Imágenes de página
PDF
ePub

moindre défense que n'estoit cette maison de Bourgogne: et aussi que c'estoient ceux qui recueilloient tous ses malveillans, comme son

chacun en son lieu : mais aux gens-d'armes desplut fort le conseil qu'avoit donné ledit connestable car ils voyoient de beau butin deyant leurs yeux. On envoya incontinent une ambas-frère et autres, et qui avoient intelligence desade à Liége pour confirmer cette paix. Le peuple (qui est inconstant) leur disoit à toute heure, qu'on ne les avoit osé combattre : et leur tirèrent coulevrines à la teste, et leur firent plusieurs rudesses. Le comte de Charolois s'en retourna en Flandres. En cette saison mourut son père (1), auquel il fit très-grand et solennel obsèque à Bruges, et signifia la mort dudit seigneur au Roy.

CHAPITRE II.

Comment les Liégeois rompirent la paix au duc de Bourgogne, paravant comte de Charolois, et comment il les deffit en bataille. Cependant et tousjours depuis se traittoient choses secrètes et nouvelles entre ces princes. Le Roy estoit si irrité contre le duc de Bretagne et le duc de Bourgogne, que merveilles et avoient lesdits ducs grand'peine pour avoir nouvelles les uns des autres: car souvent leurs messagers avoient empeschement : et en temps de guerre faloit qu'ils vinssent par mer, et pour le moins, faloit que de Bretagne passassent en Angleterre, et puis par terre jusques à Douvres, et passer à Calais (2) : ou s'ils venoient par terre le droit chemin, ils venoient en grand péril.

En toutes ces années de différens, et en autres subséquentes, qui ont duré jusques à vingt, ou plus, les unes en guerre, les autres en trèves et dissimulations, et que chacun des princes comprenoit par la trève ses alliez, Dieu fit ce bien au royaume de France que les guerres et divisions au pays d'Angleterre estoient encore en nature, et si pouvoient estre commencées quinze ans päravant, en grandes et cruelles batailles, où maint homme de bien fut occis. Et tous disoient qu'ils estoient traistres, à cause qu'il y avoit deux maisons qui prétendoient à la couronne d'Angleterre c'est à sçavoir la maison de Lanclastre et la maison d'Yorch. Et ne faut pas douter que si les Anglois eussent esté en l'estat qu'ils avoient esté autrefois, que ce royaume de France n'eust eu beaucoup d'affaires.

Tousjours taschoit le Roy à venir à fin de Bretagne plus qu'autre chose, car il luy sembloit que c'estoit chose plus aisée à conquérir, et de

(1) Philippe-le-Bon mourut à Bruges le 15 juin 1467, entre neuf et dix heures du soir.

(2) Calais appartenait alors aux Anglais, qui s'en

dans le royaume : et pour cette cause, pratiquoit fort le duc de Bourgogne Charles, pour luy faire consentir, par plusieurs offres, et par plusieurs marchez, qu'il les voulût abandonner : et par ce moyen aussi luy abandonneroit les Liégeois, et autres ses malveillans, ce qui ne se pût accorder: mais alla ledit duc de Bourgogne sur les Liégeois, qui luy avoient rompu la paix, et prit une ville appellée Huy (3), et chassé ses gens dehors, et pillé ladite ville, nonobstant les ostages qu'ils avoient baillez l'an précédent, en peine capitale, au cas qu'ils rompissent le traité, et aussi sur peine de grand'somme d'argent. Il assembla son armée environ Louvain qui est Liége. Là arriva devers luy le comte de Sainctau pays de Brabant, et sur les marches de Paul, connestable de France (qui pour lors s'estoit de tous poincts réduit au Roy, et se tenoit avec luy), et le cardinal Ballue, et autres envoyez lesquels signifièrent audit duc de Bourgogne, comme les Liégeois estoient alliez du Roy, et compris en sa trève, l'advertissant qu'il leur donneroit secours en cas que ledit duc de Bourgogne les assaillist. Toutes-fois ils offrirent, s'il vouloit consentir que le Roy peust faire la guerre en Bretagne, que ledit seigneur le laisseroit faire avec les Liégeois. Leur audience fut courte et en public: et ne demeurèrent qu'un jour. Ledit duc de Bourgogne disoit pour excuse que lesdits Liégeois l'avoient assailly, et que la rupture de la trève venoit d'eux, et non pas de luy, et pour telles raisons ne devoit abandonner ses alliez. Les dessusdits ambassadeurs furent dépeschez; comme il vouloit monter à cheval (qui estoit le lendemain de leur venuë), leur dit tout haut qu'il supplioit au Roy ne vouloir rien entreprendre sur le pays de Bretagne. Ledit connestable le pressa, en luy disant:

