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CARACTÈRES POLITIQUES.

THEMISTOCLE.

Des plus grands sénateurs la sagesse y préside1.
Deux illustres rivaux, Thémistocle, Aristide,
Les premiers au combat, les premiers au conseil,
Ont de ce jour de fête ordonné l'appareil;

A d'obscurs citoyens ils doivent leur naissance :
Seuls ils ont fait leur sort. On les vit, dès l'enfance,
Suivre un parti contraire, et différer toujours;
Mais, sitôt que l'État réclame leur secours,
Ennemis généreux, oubliant leur querelle,
Ils marchent réunis quand sa voix les appelle.
Thémistocle est superbe, actif, ambitieux;
Il eût dans tous les temps attiré tous les yeux,
Et gouverné l'Etat où le sort l'eût fait naître...
Il pense en politique, il agit en guerrier,

Fait pour le premier rang, brille encore au dernier;
Joint l'art à la grandeur, la prudence à l'audace,
Et change de talent quand il change de place.
Dans Athène, à la cour, il sut être à la fois
Et souple avec le peuple et fier avec les rois.
La gloire est le besoin de son âme enflammée;
Du nom des vieux héros son oreille est charmée.
Jeune enfant, il courait, ivre d'un noble orgueil,
Méditer leur histoire au pied de leur cercueil.
Il fut jaloux d'Achille en lisant l'Iliade.

Vainqueur de Marathon, ô fameux Miltiade,
C'est toi, surtout, c'est toi qu'il voudrait imiter!
Ta gloire, à chaque instant, revient le tourmenter.
A peine au sein des nuits ses yeux s'appesantissent,
Qu'autour de lui soudain mille voix retentissent,
Qui, proclamant ton nom jusque dans son sommeil,
Au bruit de ta victoire ont hâté son réveil.
Il se lève, il t'appelle, embrasse ton image,
Croit te voir apparaître au milieu d'un nuage,
T'invoque, et, plein de toi, jure de t'égaler,
Dût un injuste arrêt comme toi l'exiler.

FONTANES. La Grèce sauvée.

ARISTIDE.

Aristide est plus simple et non moins magnanime. De la seule équité le pur amour l'anime; Ceux même dont la haine éclata contre lui, Sitôt qu'on les opprime, invoquent son appui. Ferme dans les revers, modeste dans la gloire, Aussi grand dans l'exil qu'en un jour de victoire, Le vent de la faveur ou de l'adversité N'élève en aucun temps ou n'abat sa fierté. Opprimé, mais fidèle à sa patrie ingrate, Il sert toujours le peuple et jamais ne le flatte.

Sa noble pureté, sûr garant de sa foi,

L'orne mieux que la pompe et tout l'or d'un grand roi.

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De respect et d'amour ce grand homme entouré,
Du saint titre de juste est partout honoré.
Moins il prétend d'honneurs, plus il obtient d'empire;
Lui-même il est surpris des transports qu'il inspire:
Sans cesse il s'y dérobe, et souvent le respect
Fait taire la louange à son auguste aspect.
D'un œil religieux sans bruit on le contemple,
Sa voix est un oracle et sa demeure un temple;
Sa vertu le consacre, et, digne des autels,
Semble plus s'approcher des dieux que des mortels.
Lui-même à Thémistocle il donne son suffrage,
Vante ses grands travaux, ses talents, son courage:
Et, quand il reconnaît qu'il n'est point son égal,
Marche après lui sans peine et cède à son rival.
LE MÊME. Ibid.

LE FRANÇAIS ET L'ANGLAIS.

Peut-être, dit le Fort 2, leur berceau fut commun, Mais ils diffèrent plus que si la mer profonde Eût entre leurs climats mis la moitié du monde : Tant la nature entre eux grava des traits divers! Tu croiras, tout à coup, voir un autre univers. Ici, ce ne sont plus ces mœurs républicaines D'un peuple enorgueilli d'avoir brisé ses chaînes; Ce n'est plus la rudesse et l'austère âpreté, Fruits sauvages d'un sol où croît la liberté; Tout est plus doux, l'esprit, les vertus, le langage. A peine on a touché sur cet heureux rivage, S'offrent le goût des arts, les talents séducteurs, Et l'aimable souplesse, et la grâce des mœurs. Le Breton, frémissant au nom de servitude, Nourrit une éternelle et vague inquiétude. Le ciel le plus serein lui paraît orageux; Le citoyen français, moins fier et plus heureux, Pour le républicain objet digne d'envie, D'un charme renaissant sait embellir la vie, Sait jouir des succès, rit au sein des malheurs, Et sa chaîne, à ses yeux, est couverte de fleurs. L'Anglais, calme au dehors, couve dans le silence Des grandes passions la sourde violence : Sous sa cendre ce feu ne peut être amorti; Chez lui tout est fureur et tout devient parti, Intérêt de l'État, culte, amusement même; S'il n'est indifférent, il faut qu'il soit extrême. Le Français, plus actif, et bien moins emporté, Échappe aux passions par sa légèreté : Elle l'assujettit à ses divers caprices, Et borne également ses vertus et ses vices. L'un né compatissant et cruel à la fois,

