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Nantouillet (1), depuis grand-maistre: qui aussi | comme le Roy partoit de Bourbonnois, et à bien servit le Roy en cette armée, que jamais grandes journées alloit pour le trouver. subjet servit roy de France en son besoin et à la fin en fut mal récompensé, par la poursuite de ses ennemis, plus que par le deffaut du Roy: mais les uns, ne les autres, ne s'en sçauroient de tous points excuser. Il y eut du menu peuple, comme j'ay depuis sçeu, fort espouvanté ce jour, jusques à crier : Ils sont dedans (ainsi le m'ont conté plusieurs depuis), mais c'estoit sans propos. Toutes-fois monseigneur de Hault bourdin (dont j'ay parlé cy-devant, et lequel y avoit esté nourry, lorsqu'elle n'estoit point si forte qu'elle est à présent) eust esté assez d'opinion qu'on l'eust assaillie. Les gensd'armes l'eussent bien voulu, tous mesprisans le peuple: car jusques à la porte estoient les escarmouches. Toutes - fois il est vraysemblable qu'elle n'estoit point prenable. Ledit comte s'en retourna à Sainct-Denis.

Or faut un peu parler comme le Roy estoit allé en Bourbonnois. Connoissant que tous les seigneurs du royaume se déclaroient contre luy, au moins contre son gouvernement, se délibéra d'aller premier au duc de Bourbon, qui luy sembloit s'estre plus déclaré que les autres princes: et pource que son païs estoit foible, tantost l'auroit affolé; il luy print plusieurs places, et eut achevé le demeurant, si n'eust esté le secours qui vint de Bourgogne, que menoit le seigneur de Coulches (3), le marquis de Rottelin (4), le seigneur de Montagu (5), et autres et y estoit, portant le harnois, le chancelier de France (qui est aujourd'huy homme bien estimé) appellé messire Guillaume de Rochefort. Cette assemblée avoient faite en Bourgogne, le comte de Beaujeu (6) et le cardinal de Bourbon (7) frère du duc Jehan de Bourbon : et mirent les Bourguignons dedans Molins. D'autre part vindrent en l'ayde dudit duc, le duc de Nemours (8), le comte d'Armagnac (9), et le seigneur d'Albret (10), avec grand nombre de gens où il y avoit aucuns bien bons hommes d'armes de leurs païs, qui avoient laissé les ordonnances et s'estoient retirez à eux. Ce grand nombre estoit assez mal empoinct car ils n'avoient point de payement, et falloit qu'ils vescussent sur le peuple. Nonobstant tout ce nombre, le Roy leur donnoit beaucoup d'affaires, et traittèrent aucune forme de paix et par espécial le duc de Nemours fit serment au Roy, luy promettant tenir son party: toutes-fois de

Le lendemain au matin se tint conseil, sçavoir si on iroit au devant du duc de Berry et du duc de Bretagne, qui estoient près, comme disoit le vice-chancelier de Bretagne, qui monstroit lettres d'eux mais il les avoit faites sur des blancs: et autre chose n'en sçavoit. La conclusion fut, que l'on passeroit la rivière de Seine: combien que plusieurs opinèrent de retourner, puisque les autres avoient failly à leur jour et qu'avoir passé la rivière de la Somme et de Marne (2), c'estoit assez, et suffisoit bien, sans passer celle de Seine et y mettoient grandes doutes aucuns; veu qu'à leur dos n'avoient nulles places pour eux retirer, si besoin en avoient. Fort murmurèrent tous ceux de l'ost sur le comte de Sainct-puis fit le contraire, dont le Roy conceut ceste Paul et sur ce vice-chancelier : toutes-fois ledit comte de Charolois alla passer la rivière et loger au pont Sainct-Clou. Le lendemain, dès qu'il fut arrivé, lui vindrent nouvelle d'une dame du royaume, qui luy escrivoit de sa main,