[ocr errors]

Monseigneur, vous ne choisissez point car » vous prenez tout, et voulez faire la guerre à » vostre plaisir à nos amis, et nous tenir en

repos, sans oser courre sus à nos ennemis, » comme vous faites aux vostres : il ne se peut » faire, ny le Roy ne le souffriroit point.» Ledit duc prit congé d'eux, en leur disant: « Les » Liégeois sont assemblez, et m'attends d'avoir » la bataille avant qu'il soit trois jours; si je la perds, je croy bien que vous ferez à vostre

[ocr errors]

étaient rendus maîtres le 3 août 1347. Cette ville fut reprise par le duc de Guise en 1558.

(3) Petite ville sur la Meuse, entre Liége et Namur:

guise: mais aussi, si je la gagne, vous lais» serez en paix les Bretons. » Et après monta à cheval, et lesdits ambassadeurs allèrent en leur logis s'apprester pour eux en aller. Et luy party dudit lieu de Louvain en armes, et très-grosse compagnie, alla mettre le siége devant une ville appellée Sainct-Tron. Son armée estoit trèsgrosse: car tout ce qui avoit pu venir de Bourgogne, s'estoit venu joindre avec luy: et ne luy vis jamais tant de gens ensemble, à beaucoup près.

Un peu avant son partement avoit mis en délibération s'il feroit mourir ses ostages, ou ce qu'il en feroit aucuns opinèrent qu'il les fist mourir tous, et par espécial le seigneur de Contay (dont plusieurs fois j'ay parlé) tint cette opinion et jamais ne l'ouys parler si mal, ny si cruellement que cette fois. Et pour ce est bien nécessaire à un prince d'avoir plusieurs gens à son conseil car les plus sages errent aucunes fois, et très-souvent, ou pour estre passionnez aux matières de quoy l'on parle, ou par amour, ou par haine, ou pour vouloir dire l'opposite d'un autre, et aucunes fois par la disposition des personnes car on ne doit point tenir pour conseil ce qui se fait après disner. Aucuns pourroient dire que gens faisans aucunes de ces fautes, ne devroient estre au conseil d'un prince. A quoy faut respondre que nous sommes tous hommes : et qui les voudroit chercher tels, que jamais ne faillissent à parler sagement, ny que jamais ne s'esmeussent plus une fois que l'autre, il les faudroit chercher au ciel, car on ne les trouveroit pas entre les hommes mais en récompense aussi, il y aura tel au conseil, qui parlera très - sagement, et trop mieux, qu'il n'aura accoustumé d'ainsi faire souvent et aussi les uns redressent les autres.

