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ET MORCEAUX ORATOIRES.

noble patience? Où peut-on trouver tant et de si puissants exemples, que dans les actions d'un homme sage, modeste, libéral, désintéressé, dévoué au service du prince et de la patrie; grand dans l'adversité par son courage, dans la prospé rité par sa modestie, dans les difficultés par sa prudence, dans les périls par sa valeur, dans la religion par sa piété?

Quel sujet peut inspirer des sentiments plus justes et plus touchants, qu'une mort soudaine et surprenante, qui a suspendu le cours de nos victoires, et rompu les plus douces espérances de la paix! Puissances ennemies de la France, vous vivez, et l'esprit de la charité chrétienne m'interdit de faire aucun souhait pour votre mort. Puissez-vous seulement reconnaître la justice de nos armes, recevoir la paix que, malgré vos pertes, vous avez tant de fois refusée; dans l'abondance de vos larmes, éteindre les feux d'une guerre que vous avez malheureusement allumée! A Dieu ne plaise que je porte mes souhaits plus loin! les jugements de Dieu sont impénétrables: mais vous vivez, et je plains en cette chaire un sage et vertueux capitaine, dont les intentions étaient pures, et dont la vertu semblait mériter une vie plus longue et plus étendue.

il est temps Retenons nos plaintes, messieurs; de commencer son éloge, et de vous faire voir comment cet homme puissant triompha des ennemis de l'État par sa valeur, des passions de l'âme par sa sagesse, des erreurs et des vanités du siècle par sa piété. Si j'interromps cet ordre de mon discours, pardonnez un peu de confusion dans un sujet qui nous a causé tant de trouble. Je confondrai quelquefois peut-être le général d'armée, le sage, le chrétien. Je louerai tantôt les victoires, tantôt les vertus qui les ont obtenues. Si je ne puis raconter tant d'actions, je les découvrirai dans leurs principes; j'adorerai le Dieu des armées, j'invoquerai le Dieu de la paix, je bénirai le Dieu des miséricordes, et j'attirerai partout votre attention, non pas par la force de l'éloquence, mais par la vérité et par la grandeur des vertus dont je suis engagé de vous parler.

MODÈLE D'EXercice.

FLÉCHIER.

Ici, Fléchier, comme on l'a dit souvent, paraît
la douleur
que
au-dessus de lui-même. Il semble
publique ait donné plus de mouvement et d'acti-
vité à son âme son style s'échauffe, son imagi-
nation s'élève, ses images prennent une teinte de
grandeur; partout son caractère devient imposant.
Cependant, entre cette oraison funèbre et celle du
grand Condé, il y a la même différence qu'entre

les deux héros. L'une a l'empreinte de la fierté et
semble l'ouvrage d'un instinct sublime; l'autre,
dans son élévation même, paraît le fruit d'un art
perfectionné par l'expérience et par l'étude. Ainsi,
par un hasard singulier, ces deux grands hommes
ont trouvé dans leurs panégyristes un genre d'élo-
quence analogue à leur caractère.

L'oraison funèbre de Turenne n'en est pas
moins un des monuments de l'éloquence fran-
çaise. L'exorde sera éternellement cité pour son
harmonie, pour son caractère majestueux et
sombre, et pour l'espèce de douleur auguste qui
y règne. Les deux premières parties peignent
avec noblesse les talents d'un général et les vertus
d'un sage; mais, à mesure que l'orateur avance
ver la fin, il semble acquérir de nouvelles forces.
Il peint avec rapidité les derniers succès de ce
grand homme, il fait voir l'Allemagne troublée,
l'ennemi confus, l'aigle prenant déjà l'essor et
prête à s'envoler dans les montagnes, l'artillerie
tonnant de toutes parts pour favoriser la retraite, la
France et l'Europe dans l'attente d'un grand événe-
ment. Tout à coup l'orateur s'arrête; il s'adresse au
Dieu qui dispose également et des vainqueurs et des
victoires, et se plaît à immoler à sa grandeur de
grandes victimes. Alors il fait voir ce grand homme
étendu sur ses trophées ; il présente l'image de ce
corps pâle et sanglant, auprès duquel, dit-il,
fume encore la foudre qui l'a frappé, et montre
dans l'éloignement les tristes images de la reli-
gion et de la patrie éplorées. Turenne meurt,

