit-il, qui estoient le plus près de l'huis du parc, oncques ne s'en esmurent, cuidans que ce feust monseigneur le Dauphin qu'on eust tués. » Le bruit se répandit en effet, dans le château et dans la ville, que le Dauphin était mort, et il dut monter à cheval pour démentir ce bruit par sa présence.

Nous avons exposé dans ses moindres détails le tragique événement qui s'accomplit sur le pont de Montereau; nous en avons examiné avec soin les préliminaires. Si nous n'avons pu faire luire une lumière complète sur un événement que les contemporains eux-mêmes n'ont pu connaître qu'imparfaitement, et que les historiens modernes ont déclaré impossible à éclaircir, nous avons du moins fourni au lecteur tous les éléments d'information qui étaient à notre disposition.

donné, dans son Essai sur l'histoire de la Franche-Comté (t. II, p. 372), un dessin du crane de Jean sans Peur, dont le corps fut exhumé à Dijon en 1840. Le front est déprimé, la partie inférieure de la tête a un développement significatif. On remarque les fissures produites par les coups réitérés qui furent portés. Voir aussi Memoires de la commission des antiquités de la Côte-d'Or, t. I, p. 419.

1. Les mêmes et Chronique anonyme, p. 279. Barbazan n'arriva qu'à ce moment. 2. Chronique anonymé, p. 280. Plusieurs témoignages mentionnent la fuite de Montagu; on a vu que, d'après la Relation inédite, il ne devait pas être sur le pont. 3. Jouvenel, p. 372.

4. Ils ne parurent qu'après un conflit s'engagea un moment, sur le pont, entre les gens du duc, qui gardaient la barrière, et les gens du Dauphin (Monstrelet, t. III, p. 344). C'est là sans doute que se trouvaient le maître d'hôtel du duc, Guillaume Binet (La Barre, t. II, p. 135), son valet servant Jean Le Voir (id., p. 138), et que fut tué Philibert Brigandet (Épitaphe dans la Collection de Bourgogne, vol. 18, f. 676).

5. Jouvenel, p. 372.

6. « Combien que, en tant que touche la mort dudit duc de Bourgongne, plusieurs ayent escript en diverses manières, lesquels n'en scavoient que par ouy dire, et les presens mesmes n'en eussent bien sceu deposer, car la chose fut trop soudainement faite... >> Jouvenel, p. 372.

Quelles sont les conclusions qui ressortent de ce récit? Nous croyons devoir les dégager brièvement'.

Le simple récit des faits prouve, à notre sens, que le Dauphin agissait loyalement en traitant avec le duc, qu'il voulait sincèrement la paix, et que c'était de bonne foi qu'il venait à Montereau, pour concerter les mesures arrêtées en principe au Ponceau et à Corbeil. Si le Dauphin se refusait à se rendre auprès du Roi, c'est qu'il ne voulait pas se mettre à la discrétion du duc de Bourgogne, dont il redoutait à juste titre la politique cauteleuse et le caractère fourbe et violent. Ses conseillers voulaient-ils, comme les historiens l'ont tant de fois répété, se défaire de la personne du duc? Mais alors pourquoi n'avoir pas mis ce dessein à exécution pendant les premières négociations, avant que la réconciliation ait été conclue et scellée par des serments sacrés et solennels? Les circonstances n'étaient-elles pas favorables? Cet étroit ponceau, cette cabane de feuillage, l'isolement du duc de ses gens, l'obscurité qui régnait, puisqu'on ne se sépara qu'à onze heures du soir, tout facilitait l'attentat. Et si l'on avait reculé à la première entrevue, ne pouvait-on mieux prendre ses mesures pour la seconde, qui eut lieu trois jours après ?

Qu'invoque-t-on d'ailleurs pour prouver le complot? L'insistance mise par le Dauphin à faire venir le duc à Montereau? Mais il est établi que le jour et peut-être le lieu de l'entrevue avaient été fixés à l'avance. Les craintes manifestées autour du duc, les avis menaçants qui lui parvinrent depuis Bray jusqu'à Montereau, et au moment même où il allait franchir la

1. Au dernier siècle, Saint-Foix, dans ses Essais historiques sur Paris (t. III, p. 309 et suivantes), et Villaret, dans son Histoire de France, avaient combattu avec force la version bourguignonne. De nos jours M. Kervyn de Lettenhove, dans sa savante Histoire de Flandre (t. III, p. 156), a fait usage, pour la première fois, des documents inédits qui sont utilisés dans notre récit, et soutenu que la préméditation était, non du côté du Dauphin, mais du côté du duc.

