Imágenes de página
PDF
ePub

va jusqu'à l'emphase; tels sont leurs traits distinctifs.

La première tragédie originale en ce genre est la Cléopâtre de Jodelle, qui fut bientôt suivie de sa Didon; Jean de la Péruse, Scévole de Sainte-Marthe, Charles Toutain qui imagina des vers de seize pieds, Jean Grevin, Jean et Jacques de La Taille, Rouillet, Filleul, Gabriel Bonin qui introduisit les Turcs sur le théâtre, Desma■sures et beaucoup d'autres marchèrent sur ses traces; le plus illustre de tous fut Garnier. Celuici renchérit encore sur Jodelle. Il crut avoir trouvé le perfectionnement du noble dans le guindé, celui du simple dans le sec; au lieu de Sophocle et d'Euripide, il prit pour modèle Sénèque et la tragédie romaine, plate exagération de la tragédie grecque. Cependant il ne manque |_ souvent ni d'élévation dans la pensée, ni d'élégance dans le style. Sa Porcie et sa Phèdre offrent quelques exemples de ce double mérite il eut du moins le bon sens de se renfermer presque toujours dans des sujets anciens.

Ses imitateurs Chantelouve, Behourd, Billard, Antoine de Montchrétien, etc., s'égarèrent plus que lui en appliquant à des événements modernes les formes qu'il avait adoptées. Coligny, Guise et Marie Stuart furent immolés au milieu de chœurs antiques, composés de jeunes garçons et de jeunes filles. Au reste, la plupart des pièces de cette époque, si insignifiantes sous le rapport de l'art, méritent l'attention comme monuments historiques; on peut étudier sous ce point de vue la Justification du pécheur par la foi, de Henri de Baran, la Tragédie de feu Gaspard de Coligny, par Chantelouve, le Triomphe de la Ligue, et la Guisiade, de Pierre Matthieu, le Chilpéric II, de Louis Léger, etc. Il était impossible, en effet, qu'avec la Saint-Barthélemy, la Ligue, l'exécrable Charles IX et l'infàme Henri III, à travers les désordres et les assassinats de la guerre civile, tandis que le fanatisme et l'étranger hurlaient de toutes parts, la politique n'envahît pas aussi le théâtre; au milieu de ces commotions si présentes et si vives, Grecs, Romains, règles classiques, mœurs des cours, politesse moderne, tout fut oublié. Les intérêts religieux et civils, qui saisissaient tous les esprits, s'emparèrent du drame, comme de toute la littérature. Le règne de Henri IV rétablit l'ordre et la paix dans l'État, mais il n'eut presque aucun effet sur la scène; l'anarchie resta la même. Tout d'ailleurs y contribuait. Les rapports politiques de la France avec les Espagnols lui avaient fait connaître leur langue et leur littérature. Ces productions exotiques s'allièrent avec les anciens mystères et les tragédies classiques, et tout se confondit dans un même chaos. Les critiques nous montrent

dans ce temps des mystères à l'ancienne mode, des tragédies à la mode nouvelle, des tragédies morales, allégoriques, avec ou sans chœurs, des journées en tragédies, des pastorales et bergeries, comiques ou historiques, des tragi-comédies à l'espagnole, etc., etc.

Édouard du Monnin donna une pièce politicoallégorique, intitulée la Peste de la peste ou le jugement divin; un autre donna la Comédie française de l'Enfer poétique; Philippe Bosquet, de Mons, fit représenter le Petit rasoir des ornements mondains ; Jean de Viret donna les Machabées; Jean Gaucher de Troyes, l'Amour divin, etc.

Il est hors de doute que si, au milieu de ce bouleversement général, ou plutôt de ce syncrétisme qui avait également accueilli tous les systèmes, qui, en adoptant les anciennes compositions religieuses de la France, ne rejetait ni les Grecs, ni les Latins, ni les Italiens, ni les Espagnols, et qui n'était enchaîné par aucune règle arbitraire, il s'était élevé un de ces génies créateurs qui savent dominer leur siècle, deviner ses besoins, les satisfaire, et en même temps lui imprimer la direction de leurs pensées, les destinées de la scène française étaient fixées peut-être pour un long espace de temps, et peut-être aussi eût-elle pris un essor encore plus élevé qu'elle ne le fit dans la suite. Malheureusement il lui manqua un homme. Corneille vint trop tard; et Hardi, qui parut vers la fin du xvie siècle, n'était pas le génie que demandait son époque. Il fut cependant l'écrivain le plus fécond, le plus populaire, le plus universel que produisit ce système, et il peut en être considéré comme le type.