tout se confond; la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix s'éloigne, le courage des troupes est abattu par la douleur et ranimé par la vengeance; tout le camp demeure immobile. Les blessés pensent à la perte qu'ils ont faite <et non aux blessures qu'ils ont reçues. Les <pères mourants envoient leurs fils pleurer sur leur général mort, etc. 1. ›

Cependant, malgré l'éloquence générale et les beautés de cette oraison funèbre, peut-être n'y trouve-t-on point encore assez le grand homme. que l'on cherche; peut-être que les figures et l'appareil même de l'éloquence le cachent un peu, au lieu de le montrer car il est quelquefois de ces sortes de discours comme des cérémonies d'éclat, où un grand homme est éclipsé par la pompe même dont on l'environne. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que quelques lignes que madame de Sévigné a jetées au hasard dans ses lettres, sans soin, sans apprêt, et avec l'abandon d'une âme sensible, font encore plus aimer M. de Turenne, et donnent une plus grande idée de sa perte.

THOMAS. Essai sur les éloges, t. 11.

1 Voyez Narrations, la Mort de Turenne.

EXORDE DE L'ÉLOGE DE DUGUAY-TROUIN.

De tous les spectacles que l'industrie de l'homme a donnés au monde, il n'en est peutêtre aucun de plus admirable que la navigation. Un être faible et mortel, attaché à la terre, a osé se transporter sur un élément inconnu et terrible, suspendre des édifices sur les eaux, donner des lois aux vents, et voler aux extrémités de l'univers sous un ciel qui n'était point fait pour lui. Mais telle est notre destinée : l'esprit humain est aussi pervers qu'il est grand, et le crime se place à côté du génie. Les hommes ont abusé de tout: des végétaux pour en former des poisons, du fer pour s'égorger, de l'or pour se corrompre, des arts pour multiplier les moyens de se détruire; ils ont abusé surtout de l'art de la navigation la mer est devenue un champ de carnage, et les flots ont été ensanglantés par la guerre.

Ainsi les deux parties du globe sont également le théâtre de nos malheurs et de nos crimes. Je n'y vois qu'une différence. En promenant nos regards sur la surface de la terre, nous y apercevons des ruines, des restes d'embrasement, des champs et des forêts incultes, où étaient autrefois des villes florissantes: monuments de ravages qui peuvent nous arrêter, en nous inspirant une terreur utile. Mais la mer, qui a été le tombeau d'une partie du genre humain, n'offre aucun vestige de tant de désastres; tous les jours le navigateur passe avec sécurité et avec joie sur des lieux où des milliers d'hommes ont péri.

Peut-être devons-nous regretter ces temps d'une heureuse ignorance, où nos aïeux moins grands, mais moins criminels, sans industrie, mais sans remords, vivaient pauvres et vertueux, et mouraient dans les champs qui les avaient vus naître. Mais on voudrait en vain persuader à l'homme de renoncer à des forces qui lui sont pernicieuses rien ne l'effraye autant que sa faiblesse. La navigation est devenue pour les peuples policés un fléau nécessaire, aussi utile aux États que funeste au genre humain.

La France, liée à toute l'Europe par son commerce, au nouveau monde par ses colonies, obligée de combattre les flottes de deux peuples puissants, vit autrefois la mer remplie de ses vaisseaux; et plusieurs hommes celèbres la rendirent victorieuse sur cet élément. La renommée, parmi ces noms, a publié le nom de Duguay-Trouin. Il a droit à la reconnaissance de sa patrie, puisqu'il en fut le vengeur.

Dans Athènes, c'étaient les plus fameux orateurs qui célébraient les vainqueurs de Salamine

et de Marathon, et ils avaient pour auditeurs les Socrate et les Périclès. Je n'ai point le même talent, et j'ai des juges aussi redoutables : mais ici la vérité sera presque toujours étonnante par ellemême. Dans un sujet aussi grand, c'est être éloquent que d'être sincère.

