CARACTÈRES POLITIQUES. THEMISTOCLE. Des plus grands sénateurs la sagesse y préside1. A d'obscurs citoyens ils doivent leur naissance : Fait pour le premier rang, brille encore au dernier; Vainqueur de Marathon, ô fameux Miltiade, FONTANES. La Grèce sauvée. ARISTIDE. Aristide est plus simple et non moins magnanime. De la seule équité le pur amour l'anime; Ceux même dont la haine éclata contre lui, Sitôt qu'on les opprime, invoquent son appui. Ferme dans les revers, modeste dans la gloire, Aussi grand dans l'exil qu'en un jour de victoire, Le vent de la faveur ou de l'adversité N'élève en aucun temps ou n'abat sa fierté. Opprimé, mais fidèle à sa patrie ingrate, Il sert toujours le peuple et jamais ne le flatte. Sa noble pureté, sûr garant de sa foi, L'orne mieux que la pompe et tout l'or d'un grand roi. De respect et d'amour ce grand homme entouré, LE FRANÇAIS ET L'ANGLAIS. Peut-être, dit le Fort 2, leur berceau fut commun, Mais ils diffèrent plus que si la mer profonde Eût entre leurs climats mis la moitié du monde : Tant la nature entre eux grava des traits divers! Tu croiras, tout à coup, voir un autre univers. Ici, ce ne sont plus ces mœurs républicaines D'un peuple enorgueilli d'avoir brisé ses chaînes; Ce n'est plus la rudesse et l'austère âpreté, Fruits sauvages d'un sol où croît la liberté; Tout est plus doux, l'esprit, les vertus, le langage. A peine on a touché sur cet heureux rivage, S'offrent le goût des arts, les talents séducteurs, Et l'aimable souplesse, et la grâce des mœurs. Le Breton, frémissant au nom de servitude, Nourrit une éternelle et vague inquiétude. Le ciel le plus serein lui paraît orageux; Le citoyen français, moins fier et plus heureux, Pour le républicain objet digne d'envie, D'un charme renaissant sait embellir la vie, Sait jouir des succès, rit au sein des malheurs, Et sa chaîne, à ses yeux, est couverte de fleurs. L'Anglais, calme au dehors, couve dans le silence Des grandes passions la sourde violence : Sous sa cendre ce feu ne peut être amorti; Chez lui tout est fureur et tout devient parti, Intérêt de l'État, culte, amusement même; S'il n'est indifférent, il faut qu'il soit extrême. Le Français, plus actif, et bien moins emporté, Échappe aux passions par sa légèreté : Elle l'assujettit à ses divers caprices, Et borne également ses vertus et ses vices. L'un né compatissant et cruel à la fois, 1 L'auteur vient de parler des jeux Olympiques. 2 Voyez plus haut. Féroce dans ses mœurs, est humain dans ses lois; Et, s'il domptait sa fougue, il pourrait tout dompter. Et, formant des complots, jamais de grands desseins, Malheur au fier Anglais, s'il cessait d'être libre! Prince, tel est ce peuple aimable et redouté : THOMAS. Pétréide. 1 Voyez, en prose, Caractères ou Portraits. 2 Voyez Narrations et Descriptions. 3 Voyez Ire partie, même sujet. 4 C'est Henri IV qui parle. Le duc de Mayenne, frère du duc de Guise, après avoir dominé longtemps dans le conseil COLIGNY. Coligny, de Condé le digne successeur, De moi, de mon parti devint le défenseur. Je lui dois tout, madame, il faut que je l'avoue : Et, d'un peu de vertu si l'Europe me loue, Si Rome a souvent mème estimé mes exploits, C'est à vous, ombre illustre, à vous que je le dois. Je croissais sous ses yeux, et mon jeune courage Fit longtemps de la guerre un dur apprentissage; Il m'instruisait d'exemple au grand art des héros. Je voyais ce guerrier, blanchi dans les travaux, Soutenant tout le poids de la cause commune, Et contre Médicis, et contre la