Cet homme, d'une veine si prodigieusement abondante, comme dit Scudéri, a composé plus de huit cents pièces ; il écrivait quelquefois deux mille vers en vingt-quatre heures. L'impression n'a conservé que quarante et un de ses drames. Parmi eux se trouvent des tragédies antiques, comme Didon, Méléagre, la Mort de Darius, Coriolan, Mariane, Panthée, etc. Au milieu d'inconvenances et d'incorrections sans nombre, elles présentent une verve de style assez franche, et presque toujours l'observation des règles classiques. Les pièces dont le sujet est moderne sont, au contraire, pour la plupart, des imbroglios espagnols, où toutes les licences imaginables sont admises sans difficulté. Le style de Hardi, quelquefois assez animé, mais le plus souvent prosaïque, n'a jamais l'harmonie, l'éclat et la poésie de celui de Garnier.

La comédie, qui ne s'attachait qu'à imiter une nature plus connue et plus positive, resta, du moins dans le temps du système de Ronsard, à l'abri des aberrations où s'égara le genre sé

rieux elle imita les défauts comme les qualités
des comédies italiennes de Poggio, de Machiavel,
de Bibbiéna. Un vers de huit syllabes, coulant
et rapide, dit Sainte-Beuve, un dialogue vif et
facile, des mots plaisants, des malices parfois
heureuses contre les moines, les maris et les
femmes, y rachètent l'immoralité des sujets,
l'uniformité des plans, la confusion des scènes,
la trivialité des personnages. ›

Les comédies les plus fameuses de ce temps
furent l'Eugène de Jodelle, les Esbahis et la
Trésorière de Grevin, le Brave ou Taille-Bras
de Baif, les Négromants et les Corrivaux de J. de
La Taille, et surtout les pièces de Larivey,
Champenois, le seul de nos anciens comiques
qui, avec l'auteur de Patelin, se rapproche de
Molière; ses pièces sont écrites en prose, comme
celles de Jean de La Taille. Sa comédie des
Esprits, dont M. Suard a fait le plus brillant
éloge, est pleine de traits heureux, et d'une
grande naïveté de passion. On cite aussi, à la
même époque, les Napolitains de François
d'Amboise, les Contents d'Odet Turnèbe, le
Muet insensé de Pierre le Loyer. Ce dernier,
dans sa Nephelococugie a heureusement imité
la charmante comédie des Oiseaux d'Aristo-
phane.

PROSE; ROMANS, MÉMOIRES, OUVRAGES DIDAC-
TIQUES.

La réforme littéraire, qui avait si rapide-
ment mais si complétement modifié la poésie
du xvIe siècle, n'eut aucune influence sur la prose,
car cette réforme était l'œuvre des savants, et
la prose, comme nous l'avons dit, s'était tenue
jusque-là presque en dehors de la science, elle
était restée l'expression de la pensée et des sen-
timents populaires. Aussi, en se dérobant aux
innovations des lettrés, elle obéit tout entière
au mouvement religieux et politique qui agitait
toutes les classes des citoyens. Le génie obser-
vateur des Français avait été frappé, aussitôt que
le reste de l'Europe et même avant elle, des er-
reurs multipliées de l'Église et de l'État; mais,
fidèles à l'esprit de leurs ancêtres, ils n'em-
ployèrent longtemps que les traits de la plaisan-
terie et l'arme du ridicule contre les abus que
l'Angleterre et l'Allemagne attaquaient d'une
manière tout autrement sérieuse et décisive. Ainsi
la prose se renferma d'abord dans une satire
joviale, licencieuse, mais presque inoffensive,
contre les moines et les maris. Les Italiens avaient
donné le modèle de ces gaillardises pleines d'une
immoralité naïve, auxquelles les contes des trou-
vères, l'Histoire de Gérard de Nevers, celle du
petit Jehan de Saintré, sous Charles VI, et les

cent Nouvelles composées par des seigneurs de
la cour de Bourgogne, avaient aussi habitué les
Français avant le xvIe siècle.