1 L'auteur vient de parler des jeux Olympiques.

2 Voyez plus haut.

Féroce dans ses mœurs, est humain dans ses lois;
L'autre n'offre pas moins de contrastes bizarres,
Et ce peuple si doux maintient des lois barbares.
Dans le sein des combats, l'un et l'autre fut grand.
Leur courage est fameux, mais il est différent.
La valeur de l'Anglais est intrépide et sombre;
De ses fiers ennemis il calcule le nombre,
Du choc, sans s'émouvoir, soutient la pesanteur,
S'anime par degrés, s'acharne avec lenteur,
Menace en expirant l'ennemi qui l'accable,
Et son dernier moment est le plus redoutable.
Le Français, plus terrible à son premier effort,
Où la gloire paraît, n'aperçoit pas la mort;
Il s'élance pour lui les combats sont des fêtes;
Il change de plaisirs, en volant aux conquêtes.
Par la seule lenteur on peut lui résister;

Et, s'il domptait sa fougue, il pourrait tout dompter.
Par leur gouvernement plus divisés encore,
Ce qu'on redoute à Londre, à Paris on l'adore;
Là, le noble, du peuple autorisant les droits,
S'en fit un allié pour combattre les rois :
Le despotisme alors recula d'épouvante.
Moins magnanime ici, peut-être moins prudente,
Sous ses pieds dédaigneux foulant le plébéien,
La noblesse fut tout, le peuple ne fut rien :
Mais le pouvoir des rois s'avançait en silence;
La force souveraine emporta la balance,
Et les grands ont connu, de leur chute étonnés,
Qu'en enchaînant le peuple ils s'étaient enchaînés.
L'Anglais, dans les fureurs des discordes civiles,
Sut rendre à son pays ses fureurs même utiles:
Chaque goutte de sang fut pour la liberté;
Chaque malheur public fut pour l'humanité.
Ici la nation ardente, mais légère,
Laisse errer au hasard sa fougue passagère,

Et, formant des complots, jamais de grands desseins,
L'intérêt d'un moment toujours arma ses mains.
Que dis-je? Le Français, dans les jours d'anarchie,
En combattant les rois aimait la monarchie,
Et, vers les factions par caprice emporté,
Chercha le mouvement plus que la liberté :
Il méconnut des lois le savant équilibre!

Malheur au fier Anglais, s'il cessait d'être libre!
Car, s'il perdait ses lois, il serait sans appui;
Le despotisme alors, se déchaînant sur lui,
Serait aussi fougueux que la liberté même.
Le Français, rassuré sous le pouvoir suprême,
D'un maitre impérieux redoute moins les droits.
Les meurs, auprès du trône, ont remplacé les lois.
Quand l'honneur a parlé, la force doit se taire.
C'est lui qui du Français maintient le caractère.
A la voix de l'honneur le Français ennobli,
Même en obéissant, ne s'est point avili;
Sous des rois qui sont grands, il sait l'ètre lui-même;
Orgueilleux d'embellir l'éclat du diadème,
La gloire est à ses yeux plus que la liberté.

Prince, tel est ce peuple aimable et redouté :
De son fier ascendant l'Europe convaincue
Par lui fut à la fois éclairée et vaincue.
L'Europe admire, craint, imite le Français;
A ses voisins altiers qu'offensent ses succès,
Il donne les leçons des arts et du courage,
Et leur haine jalouse est un nouvel hommage 1.

THOMAS. Pétréide.

1 Voyez, en prose, Caractères ou Portraits.

2 Voyez Narrations et Descriptions.

3 Voyez Ire partie, même sujet.

4 C'est Henri IV qui parle. Le duc de Mayenne, frère du duc de Guise, après avoir dominé longtemps dans le conseil

COLIGNY.

