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vraiment là une preuve a priori? Il ne le semble pas. Dans cet argument, on se borne à chercher quelles sont les conditions extérieures qui rendent possible la conscience. intérieure; on fait une hypothèse a posteriori sur la constitution de l'univers la plus propre à rendre compte de notre conscience. Aussi nous parle-t-on de mouvements, de directions, de vitesses, de résultantes, toutes choses que nous chercherons en vain a priori dans l'inspection de notre pensée. Bien plus, l'explication qu'on donne ainsi de la conscience est elle-même mécanique, car elle revient à dire que la conscience intérieure suppose un mécanisme extérieur où toutes les parties soient dans un rapport de dépendance réciproque et, par conséquent, forment un système de mouvements simultanés. Enfin, ayant à démontrer le principe des causes finales comme différent du mécanisme, on commence par supposer que le mécanisme même est impossible sans les causes finales; de la dépendance réciproque des diverses parties de l'univers on tire immédiatement, sans démonstration, la conclusion suivante: « Il faut donc que, dans la nature, l'idée du tout ait précédé et déterminé l'existence des parties. >> Cela revient à dire que la nécessité réciproque des parties dans un tout présuppose toujours l'idée de ce tout comme cause, conséquemment une cause idéale ou finale; or, c'est précisément ce qui est en question: il s'agit de savoir si la soudure indestructible des parties d'un mécanisme suppose partout un ouvrier qui les ait soudées d'après une idée, ou si, au contraire, les lois du déterminisme et du mécanisme ne suffisent pas à expliquer cette détermination réciproque et mécanique des parties. La pétition de principe nous paraît donc évidente, puisqu'on s'appuie sur la finalité qu'on entreprend de dé

montrer.

Aussi M. Lachelier, après avoir annoncé qu'il cherchait la démonstration des causes finales dans la constitution même de la conscience et dans les conditions a priori de toute connaissance, finit-il par avouer que l'affirmation des causes finales est un acte « non de connaissance, mais

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de volonté. » Or, on peut appliquer à cette nouvelle démonstration des causes finales par la volonté le reproche de pétition de principe que M. Lachelier applique luimême à l'ancienne démonstration des causes finales par la sensibilité. « Supposer, dit-il, que les choses doivent répondre aux exigences de notre sensibilité », et nous ajouterons, nous, de notre volonté, « c'est évidemment prendre pour principe la loi même que l'on se propose d'établir... Dire que notre sensibilité seule », ajoutons: notre volonté, — « exige des phénomènes la finalité que nous leur attribuons, serait donc avouer que cette finalité n'est susceptible d'aucune démonstration et que, si elle est pour nous l'objet d'un désir légitime, elle ne saurait être celui d'une connaissance nécessaire (1). » Rien de plus vrai; mais comment un acte de volonté, à son tour, peut-il être une connaissance nécessaire? - Sans doute, ainsi que le dit excellemment M. Lachelier, la pensée ne veut pas demeurer abstraite et vide, et après s'être mise. hors d'elle, pour se voir, sous la forme de l'espace et du mécanisme, elle a besoin de rentrer en elle-même et d'être elle-même, sous la forme du « temps » et de la «< conscience»; mais est-il nécessaire qu'il y ait des causes finales pour que la conscience, la sensation, le moi existe? D'abord le mécanisme universel n'exclut pas l'idée du « temps », il la suppose au contraire. Quant à la « conscience », assurément elle ne peut se réduire à un mécanisme abstrait et purement géométrique ; il y a donc dans l'univers quelque chose qui rend possible la conscience et la sensation, il y a place dans le monde pour le sentiment et pour la pensée; mais nous ne savons rien a priori des conditions qui rendent possibles la conscience et la sensation; nous ne pouvons affirmer a priori que la nature agit comme nous sous une idée, sous l'idée du tout, conséquemment en vue d'une cause finale. Ce qui nous est permis, c'est de transporter dans la nature, par une hypothèse a posteriori, quelque chose d'analogue à nos sensa

(1) De l'Induction, p. 84.

tions et appétitions, et de supposer que tout phénomène a ainsi, outre une face extérieure par laquelle il est mouvement, un fond intérieur par lequel il est sensation et appétition.