A l'imitation du Décaméron de Boccace, la
reine Marguerite de Navarre écrivit l'Heptamé-
ron, beaucoup plus libre dans les pensées comme
dans le style que l'auteur italien, mais fidèle
miroir du siècle corrompu où elle vivait. Une
preuve de la vogue qu'obtenaient alors ces sortes
d'ouvrages, c'est que la reine mère et madame
de Savoie avaient aussi tenté de composer des
nouvelles dans le même genre. Qu'on ne s'étonne
point de trouver ici le nom de trois princesses
royales. Ce siècle fut encore plus fertile que les
précédents en romanciers et en poëtes couronnés.
Tout le monde connait les quatrains légers et
gracieux de François Ier; Henri II égalait son
père en ce genre; et tous deux furent surpassés
par Charles IX, dont les vers à Ronsard sont
peut-être les plus fermement et les plus purement
écrits de l'époque. Marie Stuart, femme de
François II, avait reçu des leçons de poésie du
chevalier de Chatelart, poète lui-même, et qui
fut victime de sa passion pour elle. Les Adieux
de Marie à la France respirent une touchante
mélancolie. Enfin les vers, les lettres et les
courtes harangues de Henri IV prouvent que,
comme écrivain, il ne fut pas indigne de ses pré-
décesseurs.

Pour revenir à nos conteurs, Bonaventure
Desperriers, secrétaire de la reine de Navarre,
l'imita dans ses Joyeux Contes et Devis; et
bientôt son fameux Cymbalum mundi, qui lui
attira tant de persécutions, fut comme le signal
d'un genre de satire plus directe.

En effet, le mouvement général donné aux
esprits par la réformation ne permettait plus de
se renfermer dans une plaisanterie vague et pres-
que innocente. Les disputes religieuses, unies
au classicisme, produisirent en Italie, en Hol-
lande, en Allemagne, une foule d'ouvrages
satirico-philosophiques, écrits dans les langues de
l'antiquité; l'ironie du style macaronique prit
naissance; Érasme fit l'Eloge de la Folie, d'autres
celui de la Goutte, de la Paresse, etc. Reuchlin
écrivit les Litteræ obscurorum virorum. De ce
mélange universel de raison, de science et de
comique sortit enfin Rabelais.

Rabelais, curé de Meudon, fit paraître, vers
le milieu du XVIe siècle, le fameux roman de
Gargantua, qui fut bientôt suivi de Pantagruel,
mélange inouï de rire inextinguible, de bon sens
supérieur au siècle, d'obscénités repoussantes,
de vigoureuse éloquence, d'inintelligible folie,
saturnales d'une épopée en délire qui comprend
tout et se gausse de tout, qui suppose une étude
approfondie des anciens et des modernes, et qui

ne peut être comparée à rien ni chez les modernes ni chez les anciens. Ce livre, qui eut un si grand renom, qui lança les traits les plus acérés contre Atoute la société religieuse et politique de l'époque,

dont tous les caractères semblaient des allusions

dirigées contre les chefs de l'Église et de l'État, ne nuisit point cependant à son auteur qui mourut tranquillement en 1552.

Rabelais eut des imitateurs. Guillaume des Autels composa la Mitistoire baragouine de Fanfreluche et Gaudichon; Beroald de Verville * écrivit un salmigondis indécent, mais semé * d'anecdotes pleines de verve et d'esprit. Les livres publiés, dans les années suivantes, sous le nom de Tabarin et de Bruscambille, ceux de Noël Dufail et d'Étienne Tabourot, seigneurs des Accords, appartiennent au même genre. Les Sérées de Guillaume Bouchet, de Poitiers, contiennent des détails curieux sur les mœurs du temps; et l'on trouve tout le sel de la satire, sans le cynisme qui la souille, dans l'Apologie pour Hérodote, de Henri Estienne, dans les écrits en prose d'Agrippa d'Aubigné, et surtout dans cette excellente Satire Ménippée, dont les auteurs, Le Roy, Rapin, Gillot, Pithou, etc., rendirent autant de services à Henri IV que les officiers qui lui gagnèrent des batailles. Jean Louveau, Gabriel Chapuis, Belleforest, quoique postérieurs à Rabelais, appartiennent plutôt au genre qu'avait mis en vogue la reine de Navarre. Leurs contes ne sont guère que des traductions ou des imitations de l'italien et de l'espagnol.