Retournons à nos opinions. Deux ou trois furent de cet advis, estimant la grandeur ou le sens dudit de Contay: car en tel conseil se trouvent beaucoup de gens, et y a assez qui ne parlent qu'après les autres, sans guères entendre aux matières, et désirent complaire à quelqu'un qui aura parlé, qui sera homme estant en auctotorité. Après en fut demandé à monseigneur d'Hymbercourt (1), natif d'auprès d'Amiens, un des plus sages chevaliers, et des plus entendus, que je connusse jamais lequel dit que son opinion estoit, que pour mettre Dieu de sa part de tous poincts, et pour donner à connoistre à tout le monde qu'il n'étoit cruel ni vindicatif, qu'il dé

(1) Guy de Brimeu, comte de Meghem, seigneur de Humbercourt, chevalier de la Toison-d'Or, déca

livrast tous les trois cens ostages; veu encore qu'ils s'y estoient mis en bonne intention et espérance que la paix se tinst: mais qu'on leur dit au départir, la grâce que ledit duc leur faisoit, leur priant qu'ils taschassent à réduire ce peuple en bonne paix : et au cas qu'il n'y voulust entendre, qu'au moins eux reconnaissant la bonté (2) qu'on leur faisoit, ne se trouveroient en guerre contre luy, ny contre leur évesque, lequel estoit en sa compagnie. Cette opinion fut tenue, et firent les promesses dessusdites lesdits ostages, en les délivrant. Aussi leur fut dit que si aucuns deux se déclaroient en guerre, et fussent pris, qu'il leur cousteroit la teste: et ainsi s'en allèrent.

Il me semble bon de dire qu'après que ledit seigneur de Contay eut donné cette cruelle sentence contre ces pauvres ostages (comme vous avez ouy), dont une partie d'eux s'estoient mis par vraye bonté, un estant en ce conseil, me dit en l'oreille « Voyez-vous bien cet homme, » combien qu'il soit bien vieil, si est-il de sa » personne bien sain: mais j'oseroys bien met» tre grand'chose, qu'il ne sera point vif d'huy » en un an: et le dis pour cette terrible opinion qu'il a dite. » Et ainsi en avint, car il ne vesquit guères: mais avant qu'il mourût, il servit bien son maistre pour un jour en une bataille, dont je parleray ci-après.

[ocr errors]

En retournant donc à nostre propos, vous avez ouy comme au partir de Louvain, ledit duc mit le siége devant Sainct-Tron, et là affusta son artillerie. Dedans la ville estoient quelques trois mille Liégeois, et un très-bon chevalier, qui les conduisoit : et estoit celui qui avoit traité la paix, quand nous nous trouvasmes au devant d'eux en bataille, l'an précédent. Le troisième jour après que le siége y fut mis, les Liégeois en tres-grand nombre de gens, comme de trente mille personnes et plus, tant de bons que mauvais, tous gens-de-pied (sauf environ cinq cens chevaux) et grand nombre d'artillerie, vinrent pour lever notre siége, sur l'heure de dix heures du matin, et se trouvèrent en un village fort et clos de marais une partie : lequel s'apeloit Bruestein, à demy lieue de nous : et en leur compagnie estoit François Rayer, baillif de Lyon, lors ambassadeur pour le Roy vers lesdits Liégeois. L'alarme vint tost en nostre ost: et faut dire vray qu'il avoit esté donné mauvais ordre, de n'avoir mis de bons chevaucheurs aux champs: car l'on n'en fut adverty que par les fourageurs qui fuyoient.

pité à Gand en 1478, malgré les prières de Marie de Bourgogne, fille de Charles-le-Téméraire. (2) Grâce.