Je peindrai Duguay-Trouin d'abord simple armateur, et faisant dans cette école l'apprentissage de la marine. Je le peindrai ensuite dans la marine royale, et servant le roi et l'État dans les plus grandes entreprises.

Le sujet que je traite m'annonce que j'exciterai l'attention de mes concitoyens. Quelle que soit l'indifférence de notre siècle pour les talents qui l'honorent, il rend du moins justice à ceux qui ne sont plus 1.

THOMAS.

Exorde de l'éloge de caTINAT.

Dans cette foule de génies célèbres en tout genre, que la nature semblait avoir de loin préparés et mûris pour en faire l'ornement d'un seul règne, l'orgueil de nos annales et l'admiration du monde; dans ce siècle resplendissant de gloire, dont tous les rayons viennent se confondre et se réunir au trône de Louis XIV, j'observe avec étonnement un homme qui, prenant sa place au milieu de tous ces grands hommes, sans avoir rien qui leur ressemble, et sans être effacé par aucun d'eux, forme seul avec tout son siècle un contraste frappant digne de l'attention des sages et des regards de la postérité.

Placé dans une époque et chez une nation où tout est entraîné par l'enthousiasme, lui seul, dans sa marche tranquille, est constamment guidé par la raison. Sur un théâtre où l'on se dispute les regards, où l'on brigue à l'envi la place la plus brillante, il attend qu'on l'appelle à la sienne, et la remplit en silence sans songer à être regardé. Quand l'idolatrie, vraie ou affectée, qu'inspire le monarque, est le principe de tous les efforts, est dans tous les cœurs et dans toutes les bouches, il ne s'occupe que de la patrie, n'agit que pour elle, et n'en parle pas.

Autour de lui, tout sacrifie plus ou moins à l'opinion, à la mode, à la cour; il ne connaît que le devoir, le bien public et sa propre estime; autour de lui, le bruit, l'ostentation, l'esprit de la rivalité, semblent inséparables de la gloire qu'on obtient ou qu'on prétend, et se mêlent à toute espèce d'héroïsme; seul il semble, pour ainsi dire, éteindre sa gloire, étouffer sa renommée, et ne

1 René Duguay-Trouin naquit à Saint-Malo, le 10 juin 1673. La plus belle expédition qu'il ait faite, et celle qui lui valut

le plus d'honneur, est la prise de Rio-Janeiro. Il mourut le 27 septembre 1736. (N. E.)

dissimule rien tant que ses succès et ses avantages, si ce n'est les fautes d'autrui.

Tous les hommes illustres de son temps sont marqués par la nature d'un signe particulier et caractéristique qui annonce d'abord le talent dont elle les a doués ; il semble indifféremment né pour tous; et, suivant le témoignage remarquable qu'un de ses ennemis lui rendait devant leur maître commun, on peut également faire de lui un général, un ministre, un ambassadeur, un chancelier; et, en effet, il paraît en réunir les qualités sans en exercer les fonctions.

Enfin (et c'est ce qui le distingue plus que tout le reste), parmi tant d'hommes rares qui offraient à la grandeur de leur monarque le tribut de leurs talents, aucun n'est exempt de préjugé, ni de faiblesse; ces grandes âmes sont égarées par de grandes passions, ou dominées par les erreurs du vulgaire seul il possède cette raison supérieure, cette inaltérable égalité d'âme, cette philosophie, en un mot, si étrangère à son siècle; caractère principal, qui marque toutes les actions, tous les moments de sa vie.

d'hui un sentiment différent : et, si je suis humilié, gardez-vous de croire que je m'abaisse aux misérables inquiétudes de la vanité. A Dieu ne plaise qu'un ministre du ciel pense jamais avoir besoin d'excuse auprès de vous! car, qui que vous soyez, vous n'êtes, comme moi, que des pécheurs. C'est devant votre Dieu et le mien que je me sens pressé dans ce moment de frapper ma poitrine.