Ce besoin du conte sérieux ou comique fut peut-être la cause de la faiblesse de l'histoire, qui ne produisit guère pendant ce temps que des biographies et des mémoires anecdotiques. Nous ne parlons point du président de Thou, dont l'ouvrage, d'ailleurs si remarquable, est écrit en latin. Une des meilleures biographies du xvie siècle est l'Histoire du chevalier Bayard; son auteur anonyme se rapproche souvent de la charmante naïveté de Joinville. Brantôme décrit les mœurs des cours dépravées de Charles IX et de Henri III, et transporte dans son style l'obscénité des actions qu'il dépeint. Les Mémoires les plus instructifs et les plus intéressants de cette époque sont ceux de la princesse de Condé et de Sully; mais on n'y

retrouve déjà plus la naïveté des anciens chroniqueurs. Le Journal de l'Étoile est curieux sous le rapport historique. N'oublions point, parmi les écrivains sérieux de cet âge, Étienne Pasquier. Ses Recherches sur la France et son fameux plaidoyer contre les jésuites lui acquirent une juste réputation.

Mais les deux prosateurs de ce temps qui ont partagé avec Rabelais la gloire de survivre à leur siècle, et dont la renommée n'a fait que grandir à travers tous les changements survenus dans la langue et le goût de leurs concitoyens, ce sont Amyot et Montaigne. Malgré les fréquents essais tentés depuis Amyot sur les auteurs anciens qu'il a traduits, malgré les nombreux contre-sens qu'une connaissance plus approfondie de la langue grecque a découverts dans ses livres, ses vieilles translations de Plutarque et du Daphnis et Chloé de Longus, sont les seules que l'on relise toujours avec un nouveau plaisir, car lui seul sut être original en traduisant. Quant à Montaigne, il fut un génie à part dans son siècle. Il ne lui doit rien,

ou plutôt, dit M. Villemain, malgré son siècle, par la seule force de sa pensée, il se plaça de luimême à côté des écrivains les plus parfaits, nés dans les siècles les plus polis. Penseur profond sous le règne du pédantisme, auteur brillant et ingénieux dans une langue informe et grossière, il écrit avec le secours de sa raison et des anciens; son ouvrage reste et fait seul toute la gloire littéraire d'une nation; et lorsque, après de longues années, sous les auspices de quelques génies sublimes qui s'élancent à la fois, arrive enfin l'âge du bon goût et du talent, cet ouvrage, longtemps unique, demeure toujours original; et la France, enrichie tout à coup de tant de brillantes merveilles, ne sent pas refroidir son admiration pour ces antiques et naïves beautés. › Le livre des Essais n'eut ni modèle ni imitateurs. Étienne de La Boétie que Montaigne honora de son amitié, et dont il publia le Traité de la servitude volontaire, Charron qui se rapprocha de ses principes dans son Livre de la Sagesse, Mlle de Gournay, sa nièce, qui défendit sa mémoire, Bodin, dont la République est d'ailleurs le meilleur écrit politique du siècle, ne peuvent cependant lui être comparés.

DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

Nous venons de traverser une époque critique, féconde en bouleversements et en créations, agitée par la conscience d'un mieux possible, et qui lui échappe encore, parce que, dans son impatience d'atteindre le but, elle s'engage aveuglément dans des routes qui l'égarent. Cependant il a été facile, au milieu de cette anarchie générale, de reconnaître l'effet des influences indiquées dès le principe, et surtout de voir dominer toujours ce bon sens français dont Montaigne est jusqu'ici le plus parfait représentant. L'influence italienne et l'espagnole se sont ajoutées encore à celles qui les avaient précédées, et toutes enfin en ont subi une nouvelle qu'on peut appeler monarchique. Le découragement que jetèrent dans les esprits des guerres civiles accompagnées des plus horribles fléaux et où l'autorité royale finit toujours par triompher, les vertus publiques et privées de Henri IV, la politique intérieure et extérieure de Richelieu, enfin cette auréole de gloire à la fois solide et prestigieuse dont s'environna Louis XIV, tout contribua à étendre cette influence où toutes les autres vinrent se perdre. Elle sut modifier et coordonner tous les éléments divers, les rattacher par un lien commun, les diriger à un même but, et d'elle naquit enfin ce xviie siècle, merveille de notre civilisation littéraire, objet d'admiration et d'imitation pour l'Europe, prodigieux ensemble où l'unité et la noblesse du monarchisme, la gravité et la pureté du christianisme, la politesse et l'élégance de la sociabilité française, la délicatesse et l'éclat de la galanterie chevaleresque se fondent et s'harmonisent dans une savante imitation de l'antiquité. Il n'est aucune partie de ce magnifique tableau qui ne mérite d'être étudiée.