2. Dans des lettres closes, datées de Jargeau le 14 août, le Dauphin écrivait aux Lyonnais, qui avaient hésité à faire publier le traité de Pouilly: « Et toutefois, pour ce que veritablement bonne paix a esté faicte en ce royaume par Monseigneur et par nous..., nous voulons et nous plaist que icelles lettres vous faictes publier solempnellement, gardées les solempnitez en tel cas accoustumées. Et oultre que icelle paix vous faictes garder et entretenir, car ainsi Monseigneur et nous l'avons ordonné pour le bien commun de tout ce royaume. » Archives de la ville de Lyon, AA 22, f. 17.

barrière? Mais ces craintes, ces défiances n'avaient point arrêté l'homme le plus soupçonneux; du reste, elles se manifestèrent aussi autour du Dauphin, et assurément elles avaient bien plus de fondement à l'égard d'un prince notoirement connu pour l'assassin du duc d'Orléans, et qui était passé maître dans l'art de trahir 1. La disposition des lieux, les précautions secrètes prises contre le duc, certaines paroles de Tanguy du Chastel, le signe fait par le Dauphin alors que le duc était à ses genoux? Toutes ces circonstances ne sont rien moins qu'établies, et les témoignages qui les rapportent sont trop passionnés, trop inexacts dans les principales circonstances, trop contradictoires même, pour ne pas être justement suspects. En vain nous montre-t-on le duc de Bourgogne traîtreusement frappé, au moment même où il s'agenouillait et faisait au Dauphin des protestations de dévouement: il faut désormais renoncer à ce vieux mensonge historique, que des documents. nombreux et péremptoires ne permettent plus de répéter2.

1. « Quand on se rappelle d'ailleurs la conduite antérieure du duc de Bourgogne, son assassinat du duc d'Orléans et les circonstances qui l'accompagnèrent; quand on réfléchit sur sa perfidie, sur son ambition démesurée, sur l'audace de son caractère; quand surtout on se souvient qu'il avait voulu faire venir à Auxerre, quelques années auparavant, tous les princes de la famille royale sous prétexte d'une entrevue pacifique, mais dans le dessein de les y assassiner, on n'est pas disposé à rejeter sur son rival tout l'odieux de cette catastrophe. » Boissy d'Anglas, Mémoire sur quelques événements de la fin du règne de Charles VI, dans les Mémoires de l'Institut, t. IV, p. 551.

2. Il est bon de montrer ici en passant comment l'histoire s'est faite ici bourguignonne. Monstrelet et les auteurs de son parti ont été presque les seules sources où aient puisé les écrivains du XVIe siècle, qui ont accrédité tant de notions erronées: on sait de quelles fables, inventées à cette époque, il nous faut encore aujourd'hui dégager l'histoire du XVe siècle (par exemple les faits relatifs à Jeanne d'Arc et à Agnès Sorel). Mézeray, au XVIIe siècle, donna créance au récit de Monstrelet, et fit croire à l'existence d'une barrière, placée au centre de l'enceinte, et qu'il aurait fallu franchir pour frapper le duc. La publication faite par La Barre, en 1729, des documents recueillis par Dom des Salles, et d'un mémoire anonyme, puisé exclusivement à des sources bourguignonnes, — lequel fut généralement attribué à l'éditeur, mais dont Prosper Bauyn, maître des comptes de Dijon, mort en 1587, était l'auteur, - contribua encore à accréditer la version hostile au Dauphin. Le P. Griffet, dans une dissertation jointe à son édition du P. Daniel; D. Plancher, dans son Histoire de Bourgogne, adoptèrent pleinement le récit de Bauyn. Villaret, qui vint ensuite, résuma avec une critique éclairée les divers témoignages, faisant ressortir les contradictions qu'ils présentent et la difficulté d'arriver à une conclusion. C'est ce que fit à la même époque un judicieux historien (Lévesque) qui se demandait «< comment nous pourrions résoudre aujourd'hui ce qui paraissoit impénétrable aux plus sages des contemporains. » L'histoire commençait à entrer dans une voie meilleure. Déjà Saint-Foix, dans ses Essais sur Paris, avait, avec son esprit hardi et aventureux, combattu résolument les traditions reçues. Boissy d'Anglas, en traitant incidemment la question (1809), n'arriva

- le parti

Quel avantage, il importe de le faire remarquer, du Dauphin aurait-il eu à se défaire du duc de Bourgogne? <«< Jean sans Peur, comme le dit M. Michelet, était tombé bien bas, lui et son parti. Il n'y avait bientôt plus de Bourguignons. Rouen ne pouvait jamais oublier qu'il l'avait laissé sans secours. Paris, qui lui était si dévoué, s'en voyait de même abandonné au moment du péril. Tout le monde commençait à le mépriser et à le haïr 1. »

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Comment enfin, si l'attentat a été prémédité, s'est-on si peu mis en mesure d'en recueillir les fruits? Le Roi et la Reine étaient à Troyes, « assez petitement accompaignez, »> - euxmêmes le déclarent dans leurs lettres du 11 septembre, et, s'il faut en croire Monstrelet, le Dauphin avait à sa disposition des forces considérables. Les gens du duc étaient dans un complet désarroi 2. N'était-il pas naturel de se porter rapidement sur Troyes, de s'assurer de la personne du Roi et de la Reine, de marcher ensuite sur Paris, où l'alarme était plus grande encore que l'indignation, et d'empêcher ainsi la reconstitution du parti antinational? Au lieu de cela, le Dauphin reste à Montereau ou à Nemours jusqu'au 20 septembre, se répandant en excuses inutiles, en protestations illusoires, et allant jusqu'à entamer des négociations avec le nouveau duc de Bourgogne. Le 21 septembre, il se dirige sur Sens; le 24, il est à Château-Renard, se repliant vers la Loire, et arrive à Gien le 26. Une telle attitude suffit à elle seule pour faire rejeter toute pensée de préméditation 3.