Coligny, de Condé le digne successeur, De moi, de mon parti devint le défenseur. Je lui dois tout, madame, il faut que je l'avoue : Et, d'un peu de vertu si l'Europe me loue, Si Rome a souvent mème estimé mes exploits, C'est à vous, ombre illustre, à vous que je le dois. Je croissais sous ses yeux, et mon jeune courage Fit longtemps de la guerre un dur apprentissage; Il m'instruisait d'exemple au grand art des héros. Je voyais ce guerrier, blanchi dans les travaux, Soutenant tout le poids de la cause commune, Et contre Médicis, et contre la fortune; Chéri dans son parti, dans l'autre respecté, Malheureux quelquefois, mais toujours redouté; Savant dans les combats, savant dans les retraites, Plus grand, plus glorieux, plus craint dans les défaites, Que Dunois ni Gaston ne l'ont jamais été Dans le cours triomphant de leur prospérité 2. VOLTAIRE. Henriade, ch. II.

HENRI DE GUISE, LE BALAFRÉ.

Sa valeur, ses exploits, la gloire de son père, Sa grâce, sa beauté, cet heureux don de plaire, Qui mieux que la vertu sait régner sur les cœurs, Attiraient tous les vœux par des charmes vainqueurs. Nul ne sut mieux que lui le grand art de séduire; Nul sur ses passions n'eut jamais plus d'empire, Et ne sut mieux cacher sous des dehors trompeurs Des plus vastes desseins les sombres profondeurs. Altier, impérieux, mais souple et populaire, Des peuples en public il plaignait la misère, Détestait des impôts le fardeau rigoureux; Le pauvre allait le voir et revenait heureux : Il savait prévenir la timide indigence; Ses bienfaits dans Paris annonçaient sa présence : Il se faisait aimer des grands qu'il haïssait; Terrible et sans retour, alors qu'il offensait; Téméraire en ses vœux, sage en ses artifices, Brillant par ses vertus et mème par ses vices; Connaissant le péril, et ne redoutant rien : Heureux guerrier, grand prince, et mauvais citoyen3. LE MÊME. Ibid., ch. III.

MAYENNE ET D'AUMALE.

Mayenne, dès longtemps nourri dans les alarmes, Sous le superbe Guise avait porté les armes. Il succède à sa gloire, ainsi qu'à ses desseins; Le sceptre de la Ligue a passé dans ses mains. Cette grandeur sans borne, à ses désirs si chère, Le console aisément de la perte d'un frère. Il servait à regret; et Mayenne aujourd'hui Aime mieux le venger que de marcher sous lui. Mayenne a, je l'avoue 4, un courage héroïque; Il sait, par une heureuse et sage politique, Réunir sous ses lois mille esprits différents,

de la Ligue, se réconcilia avec Henri IV, après la reddition de Paris; il mourut à Soissons en 1611. Le duc d'Aumale fut un des plus chauds partisans de la Ligue ; il persista toujours dans sa révolte contre le roi ; il quitta la France et mouruta Bruxelles en 1591. (N. E.)

Ennemis de leur maître, esclaves des tyrans :
Il connaît leurs talents, il sait en faire usage;
Souvent du malheur même il tire un avantage.
Guise, avec plus d'éclat éblouissant les yeux,
Fut plus grand, plus héros, mais non moins dangereux.
Voilà quel est Mayenne, et quelle est sa puissance.
Autant la Ligue altière espère en sa prudence,
Autant le jeune Aumale, au cœur présomptueux,
Répand dans les esprits son courage orgueilleux.
D'Aumale est du parti le bouclier terrible;
Il a jusqu'aujourd'hui le titre d'invincible:
Mayenne, qui le guide au milieu des combats,
Est l'âme de la Ligue, et l'autre en est le bras.

MORNAI.

LE MÊME. Ibid.

Quand il fut descendu vers ce triste hémisphère,
Pour y trouver un sage il regarda la terre;
Il ne le chercha point dans ces lieux révérés,
A l'étude, au silence, au jeûne consacrés :
Il alla dans Ivry. Là, parmi la licence
Où du soldat vainqueur s'emporte l'insolence,
L'ange heureux des Français fixa son vol divin
Au milieu des drapeaux des enfants de Calvin.
Il s'adresse à Mornai : c'était pour nous instruire
Que souvent la raison suffit à nous conduire,
Ainsi qu'elle guida, chez les peuples païens,
Marc-Aurèle, ou Platon, la honte des chrétiens.
Non moins prudent ami que philosophe austère,
Mornai sut l'art discret de reprendre et de plaire.
Son exemple instruisait bien mieux que ses discours:
Les solides vertus furent ses seuls amours.
Avide de travaux, insensible aux délices,

Il marchait d'un pas ferme au bord des précipices.
Jamais l'air de la cour et son souffle infecté
N'altéra de son cœur l'austère pureté.
Belle Aréthuse, ainsi ton onde fortunée
Boule, au sein furieux d'Amphitrite étonnée,
Un cristal toujours pur, et des flots toujours clairs,
Que jamais ne corrompt l'amertume des mers *.
LE MÊME. Ibid, ch. IX.