POÉSIE DIDACTIQUE, LYRIQUE, SATIRIQUE, FUGITIVE, ETC.

La sagesse de pensées, l'unité et la gravité de ton, l'harmonieuse élégance de style, la régularité portée à l'excès et préférant la froideur même à la licence, qui devaient être les caractères distinctifs du xviie siècle, naquirent avec lui.

Ce fut, en effet, en l'an 1600 que Malherbe fit paraître ses premiers ouvrages. Tout en déclarant à Ronsard une guerre à mort, son but semblait être de poursuivre la réforme qu'avait tentée ce poëte, c'est-à-dire, de donner à la langue la vraie dignité qui lui manquait encore, mais de la poursuivre par une autre route. Au lieu d'emprunter, comme Ronsard, au grec et au latin les formes nouvelles que réclamait le français, ce fut du fond même de la langue qu'il prétendit, à force de correction et de travail, tirer toutes ses richesses; en même temps, il voulut contenir dans des bornes rigoureuses et la pensée et l'expression. Il suffit à Malherbe d'un bien petit nombre de vers pour réussir dans cette grande entreprise, mais son infatigable patience imprima à chacun d'eux toute la perfection qu'il était capable de leur donner. Sa réforme fut à la fois un acte de bon sens et d'art, et la langue surtout lui eut les plus grandes obligations; malheureusement, il exagéra lui-même ses principes sa régularité tourna souvent en rigorisme austère, et rien n'adoucit la pesanteur des chaînes qu'il imposa à ceux qui lui succédèrent. Comme poëte, il enseigna le premier la science de l'enchaînement correct des idées, la majesté et l'harmonie de la versification. Dans quelques-unes même de ses odes, surtout dans celle à Louis XIII, au moment de son départ pour La Rochelle, il porta la vigueur et le mouvement presque jusqu'au sublime; mais il ne connut jamais la grâce et l'abandon, qui semblaient répugner à la sévérité de sa nature; et l'on ne trouve chez lui quelques traces de sensibilité que dans ses fameuses Stances à Duperrier sur la mort de sa fille.

Ses élèves furent loin de l'égaler. Le sonnet était alors la forme de poésie la plus cultivée. C'est en ce genre que se distinguèrent surtout François Maynard, dont les compositions ne manquent point d'élégance; Gombaud, plus lourd et plus obscur, mais qui sut quelquefois aiguiser assez heureusement l'épigramme; Malleville, qui se fit un grand nom par le sonnet de la Belle Matineuse, comme plus tard le fameux sonnet de Desbarreaux suffit à la réputation de ce poëte. Segrais et Racan préférèrent la pastorale; et l'idylle fran

çaise n'a encore rien produit de supérieur au poëme d'Atys par Segrais, et à la touchante et philosophique simplicité qui donne tant de charme à plusieurs des Stances pastorales de Racan. Quelques traits des Poésies sacrées de l'évêque Godeau sont restés dans la mémoire des amateurs. Mais rien de plus fade que la plupart des sonnets et des madrigaux de Sarrasin, de Desyvetaux, de Saint-Pavin, de Pavillon; rien de plus affecté que les écrits de ce Benserade, le poëte des ruelles, qui porta la passion du rondeau jusqu'à l'employer à traduire les Métamorphoses d'Ovide; rien de plus ampoulé que les poëmes épiques assez fréquents aussi à cette époque et dont plusieurs ne sont guère connus maintenant que par les traits satiriques dont Boileau les poursuivit. Tels furent l'Alaric de Scudéri, le Moïse sauvé de SaintAmand, la Pucelle de Chapelain, le Clovis de Desmarets de Saint-Sorlin, et cette Pharsale de Brébeuf, dont la renommée d'abord si brillante alla mourir obscurément dans les provinces. Cependant quelques tirades de Brébeuf ne sont pas indignes de tout éloge: il en est de même de plusieurs passages du poème de Saint-Louis par le père Le Moine, homme qui ne manquait ni de hardiesse dans la conception, ni d'élévation dans le style.