Jusqu'à présent j'ai publié les justices du TrèsHaut dans des temples couverts de chaume; j'ai prêché les rigueurs de la pénitence à des infortunés qui manquaient de pain; j'ai annoncé aux bons habitants des campagnes les vérités les plus effrayantes de ma religion. Qu'ai-je fait, malheureux! j'ai contristé les pauvres, les meilleurs amis de mon Dieu; j'ai porté l'épouvante et la douleur dans ces âmes simples et fidèles que j'aurais dû plaindre et consoler.

C'est ici, où mes regards ne tombent que sur des grands, sur des riches, sur des oppresseurs de l'humanité souffrante, ou des pécheurs audacieux et endurcis ah! c'est ici seulement qu'il fallait faire retentir la parole sainte dans toute la force de son tonnerre, et placer avec moi dans cette

Ces traits singuliers et vraiment admirables, dont aucun n'est exagéré, et que l'on peut recueil-chaire, d'un côté la mort qui nous menace, et de lir dans nos histoires, me frappent et m'attirent comme malgré moi vers le grand homme dont les interprètes de la nation et de la renommée inscrivent aujourd'hui le nom dans leurs fastes. J'entre, autant que je le puis, messieurs, dans vos vues patriotiques, et je présente à mes concitoyens l'éloge de Nicolas de Catinat, maréchal de France, et général des armées de Louis XIV 1.

LA HARPE.

LE MISSIONNAIRE BRIDAINE, DANS UN DES PREMIERS TEMPLES ET AU MILIEU DE LA PLUS HAUTE COMPAGNIE DE LA CAPITALE.

A la vue d'un auditoire si nouveau pour moi, il semble, mes frères, que je ne devrais ouvrir la bouche que pour vous demander grâce en faveur d'un pauvre missionnaire dépourvu de tous les talents que vous exigez quand on vient vous parler de votre salut. J'éprouve cependant aujour

l'autre, mon grand Dieu qui vient vous juger. Je tiens aujourd'hui votre sentence à la main: tremblez donc devant moi, hommes superbes et dédaigneux qui m'écoutez! La nécessité du salut, la certitude de la mort, l'incertitude de cette heure si effroyable pour vous, l'impénitence finale, le jugement dernier, le petit nombre des élus, l'enfer, et par-dessus tout l'éternité : l'éternité! voilà les sujets dont je viens vous entretenir, et que j'aurais dû sans doute réserver pour vous seuls.

Et qu'ai-je besoin de vos suffrages, qui me damneraient peut-être sans vous sauver? Dieu va vous émouvoir, tandis que son indigne ministre vous parlera; car j'ai acquis une expérience de ses miséricordes. Alors, pénétrés d'horreur pour vos iniquités passées, vous viendrez vous jeter entre mes bras en versant des larmes de componction et de repentir, et, à force de remords, vous me trouverez assez éloquent.

Extrait des œuvres du cardinal MAURY.

1 Nicolas de Catinat, maréchal de France, naquit à Paris, en 1637. Il fut nommé lieutenant général en 1688; il vainquit le duc de Savoie, s'empara d'une partie des États de ce

prince, et le bâton de maréchal fut le prix de ses exploits. Il mourut le 27 février 1712. (N.E.)

PÉRORAISONS.

Que le début, la fin, répondent au milieu. BOILEAU. Art poet.

PRÉCEPTES DU genre.

Dans l'éloquence de la tribune ou dans celle de la chaire, où il s'agit surtout d'intéresser et d'émouvoir, la péroraison est une partie essentielle du discours, parce que c'est elle qui donne la dernière impulsion aux esprits, et qui décide la volonté, l'inclination d'un auditoire libre.

