Des pays où mon nom ne soit point parvenu! Et toi, Neptune, et toi, si jadis mon courage RÉPONSE D'HIPPOLYTE. D'un mensonge aussi noir justement irrité, Je devrais faire ici parler la vérité, Seigneur; mais je supprime un secret qui vous touche: Et, sans vouloir vous-même augmenter vos ennuis, Un seul jour ne fait point, d'un mortel vertueux, Elevé dans le sein d'une chaste héroïne, MARIUS DANS LES MARAIS DE MINTURNES. Le monde a conspiré la perte d'un seul homme, Et la nature entière est d'accord avec Rome. De son sein l'Océan m'écarte avec effroi, Mon infortune autant que ma prospérité... Je l'abandonne en proie au plus pressant danger. Mais Sylla cependant ne recueille-t-il pas : 1 voyez, dans Sénèque le tragique, la tragédie d'Hippolyte, traduite ou imitée par Racinę dans plusieurs morceaux de Phedre. r 2 Non ignara mali miseris succurrere disco. VIRG. En., liv. ler. (N. E.) Tranquille il me conduit à ces funèbres jeux; REMORDS DE PHÈDRE. Misérable! et je vis, et je sontiens la vue De ce sacré Soleil dont je suis descendue! J'ai pour aïeul le père et le maître des dieux; Le ciel, tout l'univers est plein de mes aïeux. Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale! Mais, que dis-je? mon père y tient l'urne fatale. Le Sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains; Minos juge aux enfers tous les pâles humains. Ah! combien frémira son ombre épouvantée, Lorsqu'il verra sa fille, à ses yeux présentée, Contrainte d'avouer tant de forfaits divers, Et des crimes peut-être inconnus aux enfers! Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible? Je crois voir de tes mains tomber l'urne terrible; Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau, Toi-même de ton sang devenir le bourreau. Pardonne! Un dieu eruel a perdu ta famille; Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille. Hélas! du crime affreux dont la honte me suit, Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit. Jusqu'au dernier soupir de malheurs poursuivie, Je rends dans les tourments une inutile vie 1. RACINE. Phèdre, act. IV, SC. VI. MODÈLE D'EXERCICE. Je ne connais rien dans aucune langue audessus de ce morceau: il étincelle de traits de la première force. Quelle foule de sentiments et d'images! Quelle profonde douleur dans les uns! quelle pompe à la fois magnifique et effrayante dans les autres! et quel coup de l'art, quel bonheur du génie d'avoir pu les réunir! L'imagination de Phèdre, conduite par celle du poëte, embrasse le ciel, la terre et les enfers. La terre lui présente tous ses crimes, et ceux de sa famille; le ciel, des aïeux qui la font rougir; les enfers, des juges qui la menacent: les enfers, qui attendent les autres criminels, repoussent la malheureuse Phèdre. Et quelle inimitable harmonie dans les vers! quelle énergie de diction! Je me suis souvent rappelé qu'un jour, dans une conversation 1 Voyez Sénèque le tragique, Hippolyle. sur Racine, Voltaire, après avoir déclamé ce morceau avec l'enthousiasme que lui inspiraient les beaux vers, s'écria: Non, je ne suis rien auprès de cet homme-là. Ce n'est pas qu'il faille voir dans cette exclamation presque involontaire un aveu d'infériorité; c'était l'hommage d'un grand génie, dont la sensibilité était en proportion de sa force, et à qui l'admiration faisait tout oublier, jusqu'au sentiment de l'amour-propre. Nous verrons dans la suite que l'auteur de Zaïre, sans avoir rien qui soit dans ce genre, balance tant de perfection par d'autres avantages. Mais quel homme que celui qui a pu seul arracher à Voltaire le cri que vous venez d'entendre! Il prophétisait, Despréaux, lorsqu'il disait à son ami, dans une épitre digne de tous les deux : Eh! qui, voyant un jour la douleur vertueuse Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles, Voltaire a observé quelque part que ces merveilles étaient plus touchantes que pompeuses : il me semble qu'elles sont l'un et l'autre, et ce que je viens d'en citer le prouve assez. Mais, en effet, ce qu'il y a de touchant, ce qu'il y a d'unique dans le rôle de Phèdre, c'est l'horreur qu'elle a pour elle-même. Jamais la conscience n'a parlé si haut contre le crime, et jamais aussi une passion criminelle n'inspira une plus juste pitié. Ce contraste est marqué dans la Phèdre d'Euripide; il l'est même aussi dans celle de Sénèque, malgré la déclamation qui étouffe si souvent toute vérité mais qu'il l'est bien plus fortement dans Racine ! Il a su lui donner en même temps et plus de passion, et plus de remords. LA HARPE. Cours de Lillérature. TROUBLE ET.AGITATION D'AUGUSTE, SANS CESSE EN BUTTE AUX CONSPIRATIONS. Ciel, à qui voulez-vous désormais que je fie Les secrets de mon âme et le soin de ma vie? Reprenez le pouvoir que vous m'avez commis, Si, donnant des sujets, il ôte les amis; Si tel est le destin des grandeurs souveraines, Que leurs plus grands bienfaits n'attirent que des baines, Et si votre rigueur les condamne à chérir Ceux que vous animez à les faire périr. Pour elles rien n'est sûr; qui peut tout, doit tout craindre. Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre. Quoi! tu veux qu'on t'épargne, et n'as rien épargne Songe aux fleuves de sang où ton bras s'est baigne, De combien ont rougi les champs de Macédoine; Combien en a versé la défaite d'Antoine, Combien celle de Sexte 1, et revois tout d'un temps Quand tu vois que les tiens s'arment pour ton supplice, Rend mes jours plus maudits, et non plus assurés. CORNEILLE. Cinna, act. IV, SC. III. CLÉMENCE D'Auguste. Prends un siége, Cinna, prends; et, sur toute chose, Observe exactement la loi que je t'impose. Prête, sans me troubler, l'oreille à mes discours; 1 Sextus Pompée, vaincu par Antoine et Octave. (N. E.) D'aucun mot, d'aucun cri n'en interromps le cours. Qu'il te souvienne De garder ta parole, et je tiendrai la mienne. Ce sang qui t'avait fait du contraire parti. Et qu'ont mise si haut mon amour et mes soins, CINNA. Moi, seigneur, moi que j'eusse une âme si traîtresse! Qu'un si lâche dessein... AUGUSTE. Tu tiens mal ta promesse : Sieds-toi ; je n'ai pas dit encor ce que je veux; Tu te justifiras après, si tu le peux. Écoute, cependant, et tiens mieux ta parole. Tu veux m'assassiner demain au Capitole, Pendant le sacrifice, et ta main, pour signal, Me doit, au lieu d'encens, donner le coup fatal. La moitié de tes gens doit occuper la porte, L'autre moitié te suivre, et te prêter main-forte. Ai-je de bons avis, ou de mauvais soupçons? De tous ces meurtriers te dirai-je les noms? Procule, Glabrion, Virginian, Rutile, Marcel, Plaute, Lénas, Pompone, Albin, Icile, Maxime, qu'après toi j'avais le plus aimé ; Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé : Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes, LE MÊME. Cinna, act. V, SC. Ire. MODÈLE D'EXERCICE. Le pardon généreux d'Auguste, les vers qu'il prononce, qui sont le sublime de la grandeur d'âme, ces vers que l'admiration a gravés dans la mémoire de tous ceux qui les ont entendus, et cet avantage attaché à la beauté du dénoûment, de laisser au spectateur une dernière impression qui est la plus heureuse et la plus vive de toutes celles qu'il a reçues, ont fait regarder assez généralement cette tragédie comme le chef-d'œuvre de Corneille; et, si l'on ajoute à ce grand mérite du cinquième acte le discours éloquent de Cinna dans la scène où il fait le tableau des proscriptions d'Octave, cette autre scène si théâtrale où Auguste délibère avec ceux qui ont résolu de l'assassiner, les idées profondes et l'énergie du style qu'on remarque dans ce dialogue aussi frappant à la lecture qu'au théâtre, le monologue d'Auguste au quatrième acte, la fierté du caractère d'Émilie, et les traits heureux dont il est semé, cette préférence paraîtra suffisamment justifiée. Avant de détailler les raisons peut-être non moins puissantes qu'on peut y opposer, j'ai cru devoir traduire le récit de Sénèque d'où l'auteur de Cinna a tiré son sujet. Il l'avait imprimé avec la pièce, mais en latin; et, comme tout le monde sait à peu près par cœur la scène du pardon, on sera plus aisément à portée, en écoutant la traduction de Sénèque, de se rappeler ce que le poëte a emprunté au philosophe. Ce morceau se trouve dans le Traité de la Clémence. « Auguste fut un prince doux et modéré, etc. › Quoiqu'on ait dû reconnaître dans ce morceau toutes les idées principales, et souvent même les expressions dont Corneille s'est servi dans le monologue d'Auguste et dans la fameuse scène du cinquième acte, je ne crois pas qu'on me soupçonne d'avoir voulu diminuer en rien le mérite de l'ouvrage ni celui de l'auteur. Je me suis, au contraire, assez souvent expliqué sur l'honneur attaché à ces heureux emprunts, qui ne profitent que dans les mains habiles. Il y a loin d'une conversation à une tragédie. J'ai voulu faire connaître bien précisément le fonds que Corneille a fait valoir, ce qui est à autrui, et ce qui n'est qu'à lui. Cette connaissance est nécessaire pour apprécier le degré d'invention qu'il a mis dans chacun de ses ouvrages; et cet exemple peut servir en même temps à repousser les reproches injustes tant répétés par les détracteurs de Racine et de Voltaire, qui, pour leur refuser le génie, rappellent sans cesse ce qu'ils nomment leurs larcins, comme s'il n'y avait qu'eux qui s'en