fortune; Chéri dans son parti, dans l'autre respecté, Malheureux quelquefois, mais toujours redouté; Savant dans les combats, savant dans les retraites, Plus grand, plus glorieux, plus craint dans les défaites, Que Dunois ni Gaston ne l'ont jamais été Dans le cours triomphant de leur prospérité 2. VOLTAIRE. Henriade, ch. II. HENRI DE GUISE, LE BALAFRÉ. Sa valeur, ses exploits, la gloire de son père, Sa grâce, sa beauté, cet heureux don de plaire, Qui mieux que la vertu sait régner sur les cœurs, Attiraient tous les vœux par des charmes vainqueurs. Nul ne sut mieux que lui le grand art de séduire; Nul sur ses passions n'eut jamais plus d'empire, Et ne sut mieux cacher sous des dehors trompeurs Des plus vastes desseins les sombres profondeurs. Altier, impérieux, mais souple et populaire, Des peuples en public il plaignait la misère, Détestait des impôts le fardeau rigoureux; Le pauvre allait le voir et revenait heureux : Il savait prévenir la timide indigence; Ses bienfaits dans Paris annonçaient sa présence : Il se faisait aimer des grands qu'il haïssait; Terrible et sans retour, alors qu'il offensait; Téméraire en ses vœux, sage en ses artifices, Brillant par ses vertus et mème par ses vices; Connaissant le péril, et ne redoutant rien : Heureux guerrier, grand prince, et mauvais citoyen3. LE MÊME. Ibid., ch. III. MAYENNE ET D'AUMALE. Mayenne, dès longtemps nourri dans les alarmes, Sous le superbe Guise avait porté les armes. Il succède à sa gloire, ainsi qu'à ses desseins; Le sceptre de la Ligue a passé dans ses mains. Cette grandeur sans borne, à ses désirs si chère, Le console aisément de la perte d'un frère. Il servait à regret; et Mayenne aujourd'hui Aime mieux le venger que de marcher sous lui. Mayenne a, je l'avoue 4, un courage héroïque; Il sait, par une heureuse et sage politique, Réunir sous ses lois mille esprits différents, de la Ligue, se réconcilia avec Henri IV, après la reddition de Paris; il mourut à Soissons en 1611. Le duc d'Aumale fut un des plus chauds partisans de la Ligue ; il persista toujours dans sa révolte contre le roi ; il quitta la France et mouruta Bruxelles en 1591. (N. E.) Ennemis de leur maître, esclaves des tyrans : MORNAI. LE MÊME. Ibid. Quand il fut descendu vers ce triste hémisphère, Il marchait d'un pas ferme au bord des précipices. PHILIPPE II ET SIXTE-QUINT. Philippe, de son père héritier tyrannique, Moins grand, moins courageux, et non moins politique, Divisant ses voisins pour leur donner des fers, Du fond de son palais croit dompter l'univers. Sixte, au trône élevé du sein de la poussière, Avec moins de puissance a l'âme encor plus fière. Le pâtre de Montalte est le rival des rois; Dans Paris comme à Rome, il veut donner des lois : Sous le pompeux éclat d'un triple diadème, Il pense asservir tout, jusqu'à Philippe même. Violent, mais adroit, dissimulé, trompeur, CATHERINE DE MÉDICIS. Son époux, expirant dans la fleur de ses jours, A son ambition laissait un libre cours. Chacun de ses enfants, nourri sous sa tutelle, Devint son ennemi, dès qu'il régna sans elle. Ses mains autour du trône, avec confusion, Semaient la jalousie et la division : Opposant sans relâche, avec trop de prudence, Les Guises aux Condés, et la France à la France, Toujours prête à s'unir avec ses ennemis, Et changeant d'intérêt, de rivaux et d'amis; Esclave des plaisirs, mais moins qu'ambitieuse ; Infidèle à sa secte, et superstitieuse; Possédant, en un mot, pour n'en pas dire plus, Les défauts de son sexe, et peu de ses vertus. LE MÊME. Ibid., ch. II. ÉLISABETH ET L'ANGLETERRE. Sur ce sanglant théâtre où cent héros périrent, De l'Europe à son choix fit pencher la balance, Ses peuples sous son règne ont oublié leurs pertes; Tous trois membres sacrés de ce corps invincible, 1 Le génie de la France. 