Dans l'éloquence du barreau, elle n'a pas la même importance, parce que le juge n'est ou ne doit être que la loi en personne, et que ce n'est pas sa volonté, mais son opinion, qu'il s'agit de déterminer. Cependant, comme le juge est homme, il ne sera jamais inutile de l'intéresser en faveur de l'innocence et de la faiblesse, de la justice et de la vérité et une péroraison pathétique ne sera indigne de l'éloquence, que lorsqu'on l'emploiera pour faire triompher l'iniquité, le mensonge, ou le crime.

Dans un plaidoyer, où le sentiment n'est pour rien, et dans lequel, par conséquent, il serait ridicule de faire usage de l'éloquence pathétique, la conclusion ne doit être que le résumé de la cause. C'est un épilogue qui réunit tous les moyens épars et développés dans le courant du discours, afin de les rendre présents à la mémoire au moment de la décision; et cet épilogue consiste, ou à parcourir les sommités des choses, et à les rappeler article par article, ou à reprendre la division, et à exprimer la substance des raisonnements qu'on a faits sur chacun des points capitaux.

Il sera mieux encore, dit Cicéron, de récapituler en peu de mots les moyens de la partie adverse, et les raisons avec lesquelles on les aura réfutés et détruits. Par là, non-seulement la preuve, mais la réfutation sera présente à l'auditeur, et on aura droit de lui demander s'il désire encore quelque chose, et s'il reste encore dans l'affaire quelque difficulté à résoudre, quelque nuage à dissiper.

La règle générale que Cicéron prescrit pour ce résumé de la cause, c'est de n'y rappeler que les

points importants, et de donner à chacun d'eux le plus de force, mais le moins d'étendue qu'il est pos

sible: Ut memoria, non oratio, renovata videatur.

Une énumération rapide, un dilemme pressé, un syllogisme qui ramasse toute la cause en un seul point de vue, suffit le plus souvent à la conclusion. Un beau modèle dans ce genre est la proposition que fait Ajax pour décider à qui, d'Ulysse ou de lui-même, appartiennent les armes d'Achille Qu'on jette au milieu des ennemis les armes de ce héros; qu'on nous ordonne de les y aller chercher, et qu'on décore celui des deux qui les rapportera. ›

Arma viri fortis medios mittantur in hostes : Inde jubete peti, et referentem ornate relatis. Mais, si la nature de la cause donne lieu à une éloquence véhémente, le résumé, que Cicéron appelle énumération, doit être suivi d'un mouvement oratoire, qui sera ou d'indignation ou de commisération.

L'indignation consiste à rendre odieuse ou la personne ou la cause de l'adversaire ; et elle doit naître des circonstances aggravantes que la cause peut présenter.

La péroraison suppliante, celle que Cicéron appelle conquestion, est destinée à exciter la commisération des auditeurs.

Il faut, dit-il, la commencer par adoucir les esprits et par les disposer à la miséricorde; et les moyens qu'on doit employer sont pris de la faiblesse commune à tous les hommes, et de l'empire de la fortune, dont nous sommes tous les jouets. Par ces réflexions, présentées d'un style grave et sentencieux, nous dit ce maître en éloquence, l'esprit des hommes se laisse humilier, et amener à la compassion, en considérant leur infirmité propre dans la misère de leurs semblables.

Mais, du moment qu'on s'apercevra que tous les cœurs seront émus, il ne faut plus insister sur les plaintes, dit Cicéron; car, selon la remarque du rhéteur Apollonius: Rien n'est si vite séché qu'une larme.

Le modèle des péroraisons pathétiques est celle de la harangue pour la défense de Milon. C'est là qu'on voit l'orateur suppliant sauver à l'accusé l'humiliation de la prière, et lui conserver toute la dignité qui convient au caractère d'un grand homme dans le malheur. Mais ce qui est encore très-supérieur à cette supplication, c'est l'indignation qui la précède, et dans laquelle Cicéron démontre, avec une éloquence sans exemple, que, si Milon avait attenté à la vie de Clodius, la république lui en devrait des actions de grâces, au lieu de châtiments.

Dans l'éloquence de la chaire, le pathétique de la péroraison a un objet qui ne convient qu'au genre délibératif; c'est d'émouvoir l'auditoire de compassion pour lui-même, et d'horreur pour ses propres vices, ou de terreur pour ses propres dangers.