D'autres écrivains s'acquirent à moins de frais une réputation plus durable. Mme de La Suze, Mme et Mile Deshoulières, sans mériter pourtant toute leur renommée, ont mis dans quel- | ques-unes de leurs pièces, sinon la philosophie rustique, du moins la grâce et l'harmonie de Racan. Saint-Aulaire, Lafare, Chaulieu, rappelèrent dans quelques madrigaux délicieux, ou dans des poésies légères pleines d'un aimable abandon, le génie d'Anacréon qu'ils avaient pris pour modèle; et Voltaire seul les surpassa, sans les faire oublier. Auprès d'eux il faut placer Chapelle, Bachaumont, Alexandre. Lainez, moins connu et souvent aussi gracieux que Chapelle, Vergier, et l'abbé Grécourt, quoique ces derniers aient porté beaucoup trop loin le cynisme des images et la négligence de la versification. Je leur préférerais la gaieté franche et bachique du populaire maître Adam Billaud, le menuisier de Nevers, qui, dans un âge de gravité, fit revivre seul le vieux Vau-de-Vire, et devança, avec Faret, la troupe joyeuse des Collé, des Gallet et des Piron.

Mais de tous les poëtes du xvne siècle, un seul a réellement continué Malherbe, et, avec un génie supérieur au sien, est tombé aussi dans les mêmes fautes; ce poëte, c'est Boileau-Despréaux. C'est dans l'un et l'autre la même austérité de raison, la même critique inexorable contre le mauvais goût de leur siècle, le même sens droit et ferme,

mais incomplet en quelque sorte, et plus jaloux de la forme que du fond. Si Boileau eut une si

ses paroles était un arrêt dans les questions littéraires, si l'assentiment universel le surnomma le législateur du Parnasse, il ne faut pas s'en étonner. C'est qu'avec le mérite éminent qui lui appartient en propre, il cut celui de l'à-propos; il représenta parfaitement son temps. A sa raison, à sa clarté, à sa modération, à sa causticité toute française, il unit un monarchisme un peu- janséniste, c'est-à-dire, cette légère teinte d'opposition tout à fait dans l'esprit de l'époque et qui n'altère ni l'aveugle soumission aux dogmes de l'Église, ni le dévouement à la personne du monarque porté jusqu'à l'adulation. La versification de Boileau est d'une élégance toujours grave et travaillée, même quand il plaisante; ses Epitres, supérieures à ses Satires, prouvent, par intervalles, qu'il n'était pas entièrement dépourvu de cette sensibilité dont au reste on chercherait vainement des témoignages dans ses autres écrits; et le Lutrin révèle en lui une imagination créatrice. L'Art poétique est son chef-d'œuvre ; si l'on y peut désirer une critique plus profonde et des vues plus larges, on y admirera toujours une haute raison, un goût délicat, une pureté et une richesse soutenue d'expressions, et cette foule de vers si universellement vrais qu'ils sont passés en proverbes et resteront les axiomes éternels de l'art.

Tandis que Boileau continuait Malherbe, un autre poëte de cet âge, le plus naïf, le plus gracieux, le plus original de tous, si Molière n'eût pas existé, La Fontaine, reprenait Marot, Rabelais, et tout le xvIe siècle d'avant Ronsard; il recueillait, pour l'embellir, la succession de Villon et de la reine de Navarre, il y ajoutait ce charme qui n'est qu'à lui, cette instinctive spontanéité de talent qui lui assigne une place tout à fait à part au milieu des grands écrivains dont il était entouré. Dans ses Poésies diverses, dans ses Contes, dans ses Fables, surtout dans celles qui suivent les six premiers livres, il montra l'homme autant que le poëte, et chez lui, comme chez Montaigne, c'est l'homme que nous cherchons, ses rêveries, ses regrets, ses désirs, ses confidences tantôt gaies et malicieuses, tantôt empreintes d'une douce mélancolie ou d'une profonde sensibilité. L'intérêt pour ainsi dire tout personnel qu'il prend à ce qu'il raconte fait le charme principal de ses récits; habile à se plier à tous les tons, il garde partout cette naïve négligence qu'il tenait de lui-même et de la vieille école qu'il avait spécialement étudiée; mais, en même temps, l'habitude de lire et d'entendre Racine, Boileau, et les écrivains les plus nobles

« AnteriorContinuar »