Je ne me trouvay oncques en lieu avec ledit duc de Bourgogne, où je luy visse donner bon ordre de soy, excepté ce jour. Incontinent fit tirer toutes les batailles aux champs, sans aucuns qu'il ordonna pour demeurer au siége: entre les autres, il y laissa cinq cens Anglois. Il mit sur les deux costez du village, bien douze cens hommes-d'armes, et quant à luy il demeura vis-àvis, plus loin dudit village que les autres, avec bien huict cens hommes-d'armes ; et y avoit grand nombre de gens de bien à pied avec les archers, et grand nombre d'hommes-d'armes. Et marcha monseigneur de Ravestein avec l'avant-garde dudit duc, et tous d'gens à pied,tant hommes-d'armes qu'archers, et certaines pièces d'artillerie, jusques sur le bord de leurs fossez, qui estoient grands et profonds, et pleins d'eau : et à coups de flèches et de canons furent reculez, et leurs fosssez gaignez, et leur artillerie aussi. Quand le traict fut failly aux nostres, le cœur revint ausdits Liégeois, qui avoient leurs piques longues (qui sont bastons avantageux), et chargèrent sur nos archers et sur ceux qui les conduisoient; et en une troupe tuèrent quatre ou cinq cens hommes en un moment: et branloient toutes nos enseignes, comme gens presque desconfits. Et sur ce pas fit le duc marcher les archers de sa bataille, que conduisoit messire Philippe de Crève-cœur, sei- | gneur des Cordes, homme sage, et plusieurs autres gens de bien, qui d'un ardant et grand courage assaillirent lesdits Liégeois, lesquels en un moment furent desconfits.

mentir: mais depuis que je suis né, j'ay veu en beaucoup de lieux, qu'on disoit pour un homme qu'on en avoit tué cent pour cuider complaire: et avec tels mensonges s'abusent bien aucunes fois les maistres: si ce n'eust esté la nuict, il en fût mort plus de quinze mille. Cette besogne achevée, et que jà il estoit fort tard, le duc de Bourgogne se retira en son ost, et toute l'armée, sauf mille ou douze cens chevaux qui estoient allez passer à deux lieues de là pour chasser les fuyards: car autrement ne les eussent pu joindre, à cause d'une petite rivière. Ils ne firent pas grand exploict pour la nuict: toutesfois aucuns en tuèrent, et prirent le demeurant ; et la plus grande compagnie se sauva en la cité.

Ce jour aida bien à donner l'ordre, le seigneur de Contay, lequel peu de jours après mourut en la ville de Huy, et eut assez bonne fin, et avoit esté vaillant et sage; mais il dura peu après cette cruelle opinion qu'il avoit donnée contre les Liégeois ostagers, dont avez ouy parler cy-dessus. Dès que le duc fut désarmé, il appela un secrétaire, et escrivit une lettre au connestable, et autres, qui estoient partis d'avec luy, et n'y avoit que quatre jours, à Louvain, où ils estoient venus ambassadeurs, comme dit est: et leur signifia cette victoire, priant qu'aux Bretons ne fust rien demandé.

Deux jours après cette bataille, changea bien l'orgueil de ce fol peuple, et pour peu de perte: mais à qui que ce soit, est bien à craindre de mettre son estat en hazard d'une bataille qui s'en peut passer: car pour un petit nombre de gens que l'on y perd, se muent et changent les

Les gens-de-cheval (dont j'ay parlé) qui estoient sur les deux costez du village ne pouvoient mal faire aux Liégeois, ny aussi le duc de Bour-courages des gens de celuy qui perd, plus qu'il gogne de là où il estoit, à cause des marais : mais seulement y estoient à l'aventure, afin que si lesdits Liégeois eussent rompu cette avantgarde, et passé les fossez jusques au pays plain, les pût rencontrer. Ces Liégeois se mirent à la fuite tout au long de ces marais, et n'estoient chassez que de gens-à-pied. Des gens-de-cheval, qui estoient avec le duc de Bourgogne, il y en envoya une partie pour donner la chasse ; mais il falloit qu'ils prissent bien deux lieues de tour pour trouver passage: et la nuit les surprit, qui sauva la vie à beaucoup de Liégeois. Autres renvoya devant ladite ville, pour ce qu'il y ouyt grand bruit et doutoit leur saillie. A la vérité ils saillirent trois fois, mais tousjours furent reboutez: et s'y gouvernèrent bien les Anglois qui y estoient demeurez. Lesdits Liégeois, après estre rompus, se rallièrent un petit alentour de leur charroy, et y tindrent peu. Bien mourust quelque six mille hommes, qui semble beaucoup à toutes gens qui ne veulent point