(1) Charles de Melun, baron de Landes, de Normanville et de Nantouillet, chambellan de Louis XI, gouverneur de Paris et de l'ile de France, lieutenant général de tout le royaume. Il tomba dans la disgrâce du roi qui lui fit trancher la tête à Andely, le 20 août 1468. Voici des détails sur lui rapportés par Lenglet-Dufresnoy, d'après une ancienne chronique. « Ce chevalier étoit moult privé du roi et avoit couché plusieurs fois avec luy, tant estoit familier. La cause pourquoy, je ne le scay, sinon que c'étoit la volonté du roy qui n'avoit mercy d'homme sur lequel il avoit suspicion mauvaise. Et, dit-on, que du premier coup que le bourreau lui donna, il ne lui coupa la tête qu'à moitié, et que le chevalier se releva et qu'il dit tout haut qu'il n'avoit cause ne coulpe en ce que le Roy le mettoit, et qu'il n'avoit mort déservie, mais puisque c'étoit le plaisir du Roy il prenoit la mort en gré, et quand il eut ce dit, il fut par après décapité. »

longue haine qu'il avoit contre luy, comme plusieurs fois il m'a dit. Or voyant le Roy que là ne pouvoit si tost avoir fait, et que le comte de Charolois s'approchoit de Paris, doutant que les Parisiens ne fissent ouverture à luy et à son

(2) Comines semble confondre ici la Marne avec l'Oise.

(3) Claude de Montaigu, seigneur de Couches, chambellan du duc de Bourgogne, mort en 1470. C'est le dernier rejeton de la dernière maison ducale de Bourgogne.

(4) Rodolphe de Hochberg, mort en 1487. (5) Jean de Neufchâtel, chambellan du due. (6) Pierre II de Bourbon, depuis duc de Bourbon. (7) Charles de Bourbon, cardinal, archevêque de Lyon, fils de Charles I, duc de Bourbon, et d'Agnès de Bourgogne.

(8) Jacques d'Armagnac, décapité à Paris en 1477. (9) Jean d'Armagnac, le même qui fut excommunié par le pape pour avoir épousé sa propre sœur.

(10) Alain d'Albret, troisième aïcul de Henri IV, par Jeanne d'Albret.

frère (1) et au duc de Bretagne, qui venoient du costé de Bretagne, à cause que tous se coulouroient sur le bien public du royaume: et que ce qu'eust fait la ville de Paris doutoit que toutes les autres villes ne fissent le semblable, se délibéra à grandes journées de se venir mettre dedans Paris, et de garder que ces deux grosses armées ne s'assemblassent: et ne venoit point en intention de combattre, comme par plusieurs fois il m'a conté, en parlant de ces matières.

CHAPITRE III.

Comment le comte de Charolois vint planter son camp près de Mont-l'héry: et de la bataille qui fut faite audit lieu, entre le roy de France et luy.

Comme j'ay dit cy-dessus, quand le comte de Charolois sceut le département du Roy, qui s'estoit parti du païs de Bourbonnois, et qu'il venoit droict à luy (au moins il le cuidoit) se délibéra aussi de marcher au devant de luy : et dist alors le contenu de ses lettres, sans nommer le personnage qui les escrivit et qu'un chacun se délibérast de bien faire: car il délibéroit de tenter la fortune, et s'en alla loger à un village près Paris, appellé Longjumeau: et le comte de Sainct-Paul, à tout son avant-garde, à Mont-l'héry, qui est deux lieuës outre: et envoyer espies et chevaucheurs aux champs, pour sçavoir la venue du Roy, et son chemin. En la présence du comte de Sainct-Paul fut choisi lieu et place pour combattre, audit Longjumeau: et fut arresté entre eux que ledit comte de Sainct-Paul se retireroit à Longjumeau, au cas que le Roy vint, et y estoient les seigneurs de Haultbourdin et le seigneur de Contay présens.

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son erreur. Entre les autres y estoit le comte de Dunois (3), fort estimé en toutes choses, le mareschal de Loheac (4), le comte de Dammartin (5), le seigneur de Bueil, et maints autres: et estoient partis des ordonnances du Roy bien cinq cens hommes-d'armes; qui tous s'estoient retirez vers le duc de Bretagne, dont tous estoient subjets et nez de son païs, qui estoient de ceste armée là. Le comte du Maine, qui alloit au devant, comme j'ay dit, ne se sentant assez fort pour les combatre, deslogeoit tousjours devant eux en s'approchant du Roy et cherchoient les ducs de Berry et Bretagne se joindre aux Bourguignons. Aucuns ont voulu dire que ledit comte du Maine avoit intelligence avec eux, mais je ne le sceu oncques, et ne le croy pas.

Ledit comte de Charolois estant logé à Longjumeau, comme j'ay dit, et son avant-garde à Mont-l'héry, fut adverty par un prisonnier qu'on lui amena, que le comte du Maine s'estoit joint avec le Roy, et y estoient toutes les ordonnances du royaume, qui pouvoient bien estre environ deux mille deux cens hommes-d'armes, et l'arrièreban du Dauphiné, à tout quarante ou cinquante gentils-hommes de Savoye, gens de bien.