fussent permis de semblables; comme s'il eût existé, depuis la renaissance des lettres, un esprit qui ne dût rien à l'esprit des autres; enfin comme si cette importation des richesses anciennes ou étrangères n'était pas, à proprement parler, le commerce du talent, espèce de commerce qui ne peut, comme beaucoup d'autres, se faire avec succès que par des hommes déjà fort riches de leur propre fonds, et capables d'améliorer celui d'autrui. N'oublions pas surtout de remarquer combien l'auteur de Cinna a embelli les détails qu'il a puisés dans Sénèque. Tel est l'avantage inappréciable des beaux vers, telle est la supériorité qu'ils ont sur la meilleure prose, que la mesure et l'harmonie ont mis dans toutes les bouches ce qui demeurait comme enseveli dans les écrits d'un philosophe, et n'existait que pour un petit nombre de tion lecteurs. Cette précision, commandée par le rhythme poétique a tellement consacré les paroles que Corneille prête à Auguste, qu'on croirait qu'il n'a pu s'exprimer autrement; et la conversation d'Auguste et de Cinna ne sera jamais autre chose que les vers qu'on a retenus de Corneille. Le monologue d'Auguste au quatrième acte, rempli de traits de force et de vérité heureusement imités de Sénèque, les beautés réelles qui, mêlant par intervalles l'admiration à la curiosité, soutiennent l'attention des spectateurs jusqu'au cinquième acte, dont le sublime les transporte assez pour leur faire oublier que jusque-là l'attention et l'intérêt ont souvent faibli et varié, ont fait regarder assez généralement cette tragédie comme le chef-d'oeuvre de Corneille... A l'égard du cinquième acte, un siècle et demi de succès l'a consacré. La beauté des vers et la simplicité sublime du style font voir que, si l'auteur est redevable à Sénèque de tout le fond de cette scène immortelle, il avait dans son âme le sentiment de la vraie grandeur, et en connaissait l'expression. Il n'y avait qu'Auguste mis en scène par Corneille qui pût dire: Je suis maître de moi, etc. Ces paroles mémorables font couler des larmes d'admiration et d'attendrissement, et ce mélange est une des émotions les plus douces que notre âme puisse éprouver. Lorsqu'un moment auparavant Auguste dit à Cinna : Apprends à te connaître, et descends en toi-même. On t'honore dans Rome, on te courtise, on t'aime ; Chacun tremble sous toi, chacun t'offre des vœux : Ta fortune est bien haut; tu peux ce que tu veux; Mais tu ferais pitié, même à ceux qu'elle irrite, Si je t'abandonnais à ton peu de mérite. Voltaire rapporte à ce sujet le mot connu du maréchal de La Feuillade: Tu me gâtes le SOYONS AMIS, CINNA. Si le roi m'en disait autant, je le remercierais de son amitié. Cette remarque fait honneur à la délicatesse et au goût du courtisan: elle est certainement fondée. Mais comme il faut toujours que la saine critique considère les objets sous toutes les faces, pourquoi ne nous apercevons-nous pas que cet endroit nuise en rien au plaisir que nous fait toute la scène? C'est qu'au fond le spectateur n'est pas fàché de voir Ĉinna humilié devant Auguste, qui devient alors si grand, qu'il attire à lui tout l'intérêt : disons plus, il attire toute l'attention, et, tant qu'il parle, à peine prend-on garde à celui qui l'écoute. De plus, Cinna lui-même a parlé de lui précédemment dans les mêmes termes; il a dit d'Auguste : Ce prince magnanime, Qui du peu que je suis fait une telle estime. Depuis la fin du second acte, on s'est accoutumé à n'avoir pas une grande idée de Cinna. On n'est donc pas étonné que l'empereur ne fasse pas de lui plus de cas qu'il n'en fait lui-même. On ne voit que la bonté qui pardonne, et l'on oublie tout le reste. Sans doute la bienséance dramatique eût été mieux observée si ces vers n'y étaient pas; mais ce n'est pas un de ces défauts qui blessent les convenances essentielles, tant il y a de nuances dans les fautes comme dans les beautés! Voltaire remarque, en parlant du grand succès de Cinna, que les idées qui dominent dans cet ouvrage, les discussions politiques sur la meilleure forme de gouvernement, l'espèce de gloire attachée à l'habileté et au courage des conspirateurs, devaient plaire à des esprits occupés des factions et des troubles qui avaient éclaté pendant le ministère de Richelieu, et produit des révoltes et des guerres civiles. LA HARPE. Cours de Littérature. ORESTE A PYLADE, RÉSOLU De donner sa vIE POUR Et c'est là me chérir! Tu m'aimes! et tu veux, ô comble de l'outrage! LA TOUCHE. Iphigénie en Tauride, act. 111, sc. V. LE PAYSAN DU DANUBE AU SÉNAT ROMAIN. Romains, et vous, sénat, assis pour m'écouter, Je supplie, avant tout, les dieux de m'assister : |