n'est à croire, tant en espouvantement de leurs ennemis, qu'en mespris de leur maistre et de ses privez serviteurs: et entrent en murmures et machinations, demandans plus hardiment qu'ils ne souloient, et se courroucent quand on les refuse. Un escu luy servoit plus paravant que ne feroient trois : et si celui qui a perdu étoit sage, il ne mettroit de cette saison rien en hazard avec ceux qui ont fuy: mais seulement se tiendroit sur ses gardes, et essayeroit de trouver quelque chose de léger à vaincre, où ils pussent estre les maistres, pour leur faire revenir le cœur et oster la crainte. En toutes façons, une bataille perdue a tousjours grande queue, et mauvaise pour le perdant. Vray est que les conquérans les doivent chercher, pour abréger leur œuvre, et ceux qui ont les bonnes gens-de-pied, et meilleures que leurs voisins: comme nous pourrions aujourd'huy dire Anglois ou Suisses. Je ne le dis pas pour despriser les autres nations: mais ceux-là ont eu de grandes victoires, et leurs

[ocr errors]

gens ne sont point pour longuement tenir les champs, sans estre exploitez, comme seroient François ou Italiens, qui sont plus sages, ou plus aisez à conduire. Au contraire, celuy qui gaigne devient en réputation et estime de ses gens plus grande que devant, son obéyssance accroist entre tous ses subjects: on luy accorde en cette estime ce qu'il demande. Ses gens en sont plus courageux et plus hardis. Aussi lesdits princes s'en mettent aucunes fois en si grand' gloire et en si grand orgueil, qu'il leur en meschet par après et de cecy je parle de veue, et vient telle grâce de Dieu seulement.

Voyans ceux qui estoient dedans Sainct-Tron, la bataille perdue pour eux, et qu'ils estoient enfermez tout à l'environ, cuidans la desconfiture trop plus grande qu'elle n'avoit esté, rendirent la ville, laissèrent les armes, et baillèrent dix hommes à volonté, tels que le duc de Bourgogne voudroit eslire, lesquels il fit décapiter: et y en avoit six de ce nombre, des ostages que peu de jours avant avoit délivrez, avec les conditions qu'avez entenduës cy-dessus. Il leva son ost et tira à Tongres qui attendirent le siége. Toutesfois la ville ne valoit guères : et aussi sans se laisser battre, firent semblable composition, et baillèrent dix hommes, entre lesquels se trouva encore cinq ou six desdits ostages. Tous dix moururent comme les autres.

:

CHAPITRE III.

Comment après qu'aucuns des Liégeois eurent composé de rendre leur ville, et les autres refusé de ce faire, le seigneur d'Hymbercourt trouva moyen d'y entrer pour le duc de Bourgogne.

De là tira ledit duc devant la cité de Liége, en laquelle ils estoient en grand murmure. Les uns vouloient tenir et deffendre la cité, disans qu'ils estoient assez de peuple et par espécial étoit de cet avis un chevalier, appelé messire Rasse de Lintre. D'autres au contraire, qui voyoient brusler et destruire tout le pays, voulurent paix au dommage de qui que ce fust. Ainsi s'approchant ledit duc de la cité, quelque peu d'ouverture y avoit par menuës gens, comme prisonniers; et fut conduite cette matière par aucuns des dessusdits ostages; qui faisoient au contraire des premiers, dont j'ay parlé, et reconnurent la grâce qu'on leur avoit faite. Ils y menerent trois cens hommes des plus apparans et grands de la ville, en chemise, les jambes nues I. C. D. M., T. IV.