2 Extremum hunc, Arethusa, mihi concede laborem. Sic tibi, quum fluctus subter labere sicanos, VIRGILE. Églogue X. (N. E.) 3 Félix Perreti, simple cordelier d'Ascoli, parvint, à force de ruses, à se faire élire pape à la mort de Grégoire XIII, en 1585; il prit alors le nom de Sixte-Quint, et mourut en 1590, âgé de 69 ans. (N. E.) 4 Le roi Henri II. Catherine de Médicis naquit à Florence en 1519; ce fut en grande partie par les conseils de cette princesse astucieuse que l'horrible massacre de la Saint-Barthélemy fut ordonné. Elle mourut en 1589. (N. E.) 5 L'ancienne abbaye de Westminster, qui dépend de Londres, était le lieu des séances du parlement anglais. Un incendie en a consumé une partie en 1835. (N. E.) CROMWELL. Quel est donc ce mortel si fier et si terrible? S'écria le héros sa hauteur inflexible Semble braver les rois troublés à son aspect; Il m'inspire à la fois l'horreur et le respect. Quel est-il? C'est Cromwell, répliqua la déesse : Mélange redoutable et de force et d'adresse, Assassin de son roi, tyran de ses égaux, On le vit dans sa marche écraser ses rivaux Par le poids de sa gloire et de sa renommée, Le roi par le sénat, le sénat par l'armée, Les chefs par les soldats; dans ses grands mouvements, Employer tour à tour, briser ses instruments, Souffler le fanatisme, en maîtriser la rage, Et par la liberté mener à l'esclavage. Quand le roi, le sénat, les grands furent proscrits, Le plus grand des mortels, s'il n'est le plus coupable1. RICHELIEU. THOMAS. Pétréide. Un homme en qui l'audace aux talents fut unie, Sujet par sa naissance, et roi par son génie, Avait du nom français commencé la splendeur, Et préparé pour moi ce siècle de grandeur. Cet homme est Richelieu, ministre despotique, Profond dans ses desseins, fier dans sa politique, Qu'il fallut à la fois admirer et haïr; Qui, parmi les complots, sut se faire obéir; En dégradant son roi, releva la couronne ; Du pouvoir d'un sujet fit hériter le trône; Combattit et l'Espagne, et l'Autriche, et les grands, Et, sans aimer le peuple, écrasa ses tyrans. Il ébranla l'Europe, et sut calmer la France. Tandis que des Césars il sapait la puissance, La mort l'interrompit dans son vaste projet. Son maître, qui ne fut que son premier sujet, Qui, faible dans sa cour, partout ailleurs fut brave, Sans oser être libre, indigné d'être esclave, A ce ministre-roi donnant peu de regrets, Dans la nuit du tombeau l'avait suivi de près 3. LE MÊME. Ibid. RICHELIEU ET MAZARIN. Henri, dans ce moment, voit sur les fleurs de lis Deux mortels orgueilleux auprès du trône assis; Ils tiennent sous leurs pieds tout un peuple à la chaine; Tous deux sont revêtus de la pourpre romaine; Tous deux sont entourés de gardes, de soldats : Il les prend pour des rois. Vous ne vous trompez pas, Ils le sont, dit Louis, sans en avoir le titre; Du prince et de l'État l'un et l'autre est l'arbitre. Richelieu, Mazarin, ministres immortels, VOLTAIRE. Henriade, ch. VII. CONDÉ. Le premier, dit Louis, de ces noms éclatants Est ce fameux Condé, général à vingt ans, Couvert, dans les combats, d'une gloire immortelle, Né pour être un héros, plus qu'un sujet fidèle. Lui seul de son génie il connut le secret; Lui seul, en osant tout, ne fut point indiscret. Entouré