Cependant le Roy eut conseil avec ledit comte du Maine et le grand sénéchal de Normandie, qui s'appelloit de Brezey, l'admiral de France, qui estoit de la maison de Montauban, et autres et en conclusion (quelque chose qui luy fust dite et opinée) il délibéra de ne combatre point mais seulement se mettre dedans Paris, sans soy approcher de là où les Bourguignons estoient logez. Et à mon advis que son opinion estoit bonne. Il se soupçonnoit de ce grand séneschal de Normandie, et luy demanda et pria qu'il luy dist s'il avoit baillé son sellé aux princes qui estoient contre luy, ou non. A quoy ledit grand séneschal respondit que ouy, mais qu'il leur demeureroit, et que le corps seroit sien: et ledit en gaudissant, car ainsi estoit-il accoutumé de parler. Le Roy s'en contenta, et luy bailla charge de conduire son avant-garde et aussi les guides: pour ce qu'il vouloit éviter cette bataille, comme dit est. Ledit grand séneschal, usant de volonté, dit lors à quelqu'un de ses privez: Je les mettray aujourd'hui si près l'un de l'autre, qu'il sera bien habile qui les pourra desmesler. Et ainsi le fit-il et le premier homme qui y mourut, ce fust luy et ses

d'Orléans, frère puîné de Charles VI. Grand chambellan en 1450, il mourut en 1468.

(4) André de Laval, maréchal de France en 1439. mourut en 1471.

(5) Antoine de Chabannes, grand-maître de France

(3) Jean, båtard d'Orléans, fils naturel de Louis, duc en 1467, mort en 1488.

gens; et ces paroles m'a contées le Roy, car pour lors j'estoye avec le comte de Charolois.

En effet, au vingt-septiesme jour de juillet, l'an 1465, cette avant-garde se vint trouver auprès de Mont-l'héry, où le comte de SainctPaul estoit logé. Ledit comte de Sainct-Paul, à toute diligence signifia cette venuë au comte de Charolois (qui estoit à deux lieuës près, et au lieu qui avoit esté ordonné pour la bataille), luy requérant qu'il le vint secourir à toute diligence; car jà s'estoient mis à pied hommes-d'armes et archiers, et clos de son charroy (1) et que de se retirer à luy (comme il luy avoit esté ordonné) ne luy estoit possible: car s'il se mettoit en chemin, ce sembleroit estre fuite, qui seroit grand danger pour toute la compagnie. | Ledit comte de Charolois envoya joindre avec luy le bastard de Bourgogne, qui se nommoit Antoine, avec grand nombre de gens, qu'il avoit sous sa charge, et à grande diligence, et se débatoit à soy-mesme s'il iroit ou non; mais à la fin marcha après les autres, et y arriva environ sept heures de matin et desjà y avoit cinq ou six enseignes du Roy, qui estoient arrivées au long d'un grand fossé qui estoit entre les deux bendes.

ceux qui descendoient avec les archiers) et tousjours s'y en mettoit grande quantité de gens de bien, afin que le peuple en fust plus asseuré, et combatist mieux, et tenoient cela des Anglois, avec lesquels le duc Philippe avoit fait la guerre en France, durant sa jeunesse, qui avoit duré trente-deux ans sans trèves : mais pour ce tems là le principal faix portoient les Anglois, qui estoient riches et puissans. Ils avoient aussi pour lors sage roy, le roy Henry, bel et très-vaillant, qui avoit sages hommes et vaillans, et de trèsgrands capitaines, comme le comte de Salesbury, Talbot, et autres dont je me tay, car ce n'est point de mon tems, combien que j'en aye veu des reliques. Car quand Dieu fut las de leur bien faire, ce sage Roy mourut au bois de Vincennes et son fils insensé fut courronné roy de France et d'Angleterre à Paris: et ainsi muèrent les autres degrez d'Angleterre, et division se mit entre eux, qui a duré jusques aujourd'hui, ou peu s'en faut. Alors usurpèrent ceux de la maison d'Yorch ce royaume, s'ils l'eurent à bon tiltre; je ne sçai lequel car de telles choses le partage s'en fait au ciel.