Nous ne saurions donc admettre que le principe des causes finales et idéales soit constitutif de la pensée. Il n'est même pas une de ces nécessités de la vie que nous avons reconnues dans l'axiome d'identité et dans le principe de raison suffisante. C'est une simple hypothèse fondée sur une extension au dehors de notre expérience intérieure.

CHAPITRE SIXIÈME

GENÈSE ET ACTION DES IDÉES DE RÉALITÉ EN SOI, D'ABSOLU, D'INFINI ET DE PERFECTION

1. IDÉE DE LA RÉALITÉ en soi, DU NOUMÈNE ET DE L'INCONNAISSABLE.

II. IDÉE DE L'ABSOLU.

III. IDÉE DE VÉRITÉ ABSOLUE ET UNIVERSELLE.

IV. IDÉE DE L'INFINI. INFINI MATHÉMATIQUE.

V. IDEE DE PERFECTION.

VI. CONCLUSION. NATURALISME ET IDÉALISME.

I

IDÉE DE LA RÉALITÉ EN SOI, DU NOUMÈNE ET DE L'INCONNAISSABLE

Les choses que nous connaissons sont les choses telles qu'elles apparaissent à notre conscience et telles que notre organisation mentale ou cérébrale nous force à les concevoir. Autre est le son hors de nous, par exemple, et le son en nous, puisque, considéré indépendamment de nous, il se réduit à une vibration de l'air plus ou moins rapide. Le phénomène extérieur et objectif qui constitue le son n'est donc pas identique au phénomène intérieur et subjectif qui constitue la sensation de son. Mais le fait extérieur lui-même n'est encore qu'un «< phénomène,» et il est toujours formé pour nous d'éléments

subjectifs. Qu'est-ce en effet qu'une vibration de molécules? Une simple traduction des sensations de son en sensations de la vue ou du toucher: nous nous figurons voir ou sentir un mouvement de va et vient, comme l'onde visible de la mer ou la pulsation tangible du diapason. Nous remplaçons donc des apparences par d'autres apparences moins superficielles ou plus constantes, mais nous ne sortons pas de l'apparence. L'espace même, où nous nous figurons le mouvement, est un mode de représentation qui tient probablement à l'organisation de notre cerveau; les lois du mouvement sont des successions uniformes qui tiennent peut-être à ce que tout devient successif et uniforme dans notre conscience, si bien que nous ne pouvons rien concevoir en dehors de ce cadre imposé aux choses par notre cerveau. Bref, nous ne saurions nous abstraire entièrement, nous, notre sensibilité et nos formes intellectuelles, des objets de notre connaissance; nous ne pouvons jamais les saisir que par rapport à nous et en nous. Donc ces objets sont toujours des phénomènes, des façons d'apparaître, des apparences. Sous tous les phénomènes nous cherchons des phénomènes plus durables; sous ceux-là d'autres encore, comme, sous la surface agitée de la mer les couches plus tranquilles, et sous celles-là le fond immobile et obscur, l'insondable abîme.

La science repose tout entière sur l'opposition entre les apparences et les réalités objectives, dont elle s'efforce de déterminer les lois. L'opposition du sujet et de l'objet est la forme même de toute notre connaissance. En poussant jusqu'au bout cette opposition, nous finissons par nous demander s'il ne peut exister un objet séparé du sujet, existant en lui-même et non plus seulement pour nous; et nous formons ainsi la notion problématique d'une réalité en soi, par opposition à l'ètre pour nous, d'une réalité indépendante par opposition aux phénomènes dépendants de notre cerveau. Comme cette réalité, qui nous est par définition même inaccessible, est simplement un objet de pensée, on l'appelle le noumène, c'est-à-dire

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