Mais cette préméditation a été admise pourtant et non con

qu'à des conclusions négatives. De nos jours, si dans un trop grand nombre d'histoires et dans les abrégés qui malheureusement dictent l'opinion, on suivait aveuglément les sentiers battus, M. de Barante donnait un résumé fidèle et habile de tous les témoignages, et M. Michelet les appréciait avec sagacité, en réagissant contre des tendances dont les savantes recherches de M. Kervyn de Lettenhove et de M. Vallet de Viriville devaient achever de faire justice.

1. Histoire de France, t. IV, p. 359-360.

2. Chronique anonyme, t. VI de Monstrelet, p. 281; Pierre de Fenin, p. 117. - C'est ce que constate aussi Olivier de la Marche : « Toute son armée se derompit et s'égara, chacun tirant et allant, sans ordre ne mesure, là où Dieu le conseilla (p. 352). >>

3. «On serait presque tenté de dire que ce meurtre ne fut pas prémédité, tant on avait mal pris ses mesures pour en soutenir les suites, » a dit Voltaire : Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, ch. LXXIX.

tent d'en faire peser la responsabilité sur les conseillers du Dauphin, on a été jusqu'à accuser formellement le jeune Charles, alors âgé de seize ans et demi1.

Je sais que cette accusation est formulée dans certains récits dictés par le fanatisme bourguignon, et qu'elle se retrouve dans des actes émanés de la chancellerie royale, je veux dire des lettres patentes, solennellement publiées et enregistrées en Parlement. On pourrait même la lire sous la plume de la propre mère du Dauphin. Mais que vaut contre le jeune prince. le témoignage d'ennemis acharnés? Que vaut le témoignage de ce pauvre roi imbécile, qui n'avait point conscience de ses actes, ou de cette reine, tombée si bas, qui par un honteux marché allait livrer la France à l'étranger? Il est superflu de s'arrêter à une telle accusation. En présence des faits que nous avons exposés, il n'est plus possible d'incriminer le Dauphin. Ceux qui ont voulu charger sa mémoire d'un lâche assassinat ont reçu d'ailleurs un démenti formel des contemporains, même les plus hostiles".

1. Il serait trop long, et d'ailleurs superflu, de mentionner tous les historiens qui se sont fait l'écho de cette accusation. L'un des plus violents a été Rapin-Thoyras, qui, dans son Histoire d'Angleterre, s'exprime ainsi (t. III, p. 407) : « Je dis que le Dauphin le fit assassiner, quelque peine que certains historiens aient prise pour le disculper. L'action se commit sous ses yeux et à ses pieds, et il garda toujours à son service les meurtriers. Il n'en faudrait pas davantage pour le faire juger coupable de ce crime, quand même il n'y aurait pas d'historiens d'assez bonne foi pour l'avouer franchement. » Nous avons eu le regret de rencontrer, chez un grave historien, le passage suivant : « Le crime ne pouvait rien sauver, mais on en conçoit la pensée possible en un jeune prince qui avait été naguère arraché aux massacres de Paris, et qui s'était accoutumé à considérer le duc de Bourgogne comme le mortel ennemi de la France. Meurtrier ou non, le Dauphin sentit que l'Etat ne pouvait vivre dans cette affreuse anarchie. S'il débuta par un forfait, l'histoire a le droit de le maudire; mais tout en frémissant, elle le loue pour n'avoir pas désespéré de la patrie. » Laurentie, Histoire de France, t. IV, p. 198.

2. Lettres de septembre 1419 (Ordonnances, t. XII, p. 268); du 17 janvier 1420 (id., ibid., p. 273); du 19 février 1420 (id., ibid., p. 278); du 9 mai 1420 (Collection de Bourgogne, vol. 99, p. 173); du 23 décembre 1420 (original, Moreau, 1425, pièce 103; éd. La Barre, t 1, p. 347).

3. « Le Roy son père est mort civilement, et n'est point ydoisne à gouverner, » lit-on dans la Réponse d'un bon et loyal François (La Barre, t. I, p. 319). Chastellain l'appelle « Roy sans régir, » et dit que, « selon qu'il avoit gens autour de luy, il accordoit si bien en son préjudice comme en son prouffit: tout luy estoit ung et d'ung poix » (t. I, p. 116-17 et 239).

4. Sans nous arrêter à ce que dit Jouvenel « Il n'y eut oncques personne qui chargeast Mgr le Dauphin qu'il en fut consentant (p. 372), » nous citerons, entre autres, les deux passages suivants de Chastellain : « Le meurtrirent à Montereau... devant le fils de son

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