En retournant à ma matière, de ce que les Bourguignons s'estoient mis à pied, et puis reEncores estoit en l'ost du comte de Charolois, montez à cheval, leur porta grand'perte de temps le vice-chancelier de Bretagne, appelé Rou- et dommage: et y mourut ce jeune et vaillant ville et un vieil homme d'armes appellé Ma-chevalier messire Philippe de Lallain, pour être derey, qui avoit baillé le Pont Saincte-Maxence: lesquels eurent peur, pour le murmure qui estoit entr'eux, voyans qu'on estoit à la bataille, et que les gens de quoy ils s'estoient faits forts, n'y estoient point joints. Si se mirent les dessusdits à la fuite, avant qu'on combatist, par le chemin où ils pensoient trouver les Bretons. Ledit comte de Charolois trouva le comte de Sainct-Paul à pied, et tous les autres se mettoient à la file comme ils venoient et trouvasmes tous les archiers deshousez, chacun un pal (2) planté devant eux et y avoit plusieurs pipes de vin desfonsées pour les faire boire : et de ce petit que j'ay veu, ne vey jamais gens qui eussent meilleur vouloir de combattre, qui me sembloit un bien bon signe et grand reconfort. De prime-face fut advisé que tout se mettroit à pied, sans nul excepter: et depuis muerent propos: car presque tous les hommes-d'armes montèrent à cheval. Plusieurs bons chevaliers et escuyers furent ordonnés à demeurer à pied dont monseigneur des Cordes et son frère estoient du nombre. Messire Philippe de Lallain s'estoit mis à pied (car entre les Bourguignons lors estoient les plus honnorés

(1) Bagage.

(2) Pal, pieu que chaque homme portait avec lui,

mal armé. Les gens du Roy venoient à la file de la forest de Torfou (3), et n'estoient point quatre cens hommes-d'armes quand nous les veismes : et qui eust marché incontinent, semble à beaucoup qu'il ne se fust point trouvé de résistance car ceux de derrière n'y pouvoient venir qu'à la file, comme j'ay dit: toutesfois tousjours croissoit leur nombre. Voyant cecy, vint ce sage chevalier, monseigneur de Contay, dire à son maistre monseigneur de Charolois que s'il vouloit gagner cette bataille, il estoit temps qu'il marchast: disant les raisons pourquoy, et si plustost l'eust fait, desjà ses ennemis fussent desconfits: car il les avoit trouvez en petit nombre, lequel croissoit à veuë d'œil : et la vérité estoit telle. Et lors se changea tout l'ordre et tout le conseil : car chacun se mettoit à en dire son advis. Et jà estoit commencée une grosse et forte escarmouche au bout du village de Mont-l'héry toute d'archiers d'un costé et d'autre.

Ceux de la part du Roy les conduisoit Poncet de Rivière et estoient tous archiers d'ordonnance, orfeuverisez et bien en point. Ceux du

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costé des Bourguignons estoient sans ordre et sans commandement, comme volontaires. Si commencèrent les escarmouches, et estoit à pied, avec eux, monseigneur Philippe de Lallain et Jacques du Maes, homme bien renommé, depuis grand-escuyer du duc Charles de Bourgogne. Le nombre des Bourguignons estoit le plus grand, et gaignèrent une maison, et prindrent deux ou trois huys, et s'en servirent de pavois. Si commencèrent à entrer en la ruë, et mirent le feu en une maison. Le vent leur servoit, qui poussoit le feu contre ceux du Roy, lesquels commencèrent à désamparer et à monter à cheval, et à fuir le comte de Charolois laissant, comme j'ay dit, tout ordre paravant devisé.

Il avoit esté dit que l'on marcheroit à trois fois, pour ce que la distance des deux batailles estoit longue. Ceux du Roy estoient devers le chasteau de Mont-l'héry, et avoient une grande haye et un fossé au devant d'eux. Outre estoient les champs pleins de bleds et de fèves et d'autres grains très-forts car le territoire y estoit bon. Tous les archiers dudit comte marchoient à pied devant luy, et en mauvais ordre : combien que mon advis est que la souveraine chose du monde pour les batailles, sont les archiers : mais qu'ils soient à milliers (car en petit nombre ne valent rien) et que ce soient gens mal montez, à ce qu'ils n'ayent point de regret à perdre leurs chevaux, ou du tout n'en ayent point et valent mieux pour un jour, en cet office, ceux qui jamais ne veirent rien, que les biens exercitez. Et aussi telle opinion tiennent les Anglois, qui font la fleur des archiers du monde. Il avoit esté dit que l'on se reposeroit deux fois en chemin, pour donner halaine aux gens-de-pied pour ce que le chemin estoit long, et les fruits de la terre longs et forts, qui les empeschoient d'aller; toutesfois tout le contraire se fist comme si on éust voulu perdre son escient. Et en cela monstra Dieu que les batailles sont en sa main, et dispose de la victoire à son plaisir. Et ne m'est pas advis que le sens d'un homme sceust porter et donner ordre à un si grand nombre de gens, ne que les choses tinssent aux champs comme elles sont ordonnées en chambre, et que celuy qui s'estimeroit jusques là, mesprendroit envers Dieu, s'il estoit homme qui eust raison naturelle: combien qu'un chacun y doit faire ce qu'il peut et ce qu'il doit, et reconnoistre que c'est un des accomplissemens des œuvres que Dieu a commencées aucunes fois par petites