PHILIPPE II ET SIXTE-QUINT.

Philippe, de son père héritier tyrannique, Moins grand, moins courageux, et non moins politique, Divisant ses voisins pour leur donner des fers, Du fond de son palais croit dompter l'univers.

Sixte, au trône élevé du sein de la poussière, Avec moins de puissance a l'âme encor plus fière. Le pâtre de Montalte est le rival des rois; Dans Paris comme à Rome, il veut donner des lois : Sous le pompeux éclat d'un triple diadème, Il pense asservir tout, jusqu'à Philippe même.

Violent, mais adroit, dissimulé, trompeur,
Ennemi des puissants, des faibles oppresseur,
Dans Londres, dans ma cour, il a formé des brigues,
Et l'univers qu'il trompe est plein de ses intrigues .
LE MÊME. Ibid., ch. In.

CATHERINE DE MÉDICIS.

Son époux, expirant dans la fleur de ses jours, A son ambition laissait un libre cours. Chacun de ses enfants, nourri sous sa tutelle, Devint son ennemi, dès qu'il régna sans elle. Ses mains autour du trône, avec confusion, Semaient la jalousie et la division : Opposant sans relâche, avec trop de prudence, Les Guises aux Condés, et la France à la France, Toujours prête à s'unir avec ses ennemis, Et changeant d'intérêt, de rivaux et d'amis; Esclave des plaisirs, mais moins qu'ambitieuse ; Infidèle à sa secte, et superstitieuse; Possédant, en un mot, pour n'en pas dire plus, Les défauts de son sexe, et peu de ses vertus. LE MÊME. Ibid., ch. II.

ÉLISABETH ET L'ANGLETERRE.

Sur ce sanglant théâtre où cent héros périrent,
Sur ce trône glissant dont cent rois descendirent,
Une femme, à ses pieds enchaînant les destins,
De l'éclat de son règne étonnait les humains.
C'était Élisabeth, elle dont la prudence

De l'Europe à son choix fit pencher la balance,
Et fit aimer son joug à l'Anglais indompté,
Qui ne peut ni servir, ni vivre en liberté.

Ses peuples sous son règne ont oublié leurs pertes;
De leurs troupeaux féconds leurs plaines sont convertes,
Les guérets de leurs blés, les mers de leurs vaisseaux;
Ils sont craints sur la terre, ils sont rois sur les eaux;
Leur flotte impérieuse, asservissant Neptune,
Des bouts de l'univers appelle la fortune.
Londres, jadis barbare, est le centre des arts,
Le magasin du monde, et le temple de Mars.
Aux murs de Westminster on voit paraître ensemble
Trois pouvoirs étonnés du nœud qui les rassemble,
Les députés du peuple, et les grands, et le roi,
Divisés d'intérêt, réunis par la loi ;

Tous trois membres sacrés de ce corps invincible,
Dangereux à lui-même, à ses voisins terrible.
Heureux lorsque le peuple, instruit dans son devoir,
Respecte autant qu'il peut le souverain pouvoir!
Plus heureux lorsqu'un roi doux, juste et politique,
Respecte autant qu'il doit la liberté publique!
LE MÊME. Ibid., ch. Ier.

1 Le génie de la France.

2 Extremum hunc, Arethusa, mihi concede laborem.

Sic tibi, quum fluctus subter labere sicanos,
Doris amara suam non intermisceat undam.

VIRGILE. Églogue X. (N. E.)

3 Félix Perreti, simple cordelier d'Ascoli, parvint, à force de ruses, à se faire élire pape à la mort de Grégoire XIII,

en 1585; il prit alors le nom de Sixte-Quint, et mourut en 1590, âgé de 69 ans. (N. E.)