de périls, le grand homme ordinaire Balance les hasards, consulte, délibère; Pour lui, voir l'ennemi, c'était l'avoir dompté; En mesurant l'obstacle, il l'avait surmonté; Sa prudence, sortant de la route commune, Par l'excès de l'audace enchaînait la fortune. Pour guider des Français le ciel l'avait formé; Mais ce feu dévorant dont il fut animé, Fit ses égarements, ainsi que son génie; Il ne put d'un affront porter l'ignominie; Maître de la victoire, et non maître de soi, Pour punir un ministre, il combattit son roi! Un remords lui rendit sa patrie et sa gloire 6. TURENNE. THOMAS. Pétréide. Turenne, ainsi que lui, formé par la victoire, Habile à tout prévoir, comme à tout réparer, Différant le succès pour le mieux assurer, Couvrant tous ses desseins d'un voile impénétrable, Ou vainqueur ou vaincu, fut toujours redoutable. Tantôt avec ardeur précipitant ses pas, Tantôt victorieux sans livrer de combats, De vingt peuples ligués spectateur immobile, Son génie enchaînait leur valeur inutile. Bourbon dut son succès à son activité : L'ennemi de Turenne a souvent redouté Sa lenteur menaçante et son repos terrible '. LE MÊME. Ibid. LUXEMBOURG. Luxembourg, fier, actif, et comme eux invincible, Eut l'âme de Condé, l'éclair de son regard, 1 Voyez Caractères, en prose. 2 C'est Louis qui parle. (N. E.) 3 Voyez, en prose, Caractères ou Portraits. 4 C'est saint Louis qui parle à Henri IV. (N. E.) 5 Voyez, en prose, Caractères ou Portraits. 6 Ibid. 7 Voyez Ire partie. Et le génie ardent qui sait maîtriser l'art. Mon cœur, né généreux, sut en porter le poids; LOUVOIS. LE MÊME. Ibid. Tels étaient ces grands chefs. Tandis que leur courage Faisait trembler le Rhin, le Danube et le Tage, Du sein de mon palais un ministre fameux 3 Secondait par ses soins leurs travaux belliqueux : C'était ce fier Louvois, actif, infatigable, De mes droits offensés vengeur inexorable, Esclave des grandeurs plus qu'ami de son roi, Mais par ambition servant l'Etat et moi. Je connus ses défauts; je vis son caractère S'endurcir par degrés dans un long ministère : Ses yeux importunés d'un éclat étranger N'aimaient que les talents qu'il pouvait protéger. Faiblesse avilissante, et pourtant trop commune! Mais son jaloux orgueil servit à ma fortune : Par ses savantes mains les plans étaient tracés, Des rives du Danube aux rives de la Seine, La renommée alors vantait le nom d'Eugène : Ce guerrier, du Germain guidant les étendards, Enchaînait la victoire au trône des Césars. Louis, souvent trompé par quarante ans d'ivresse, Louis avec orgueil dédaigna sa jeunesse; Il ne crut voir en lui qu'une indiscrète ardeur, Et d'un héros naissant méconnut la grandeur. Un sujet dédaigné fut terrible à son maître : Eugène méconnu devint plus grand peut-être ; Et son roi, sur un trône entouré de débris, Se repentit quinze ans d'un instant de mépris. Politique, guerrier, ministre, capitaine, Les dons les plus heureux s'unissaient dans Eugène ; Terrible dans l'attaque, et ferme à résister, Sage pour concevoir, prompt pour exécuter, On admirait en lui, dans un jour de carnage, Ce calme redouté, ce tranquille courage, Ces secrets du génie et ces grands mouvements, Cet art qu'ont les héros de saisir les moments, Ce coup d'œil étendu qui mesure en silence, Et va fixer au loin le destin qui balance; Grand parmi les périls, et grand dans le repos, Joignant le goût des arts aux talents des héros. La fortune à son choix eût fait de ce grand homme, Ou Colbert à Paris, ou Scipion à Rome 5. LE MÊME. Ibid. |