(1) Mouvetez, suivant quelques manuscrits, monettes ou monitions. Mouvetez, suivant les remarques de Duchat, signifie motifs.

(2) Argus, arguties, opinions mal fondées.

mouvetez (1) et occasions, et en donnant la victoire aucunes fois à l'un, et aucunes fois à l'autre et est cecy mystère si grand, que les royaumes et grandes seigneuries en prennent aucunes fois fins et désolations, et les autres accroissement et commencement de régner.

Pour revenir à la déclaration de cet article, ledit comte marcha tout d'une boutée, sans donner halaine à ses archiers et gens-de-pied. Ceux du Roy passèrent par cette haye par deux bouts, tous hommes-d'armes et comme ils furent si près que de jetter les lances en arrest, les hommes-d'armes Bourguignons rompirent leurs propres archiers, et passèrent par dessus, sans leur donner loisir de tirer un coup de flesche: qui estoit la fleur et espérance de leur armée. Carje ne croy pas que de douze cens hommes-d'armes, ou environ, qui y estoient, y en eust cinquante qui eussent sceu coucher une lance en arrest. Il n'y en avoit pas quatre cens armez de cuiraces : et si n'avoient pas un seul serviteur armé. Et tout cecy, à cause de la longue paix, et qu'en cette maison de Bourgogne ne tenoient nulles gens de solde, pour soulager les peuples des tailles et oncques puis ce jour là, ce quartier de Bourgogne n'eust repos jusques à cette heure, qui est pis que jamais. Ainsi rompirent euxmêmes la fleur de leur armée et espérance: toutes-fois Dieu, qui ordonne de tel mystère, voulut

que le costé où se trouva ledit comte (qui estoit à main dextre derrière le château) vainquist sans trouver nulle défense: et me trouvay ce jour pour toujours avec luy, ayant moins de crainte que je n'eus jamais en lieu où je me trouvasse depuis, pour la jeunesse en quoy j'estoye, et que je n'avoye nulle connoissance de péril : mais estoye esbahy comme nul s'osoit défendre contre tel prince à qui j'estoye, estimant que ce fust le plus grand de tous les autres. Ainsi font gens qui n'ont point d'expérience dont vient qu'ils soustiennent assez d'argus (2), mal fondez et à peu de raison. Par quoy fait bon user de l'opinion de celuy qui dit, que l'on ne se repent jamais pour parler peu; mais bien souvent de trop parler.

- A la main senestre estoient le seigneur de Ravastein, et messire Jacques de Sainct Paul, et plusieurs autres, à qui il sembloit qu'ils n'avoient pas assez d'hommes-d'armes pour soustenir ce qu'ils avoient devant eux, mais dès lors estoient si approchez, et qu'il ne falloit plus parler d'ordre nouvelle. En effect ceux-là furent rompus à plate cousture, et chassez jusques au charroy; et la pluspart fuit jusques en la forest, qui estoit près de demie lieue. Au charroy se rallièrent quelques gens-de-pied bourguignons.

Les principaux de cette chasse estoient les nobles du Dauphiné et Savoisiens, et beaucoup de gensd'armes aussi et s'attendoient d'avoir gaigné la bataille; et de ce costé y eust une grande fuite des Bourguignons, et de grands personnages: et fuyoient la pluspart pour gaigner le Pont Saincte-Maxence, cuidans qu'il tint encore pour eux. En la forest y en demeura beaucoup, et entre autres le comte de Sainct-Paul, qui estoit assez bien accompagné, s'y estoit retiré; car le charroy estoit assez près de ladite forest, et montra bien depuis qu'il ne tenoit pas encore la chose pour perdue.

CHAPITRE IV.

Du danger auquel fut le comte de Charolois, et comment il fut secouru.