4 Le roi Henri II. Catherine de Médicis naquit à Florence en 1519; ce fut en grande partie par les conseils de cette princesse astucieuse que l'horrible massacre de la Saint-Barthélemy fut ordonné. Elle mourut en 1589. (N. E.)

5 L'ancienne abbaye de Westminster, qui dépend de Londres, était le lieu des séances du parlement anglais. Un incendie en a consumé une partie en 1835. (N. E.)

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CROMWELL.

Quel est donc ce mortel si fier et si terrible? S'écria le héros sa hauteur inflexible Semble braver les rois troublés à son aspect; Il m'inspire à la fois l'horreur et le respect. Quel est-il? C'est Cromwell, répliqua la déesse : Mélange redoutable et de force et d'adresse, Assassin de son roi, tyran de ses égaux, On le vit dans sa marche écraser ses rivaux Par le poids de sa gloire et de sa renommée, Le roi par le sénat, le sénat par l'armée,

Les chefs par les soldats; dans ses grands mouvements, Employer tour à tour, briser ses instruments, Souffler le fanatisme, en maîtriser la rage,

Et par la liberté mener à l'esclavage.

Quand le roi, le sénat, les grands furent proscrits,
Vainqueur, il resta seul debout sur des débris :
Son despotisme alors sortit de l'anarchie;
Mais, des divisions l'Angleterre affranchie,
Sous ce maitre imposant reprit de la splendeur;
Il ennoblit son crime à force de grandeur,
Roi plus habile encor que sujet redoutable,

Le plus grand des mortels, s'il n'est le plus coupable1.

RICHELIEU.

THOMAS. Pétréide.

Un homme en qui l'audace aux talents fut unie, Sujet par sa naissance, et roi par son génie, Avait du nom français commencé la splendeur, Et préparé pour moi ce siècle de grandeur. Cet homme est Richelieu, ministre despotique, Profond dans ses desseins, fier dans sa politique, Qu'il fallut à la fois admirer et haïr; Qui, parmi les complots, sut se faire obéir; En dégradant son roi, releva la couronne ; Du pouvoir d'un sujet fit hériter le trône; Combattit et l'Espagne, et l'Autriche, et les grands, Et, sans aimer le peuple, écrasa ses tyrans. Il ébranla l'Europe, et sut calmer la France. Tandis que des Césars il sapait la puissance, La mort l'interrompit dans son vaste projet. Son maître, qui ne fut que son premier sujet, Qui, faible dans sa cour, partout ailleurs fut brave, Sans oser être libre, indigné d'être esclave, A ce ministre-roi donnant peu de regrets, Dans la nuit du tombeau l'avait suivi de près 3. LE MÊME. Ibid.

RICHELIEU ET MAZARIN.

Henri, dans ce moment, voit sur les fleurs de lis Deux mortels orgueilleux auprès du trône assis; Ils tiennent sous leurs pieds tout un peuple à la chaine; Tous deux sont revêtus de la pourpre romaine; Tous deux sont entourés de gardes, de soldats : Il les prend pour des rois. Vous ne vous trompez pas, Ils le sont, dit Louis, sans en avoir le titre; Du prince et de l'État l'un et l'autre est l'arbitre.

Richelieu, Mazarin, ministres immortels,
Jusqu'au trône élevés de l'ombre des autels,
Enfants de la fortune et de la politique,
Marcheront à grands pas au pouvoir despotique.
Richelieu, grand, sublime, implacable ennemi;
Mazarin, souple, adroit, et dangereux ami :
L'un fuyant avec art, et cédant à l'orage;
L'autre aux flots irrités opposant son courage:
Des princes de mon sang ennemis déclarés;
Tous deux haïs du peuple, et tous deux admirés;
Enfin, par leurs efforts, ou par leur industrie,
Utiles à leurs rois, cruels à la patrie 5. »

VOLTAIRE. Henriade, ch. VII.

CONDÉ.

Le premier, dit Louis, de ces noms éclatants Est ce fameux Condé, général à vingt ans, Couvert, dans les combats, d'une gloire immortelle, Né pour être un héros, plus qu'un sujet fidèle. Lui seul de son génie il connut le secret; Lui seul, en osant tout, ne fut point indiscret. Entouré de périls, le grand homme ordinaire Balance les hasards, consulte, délibère; Pour lui, voir l'ennemi, c'était l'avoir dompté; En mesurant l'obstacle, il l'avait surmonté; Sa prudence, sortant de la route commune, Par l'excès de l'audace enchaînait la fortune. Pour guider des Français le ciel l'avait formé; Mais ce feu dévorant dont il fut animé, Fit ses égarements, ainsi que son génie; Il ne put d'un affront porter l'ignominie; Maître de la victoire, et non maître de soi, Pour punir un ministre, il combattit son roi! Un remords lui rendit sa patrie et sa gloire 6.