et la teste lesquels apportèrent au duc les clefs de la cité et se rendirent à luy et à son plaisir, sans rien réserver, sauf le feu et le pillage. Et ce jour s'y trouva présent pour ambassadeur, monseigneur de Mouy et un secrétaire du Roy, appelé maistre Jehan Prévost, qui venoient pour faire semblables requestes et demandes qu'avoit faites le connestable peu de jours auparavant. Cedit jour que la composition fut faite, cuidant ledit duc entrer en la cité, y envoya monseigneur d'Hymbercourt pour entrer le premier pour ce qu'il avoit connoissance en la cité, à cause qu'il y avoit eu administration par les années qu'ils avoient esté en paix. Toutesfois l'entrée luy fut refusée pour ce jour, et se logea en une petite abbaye, qui est auprès l'une des portes, et avoit avec lui cinquante hommes-d'armes. En tout pouvoit avoir quelques deux cens combattans: et j'y estoys. Le duc de Bourgogne luy fit sçavoir qu'il ne partit point de là, s'il se sentoit estre seurement: mais aussi, si ce lieu n'estoit fort, qu'il se retirast devers luy : car le chemin estoit trop mal aisé pour le secourir, pour ce qu'en ce quartier-là sont tous rochers.

Ledit d'Hymbercourt se délibéra n'en partir point car le lieu estoit très-fort, et retint avec soy cinq ou six hommes de bien de la ville, de ceux qui estoient venus rendre les clefs de la cité, pour s'en ayder, comme vous entendrez. Quand vinrent les neuf heures au soir, nous ouïsmes sonner la cloche, au son de laquelle ils s'assemblèrent, et douta ledit d'Hymbercourt que ce fût pour nous venir assaillir car il estoit bien informé que messire Rasse de Lintre et plusieurs autres ne vouloient consentir cette paix, et sa suspicion estoit vraye et bonne; car en ce propos estoient-ils et prests à saillir. Ledit seigneur d'Hymbercourt disoit : « Si nous les

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

pouvons amuser jusques à minuict, nous som» mes eschappez: car ils seront las et leur prendra envie de dormir : et ceux qui seront » mauvais contre nous, prendront dès lors la fuite, voyans qu'ils auront failly à leur entre»prise. » Et pour parvenir à cet expédient, il despécha deux de ces bourgeois qu'il ayoit retenus, comme je vous ay dit, et leur bailla certains articles assez amiables par écrit. Il le faisoit seulement pour leur donner occasion de parler ensemble et de gaigner temps: car ils avoient de coustume, et ont encores, d'aller tout le peuple ensemble au palais de l'évesque, quand il survenoit matières nouvelles : et y sont appellez au son d'une cloche qui est leans.

Ainsi nos deux bourgeois, qui avoient esté des ostages, et des bons, vinrent à la porte ( car le chemin n'estoit pas long de deux jects d'arc)

3

et trouvèrent largement peuple armé. Les uns vouloient qu'on assaillist, les autres non. Ils dirent au maistre de la cité tout haut qu'ils apportoient aucunes choses bonnes par escrit, de par le seigneur d'Hymbercourt, lieutenant du duc de Bourgogne en celle marche, et qu'il seroit bon de les aller voir au palais. Et ainsi le firent et incontinent ouïsmes sonner la cloche dudit palais : à quoy nous connusmes bien qu'ils estoient embesognez.

Nos deux bourgeois ne revinrent point: mais au bout d'une heure, ouïsmes plus grand bruit à la porte que paravant, et y vint beaucoup plus largement gens et crioient par dessus les murailles et nous disoient vilénies. Lors connut ledit seigneur d'Hymbercourt que le péril estoit plus grand pour nous que devant, et dépescha arrière ces quatre autres ostages qu'il avoit, portans par escrit, comme luy ayant esté gouverneur de la cité, pour le duc de Bourgogne, les avoit amiablement traittez, et que pour rien ne voudroit consentir à leur perdition: car il n'y avoit guères encore qu'il avoit esté de l'un de leurs mestiers (1), estoient des maréchaux et des fèvres (2) et en avoit porté robbe de livrée par quoy mieux pouvoient adjoûter foy à ce qu'il leur disoit. En somme, s'ils vouloient parvenir au bien de paix, et sauver leur pays après avoir baillé l'ouverture de la ville, comme ils avoient promis, des choses contenues en certain mémoire. Et instruisit bien ces quatre hommes, qui allèrent à la porte comme avoient fait les autres, et la trouvèrent ouverte. Les uns les recueilloient avec grosses paroles et menasses; les autres furent contens d'ouyr leur charge, et retournèrent arrière au palais, et tout incontinent ouymes sonner la cloche dudit palais : dont nous eusmes très-grand'joye, et s'esteignit le bruit que nous avions ouy à la porte et en effet furent long-temps en ce palais, et jusques à bien deux heures après minuict, et là conclurent qu'ils tiendroient l'appointement qu'ils avoient fait et que le matin bailleroient une des portes audit seigneur d'Hymbercourt : et tout incontinent s'enfuit de la ville ledit messire Rasse de Lintre, et toute sa sequelle.