Le comte de Charolois chassa de son costé demie lieue, outre le Mont-l'héry, et à bien peu de compagnie. Toutes-fois nul ne se défendoit, et trouvoit gens à grande quantité, et ja cuidoit avoir la victoire. Un viel gentil-homme de Luxembourg, appellé Antoine le Breton, le vint quérir, et luy dit que les François s'estoient ralliez sur le champ, et que s'il chassoit plus guères, il se perdroit. Il ne s'arresta point pour luy, non obstant qu'il luy dist par deux ou trois fois. Incontinent arriva monseigneur de Contay (dont cy-dessus est parlé), qui lui dit semblables paroles, comme avoit fait le vieil gentil-homme de Luxembourg, et si audacieusement qu'il estima sa parole en son sens, et retourna tout court et croy s'il fut passé outre deux traicts d'ares, qu'il eust esté pris, comme aucuns autres qui chassoient devant luy : et en passant par le village, trouva une flotte de gens à pied qui fuyoient. Il les chassa et n'avoit pas cent chevaux en tout. Il ne se retourna qu'un homme à pied, qui lui donna d'un vouge (1) parmi l'estomach: et au soir s'en veit l'enseigne. La pluspart des autres se sauvèrent par les jardins, mais celuy-là fut tué. Comme il passoit rasibus du chastel, veismes les archiers de la garde du Roy devant la porte, qui ne bougèrent. Il en fut fort esbahy, car il ne cuidoit point qu'il y❘ eust plus ame de défense. Si tourna à costé pour gagner le champ, où lui vindrent courre

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sus quinze ou seize hommes-d'armes ou environ (une partie des siens s'estoient jà séparez de luy) et d'entrée tuèrent son escuyer trenchant, qui s'appelloit Philippe d'Oignies, et portoit un guidon de ses armes : et là ledit comte fut en trèsgrand danger, et eut plusieurs coups: et entre les autres, un en la gorge, d'une espée, dont l'enseigne lui est demeurée toute sa vie, par défaut de sa bavière (2) qui lui estoit cheute, et avoit esté mal attachée dès le matin ; et luy avoye veu choir et luy furent mises les mains dessus, en disant: Monseigneur, rendez-vous, je vous connoy bien, ne vous faites pas tuer. Tousjours se défendoit: et sur ce débat le fils d'un médecin de Paris, nommé maistre Jean Cadet (qui estoit à luy), gros et lourd et fort, monté sur un gros cheval de cette propre taille, donna au travers et les départit. Tous ceux du Roy se retirèrent sur le bord d'un fossé, où ils avoient esté le matin: car ils avoient crainte d'aucuns qu'ils voyoient marcher, qui s'approchoient: et luy fort sanglant, se retira à eux comme au milieu du champ: et estoit l'enseigne du bastard de Bourgogne toute despecée : tellement qu'elle n'avoit pas un pied de longueur : et à l'enseigne des archiers du comte, il n'y avoit pas quarante hommes en tout: et nous y joignismes (qui n'estions pas trente) en très-grande doute. Il changea incontinent de cheval et le luy bailla un qui estoit lors son page, nommé Simon de Quingey, qui depuis a esté bien connu. Ledit comte se mit par le champ pour rallier ses gens : mais je vey telle demie heure que nous qui estions demeurez là, n'avions l'œil qu'à fuir s'il fust marché cent hommes. Il venoit seulement à nostre secours des troupes de dix ou vingt hommes des nostres, tant de pied que de cheval: les gens-de-pied blessez et lassez, tant de l'outrage que leur avions fait le matin, qu'aussi des ennemis (3): et vey l'heure qu'il n'y avait pas cent hommes, mais peu à peu en venoit. Les bleds estoient grands, et la poudre la plus terrible du monde, tout le champ semé de morts et de chevaux et ne se connoissoit nul homme mort pour la poudre.

Incontinent veismes saillir du bois le comte de Sainct-Paul, qui avoit bien quarante hommesd'armes avec luy, et son enseigne, et marchoit droit à nous, et croissoit de gens: mais ils nous sembloient bien loin. On lui envoya trois ou quatre fois prier qu'il se hastast, mais il ne se

(3) Un vieux manuscrit mettait un point après ennemis, et ajoutait : « Luy revint incontinent qui n'emmena >> pas cent hommes; mais peu à peu en venoit. Nostre >> champ estoit ras, et demie heure devant, le bled y >> estoit si grand, et à l'heure la poudre, etc. »

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