TURENNE.

THOMAS. Pétréide.

Turenne, ainsi que lui, formé par la victoire, Habile à tout prévoir, comme à tout réparer, Différant le succès pour le mieux assurer, Couvrant tous ses desseins d'un voile impénétrable, Ou vainqueur ou vaincu, fut toujours redoutable. Tantôt avec ardeur précipitant ses pas, Tantôt victorieux sans livrer de combats, De vingt peuples ligués spectateur immobile, Son génie enchaînait leur valeur inutile. Bourbon dut son succès à son activité : L'ennemi de Turenne a souvent redouté Sa lenteur menaçante et son repos terrible '. LE MÊME. Ibid.

LUXEMBOURG.

Luxembourg, fier, actif, et comme eux invincible, Eut l'âme de Condé, l'éclair de son regard,

1 Voyez Caractères, en prose.

2 C'est Louis qui parle. (N. E.)

3 Voyez, en prose, Caractères ou Portraits.

4 C'est saint Louis qui parle à Henri IV. (N. E.)

5 Voyez, en prose, Caractères ou Portraits. 6 Ibid.

7 Voyez Ire partie.

Et le génie ardent qui sait maîtriser l'art.
Sa main à mon empire ajouta des provinces.
Admirez cependant quel est le sort des princes!
A mes ressentiments si mon cœur eût cédé ',
Peut-être Luxembourg n'eût jamais commandé.
Peu chéri dans ma cour, mais grand dans une armée,
L'éclat de ses hauts faits et de sa renommée
Fut un ordre pour moi d'employer sa valeur :
La justice une fois tint lieu de la faveur.
J'appris qu'un courtisan qui déplait à son maître
N'est pas moins un héros, lorsqu'il est né pour l'être;
Que souvent le monarque a besoin du sujet;
Et ce fier Luxembourg, que son roi négligeait,
Rendu par ses talents nécessaire à la France,
Força son souverain à la reconnaissance.

Mon cœur, né généreux, sut en porter le poids;
J'honorai son génie, et payai ses exploits 2.

LOUVOIS.

LE MÊME. Ibid.

Tels étaient ces grands chefs. Tandis que leur courage Faisait trembler le Rhin, le Danube et le Tage, Du sein de mon palais un ministre fameux 3 Secondait par ses soins leurs travaux belliqueux : C'était ce fier Louvois, actif, infatigable, De mes droits offensés vengeur inexorable, Esclave des grandeurs plus qu'ami de son roi, Mais par ambition servant l'Etat et moi. Je connus ses défauts; je vis son caractère S'endurcir par degrés dans un long ministère : Ses yeux importunés d'un éclat étranger N'aimaient que les talents qu'il pouvait protéger. Faiblesse avilissante, et pourtant trop commune! Mais son jaloux orgueil servit à ma fortune : Par ses savantes mains les plans étaient tracés,

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Des rives du Danube aux rives de la Seine, La renommée alors vantait le nom d'Eugène : Ce guerrier, du Germain guidant les étendards, Enchaînait la victoire au trône des Césars. Louis, souvent trompé par quarante ans d'ivresse, Louis avec orgueil dédaigna sa jeunesse; Il ne crut voir en lui qu'une indiscrète ardeur, Et d'un héros naissant méconnut la grandeur. Un sujet dédaigné fut terrible à son maître : Eugène méconnu devint plus grand peut-être ; Et son roi, sur un trône entouré de débris, Se repentit quinze ans d'un instant de mépris. Politique, guerrier, ministre, capitaine, Les dons les plus heureux s'unissaient dans Eugène ; Terrible dans l'attaque, et ferme à résister, Sage pour concevoir, prompt pour exécuter, On admirait en lui, dans un jour de carnage, Ce calme redouté, ce tranquille courage, Ces secrets du génie et ces grands mouvements, Cet art qu'ont les héros de saisir les moments, Ce coup d'œil étendu qui mesure en silence, Et va fixer au loin le destin qui balance; Grand parmi les périls, et grand dans le repos, Joignant le goût des arts aux talents des héros. La fortune à son choix eût fait de ce grand homme, Ou Colbert à Paris, ou Scipion à Rome 5.

LE MÊME. Ibid.

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