Il est rare, en effet, que l'orateur chrétien plaide la cause des absents, à moins qu'il ne parle en faveur des pauvres, des orphelins, comme Vincent de Paule, lorsqu'il disait aux femmes pieuses qui composaient son auditoire : « Or sus, mesdames, la compassion et la charité vous ont fait adopter ces petites créatures pour vos enfants. Vous avez été leurs mères selon la grâce, depuis que leurs mères selon la nature les ont abandonnés. Voyez maintenant si vous voulez les abandonner; cessez à présent d'être leurs mères pour devenir leurs juges. Leur vie et leur mort sont entre vos mains. Je m'en vais prendre les voix et les suffrages. Il est temps de prononcer leur arrêt, et de savoir si vous ne voulez plus avoir de miséricorde pour eux. Ils vivront, si vous continuez d'en prendre un soin charitable, et ils mourront, si vous les délaissez 1. ›

MARMONTEL. Éléments de littérature, tom. III.

PÉRORAISON De l'éloge funèbre de condÉ.

Jetez les yeux de toutes parts; voilà tout ce qu'a pu la magnificence et la piété pour honorer un héros des titres, des inscriptions, vaines marques de ce qui n'est plus; des figures qui semblent pleurer autour d'un tombeau, et de fragiles images d'une douleur que le temps emporte avec tout le reste; des colonnes qui semblent vouloir porter jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant; et rien enfin ne manque dans tous ces honneurs que celui à qui on les

rend.

4 Le même jour, dans la même église, au même instant, l'hôpital des enfants trouvés fut fondé à Paris et doté de quarante mille livres de rente.

Pleurez donc sur ces faibles restes de la vie humaine, pleurez sur cette triste immortalité que nous donnons aux héros; mais approchez en particulier, ô vous qui courez avec tant d'ardeur dans la carrière de la gloire, âmes guerrières et intrépides! Quel autre fut plus digne de vous commander? Mais dans quel autre avez-vous trouvé le commandement plus honnête? Pleurez donc ce grand capitaine, et dites en gémissant: Voilà celui qui nous menait dans les hasards! Sous lui se sont formés tant de renommés capitaines que ses exemples ont élevés aux premiers honneurs de la guerre ! Son ombre eût pu encore gagner des batailles : et voilà que dans son silence son nom même nous anime; et ensemble il nous avertit que, pour trouver à la mort quelque reste de nos travaux, et n'arriver pas sans ressource à notre éternelle demeure, avec le roi de la terre, il faut encore servir le roi du ciel. › Servez donc ce roi immortel et si plein de miséricorde, qui vous comptera un soupir et un verre d'eau donné en son nom, plus que tous les autres ne feront jamais tout votre sang répandu; et commencez à compter le temps de vos utiles services du jour que vous vous serez donnés à un maître si bienfaisant.

Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste monument, vous, dis-je, qu'il a bien voulu mettre au rang de ses amis? Tous ensemble, en quelque degré de sa confiance qu'il vous ait reçus, environnez ce tombeau, versez des larmes avec des prières; et, admirant dans un si grand prince une amitié si commode et un commerce si doux, conservez le souvenir d'un héros dont la bonté avait égalé le courage. Ainsi, puisse-t-il toujours vous être un cher entretien ! ainsi, puissiez-vous profiter de ses vertus, et que sa mort, que vous déplorez, vous serve à la fois de consolation et d'exemple!

Pour moi, s'il m'est permis, après tous les autres, de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets, vous vivrez éternellement dans ma mémoire; votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettait la victoire; non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y efface; vous aurez dans cette image des traits immortels : je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour, sous la main de Dieu, lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparaître. C'est là que je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg et à Rocroy; et, ravi d'un si beau triomphe, je dirai en actions de grâces ces belles paroles du bien-aimé disciple : « La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c'est notre foi. ›

Jouissez, prince, de cette victoire; jouissez-en éternellement par l'immortelle vertu de ce sacri

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