Je n'eusse pas si long-temps parlé de ce propos (veu que la matière n'est guères grande) si ce n'eust esté pour monstrer qu'aucunesfois avec tels expédiens et habiletez, qui procèdent de grand sens, on évite de grands périls et de

[blocks in formation]

grands dommages et pertes. Le lendemain, au poinct du jour, vinrent plusieurs des ostages dire audit seigneur d'Hymbercourt, qu'ils luy prioient qu'il voulût venir au palais, où tout le peuple estoit assemblé : et que là il voulût jurer les deux poincts, dont le peuple estoit en doute, qui estoit le feu et le pillage: et qu'après lui bailleroient un portail. Il le manda au duc de Bourgogne, et alla vers eux et le serment fait, retourna à la porte, d'où ils firent descendre ceux qui estoient dessus, et y mit douze hommes-d'armes et des archers, et une bannière du duc de Bourgogne, sur ladite porte. Et puis alla à une autre porte qui estoit murée, et la bailla entre les mains du bastard du duc de Bourgogne, qui estoit logé en ces quartiers-là: et une autre an mareschal de Bourgogne et une autre à des gentils-hommes qui estoient encore avec luy. Ainsi ce furent quatre porteaux bien garnis des gens du duc de Bourgogne et ses bannières dessus.

au

Or faut-il entendre qu'en ce tems-là Liége estoit une des plus puissantes cités de la contrée (après quatre ou cinq) et des plus peuplées, et y avoit grand peuple retiré du pays d'environ: par quoy n'y apparoissoit en rien de la perte de

la bataille. Ils n'avoient aucune nécessité de nuls

biens, et si estoit en fin cœur d'hyver et les pluyes plus grandes qu'il est possible de dire, et le pays de soy tant fangeux et mol qu'à merveilles, et si estions en grand'nécessité de vivres et d'argent, et l'armée comme toute rompue et si n'avoit ledit seigneur duc de Bourgogne nulle envie de les assiéger, et aussi n'eust-il sceu : et quand ils eussent attendu deux jours à eux rendre, par cette voye il s'en fust retourné. Et pour ce, je veux conclure que c'est grand'gloire et honneur audit Hymbercourt, qu'il receut en ce voyage: et lui procéda de la grâce de Dieu seulement, contre toute raison humaine : et ne luy eust osé demander le bien qui luy advint. Et au jugement des hommes, receut tous ces honneurs et biens, pour la grâce et bonté dont il avoit usé envers les ostages, dont vous avez ouy parler cy-dessus. Et le dis volontiers, pour ce que les princes et autres se plaignent aucunesfois comme par déconfort, quand ils ont fait bien ou plaisir à quelqu'un, disans que cela leur procède de malheur, et que pour le temps à venir ne seront si légers, ou à pardonner, ou à faire quelque libéralité, ou autre chose de grâce: qui toutes sont choses appartenantes à leurs offices.

A mon avis c'est mal parlé, et procède de lasche cœur à ceux qui ainsi le font et dient. Car un prince ou un autre homme qui ne fut jamais trompé, ne sçauroit estre qu'une beste,

« AnteriorContinuar »