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rendent inutiles. Vous ne reconnaîtriez pas que l'étendue convient à tel objet, l'intensité à tel autre, le temps à tel autre, ou que l'étendue convient sous tel rapport, dans telle relation, dans telle mesure, s'il n'y avait pas déjà dans les sensations mêmes ce que vous voulez faire descendre en elles, comme une grâce divine, du haut d'une intuition pure de l'espace infini, homogène et indifférent. Si nous regardons le ciel bleu, les sensations ont toutes la même uqalité sous le rapport de la couleur, et cependant nous distinguons ce qui est à droite de ce qui est à gauche, ce qui est plus haut de ce qui est plus bas, etc. Nous aurions beau avoir le cadre a priori de l'espace immense, cela ne nous apprendrait pas quels sont les points bleus qui doivent être placés à droite, quels sont les points également bleus qui doivent être placés à gauche. Il faudra toujours en venir à reconnaître que, outre la sensation de couleur bleue, il y a encore un complexus de sensations particulier et distinctif qui varie selon la place des points bleus et qui nous force à mettre les uns à droite, les autres à gauche. Mais, ceci étant admis (et il faut l'admettre par force), nous n'avons plus besoin du cadre a priori.

Les théories intellectualistes, qu'elles soient du rationalisme ou de l'associationnisme, sont, au fond, des théories atomistes. Elles supposent des éléments particuliers et détachés, tels que les sensations, qu'on groupe ensuite selon des lois intellectuelles, soit celles de l'association, soit celles de la « pensée pure ». Ainsi, pour expliquer la construction de l'étendue dans notre conscience, les intellectualistes partisans de l'association des idées supposent d'abord, comme nous l'avons vu, des éléments tout intensifs, sentiments d'effort, a, b, c, d, sensations oculaires, f, g, h, i, sensations tactuelles, r, s, t, u, v; puis ils associent ces éléments soit par association ordinaire, soit par synthèse mentale (comme Wundt) ou, ce qui revient au même, par chimie mentale; et ils concluent que le résultat de ces éléments intensifs est quelque chose d'extensif. Pure hypothèse qui, loin d'être justifiée par les prémisses, nous a paru contredite par ces mêmes prémisses. En FOUILLÉE. Psychologie des idées-forces.

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CONSTRUCTION DE L'IDÉE D'ÉTENDUE

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La question est maintenant de savoir si le sentiment général d'extensivité, essentiel à la conscience de la vie corporelle, avec tous les signes locaux qui n'en sont que les différenciations et subdivisions, ne peut pas produire à la fin l'idée proprement dite de l'étendue, laquelle se ramènerait ainsi, en dernière analyse, au sens immédiat de la vie appétitive et sensitive en réaction contre son milieu.

L'idée de l'espace implique deux conditions principales: 1° idée d'une coexistence de parties continues, qui, comme telles, ne peuvent être distinguées que par des différences qualitatives; 2° idée d'une relation caractéristique entre partie et partie, qui n'est plus simplement une différence entre elles, mais une distance, c'est-à-dire une séparation de parties extérieures l'une à l'autre (1). Il faut donc non seulement que des objets multiples coexistent dans des relations définies et pendant un temps défini, mais encore qu'ils soient extérieurs à nous et extérieurs l'un à l'autre (ausser uns und aussereinander). 1o La simple coexistence de choses multiples, premier caractère de l'espace, n'est pas ce dont la notion est difficile à expliquer aussi est-ce là-dessus que les intel

(1) James Ward se sert ici du mot apartness; Riehl, du mot aussereinander.

Outre les éléments qui précèdent, il ne faut pas oublier, dans la formation de l'idée d'espace, ce que les Anglais appellent les sentiments de mouvements, feelings of motion. La notion de mouvement implique celle d'espace, mais les sentiments corrélatifs au mouvement ne présupposent pas la notion d'espace. Par ces sensations de mouvement nous n'entendons pas des impressions de pure succession temporelle. Qu'un objet sur lequel nos yeux étaient fixés se meuve tout d'un coup rapidement, nous avons, même indépendamment de toute idée d'espace ou de mouvement, une certaine impression spécifique, très différente de celle que nous éprouvons en entendant le son ut, puis le son ré. C'est cette impression que, sans présupposer l'idée de mouvement (ce qui serait un cercle vicieux), on appelle sensation de mouvement, c'est-à-dire impression particulière produite subjectivement par une chose qui, extérieurement, se meut. Les sensations de ce genre ne sont pas des conclusions de raisonnement, des constructions de la pensée qui dirait - l'étincelle jaillie du foyer était au premier moment à tel point, au second moment à tel autre point; donc elle s'est mue. Dans le temps nécessaire à l'aperception (et qui n'est pas infiniment petit, mais mesurable), nous voyons le mouvement; nous le voyons, dis-je, nous ne le concluons pas : nous avons un mode particulier de sentir, d'être affecté, qui correspond en nous au mouvement extérieur et qui, si le mouvement est rapide, soudain, peut aller jusqu'à nous faire tressaillir par contre-coup. Comme le mouvement est analysable en positions occupées à divers moments par le mobile, une foule de philosophes, après Kant et Schopenhauer, ont nié à tort la possibilité de sentir ou percevoir le fait du mouvement actuel ils ont attribué au chien qui voit fuir le lièvre, à l'enfant qui voit passer une bougie devant ses yeux, une analyse plus ou moins consciente des positions successives. Sur votre montre, quand vous voyez la petite aiguille à midi après l'avoir vue à huit heures, vous inférez sans doute qu'elle s'est mue; mais, regardez directement l'aiguille à secondes, vous la verrez se mou

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CONSTRUCTION DE L'IDÉE D'ÉTENDUE

La question est maintenant de savoir si le sentiment général d'extensivité, essentiel à la conscience de la vie corporelle, - avec tous les signes locaux qui n'en sont que les différenciations et subdivisions, ne peut pas produire à la fin l'idée proprement dite de l'étendue, laquelle se ramènerait ainsi, en dernière analyse, au sens immédiat de la vie appétitive et sensitive en réaction contre son milieu.

L'idée de l'espace implique deux conditions principales: 1° idée d'une coexistence de parties continues, qui, comme telles, ne peuvent être distinguées que par des différences qualitatives; 2° idée d'une relation caractéristique entre partie et partie, qui n'est plus simplement une différence entre elles, mais une distance, c'est-à-dire une séparation de parties extérieures l'une à l'autre (1). Il faut donc non seulement que des objets multiples coexistent dans des relations définies et pendant un temps défini, mais encore qu'ils soient extérieurs à nous et extérieurs l'un à l'autre (ausser uns und aussereinander).

1° La simple coexistence de choses multiples, premier caractère de l'espace, n'est pas ce dont la notion est difficile à expliquer aussi est-ce là-dessus que les intel

(1) James Ward se sert ici du mot apartness; Riehl, du mot aussereinander.

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