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l'heure qu'il se rendroit aux champs, auprès | seigneur de Contay, le seigneur de Haultbourdudit ost, estant près Conflans: et saillit à din, et plusieurs autres, donnant grande charge l'heure dite, avec par aventure cent chevaux, audit seigneur de Charolois de cette folie, et aux dont la pluspart estoit des Escossois de sa garde, autres qui estoient de sa compagnie; et alléd'autres gens peu. Ledit comte de Charolois ne guoient l'inconvénient advenu à son grand père, mena guères de gens, et il alla sans nulle céré- à Montereau-Faut-Yonne, présent le roy Charles monie toutes-fois il en survint beaucoup, et sixiesme. Incontinent firent retirer dedans l'ost tant qu'il y en avoit beaucoup plus qu'il n'en ce qui estoit dehors pourmenant aux champs : estoit sailly avec le Roy. Il les fit demeurer un et usa le mareschal de Bourgogne (appellé Neufpetit loin, et se pourmenèrent eux deux une Chastel par son surnom) de cette parole: « Si espace de temps, et luy dit le Roy comme la » ce jeune prince, fol et enragé, s'est allé perpaix estoit faite, et luy conta ce cas, qui estoit dre, ne perdons pas sa maison, ni le faict de advenu à Rouen, dont ledit comte ne sçavoit » son père, ny le nostre : et pour ce, que chaencores rien, disant le Roy que de son consen- >> cun se retire en son logis et se tienne prest, tement n'eust jamais baillé tel partage à son >> sans soy esbahir de fortune qui advienne : car frère mais puisque d'eux-mesmes les Nor- » nous sommes suffisans, nous tenans ensemble, mands en avoient cette nouvelleté, il en estoit » de nous retirer jusques ès marches de Hécontent, et passeroit le traité en toutes telles >> nault, ou de Picardie, ou en Bourgogne. »> formes comme avoit esté advisé par plusieurs journées précédentes: et peu d'autres choses y avoit à accorder. Ledit seigneur de Charolois en fut fort joyeux: car son ost estoient en très-grande nécessité de vivres, et principalement d'argent : et quand cecy ne fust advenu, tout autant qu'il y avoit là de seigneurs s'en fussent tous allez honteusement. Toutes-fois audit comte arriva ce jour, ou bien peu de jours après, un renfort que son père le duc Philippe de Bourgogne luy envoyoit, qu'amenoit monseigneur de Saveuses où il y avoit six vingt hommes-d'armes et bien quinze cens archers, et six vingt mille escus comptans sur dix sommiers, et grand'quantité d'arcs et de traits et cecy pourveut assez bien l'ost des Bourguignons, estant en deffiance que le demeurant ne s'accordast sans eux.

Ces paroles d'appointement plaisoient tant au Roy et audit comte de Charolois, que je luy ay ouy conter depuis, qui si affectueusement parloient d'achever le demeurant, qu'ils ne regardoient point où ils alloient: et tirèrent droit devers Paris, et tant allèrent qu'ils entrèrent dedans un grand boulevart de terre et de bois, que le Roy avoit fait faire assez loin hors de la ville, au bout d'une tranchée, et entroit l'on dedans la ville par icelle. Avec ledit comte estoient quatre ou cinq personnes seulement : et quand ils furent dedans, ils se trouvèrent trèsesbahis toutes-fois ledit comte tenoit la meilleure contenance qu'il pouvoit. (Il est à croire que nul de ces deux seigneurs ne furent errans de foy depuis ce temps là, veu qu'à l'un ni à l'autre ne prit mal.) Comme les nouvelles vinrent à l'ost que ledit seigneur de Charolois estoit entré dans ledit boulevart, il y eut très grand murmure et se mirent ensemble le comte de Sainct-Paul, le mareschal de Bourgogne, le

Après ces paroles monta à cheval avec le comte de Saint-Paul, se pourmenant hors de l'ost, et regardant s'il venoit rien devers Paris. Après y avoir esté un espace de temps, virent venir quarante ou cinquante chevaux, et y estoit le comte de Charolois, et autres gens du Roy, qui le ramenoient, tant archers qu'autres. Et comme il les vit approcher, il fit retourner ceux qui l'accompagnoient, et adressa la parole audit mareschal de Neuf-Chastel, qu'il craignoit : car il usoit de très-aspres paroles, et estoit bon et loyal chevalier pour son party, et luy osoit bien dire « Je ne suis à vous que par emprunt, tant » que vostre père vivra. » Les paroles dudit comte furent telles : « Ne me tensez point; car

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je connoy bien ma grande folie: mais je m'en >> suis apperceu si tard, que j'estoye près du >> boulevart. » Puis luy dit le mareschal qu'il avoit fait cela en son absence. Ledit seigneur baissa la teste, sans rien dire ni respondre, et s'en revint dedans son ost, où tous estoient joyeux de le revoir: et louoit chacun la foy du Roy: toutes-fois ne retourna oncques ledit comte en sa puissance.

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CHAPITRE XIV.

Du traité de paix conclu à Conflans entre le
Roy et le comte de Charolois et ses alliez.

Finalement toutes choses furent accordées (1): et le lendemain fit le comte de Charolois une

(1) Il y eut deux traités : l'un signé à Conflans, le 27 octobre 1465; le deuxième à Saint-Maur, le 29 du même mois.

grande monstre, pour sçavoir quelles gens il avoit, et ce qu'il pouvoit avoir perdu et sans dire gare, y revint le Roy, avec trente ou quarante chevaux, et alla voir toutes les compagnies l'une après l'autre, sauf celle de ce mareschal de Bourgogne, lequel ne l'aymoit pas, à cause que dès pièça en Lorraine ledit seigneur luy avoit donné Espinal, et depuis osté, pour la donner au duc Jehan de Calabre, dont grand | dommage en avoit eu ledit mareschal. Peu à peu réconcilioit le Roy avec luy les bons et notables chevaliers, qui avoient servy le Roy son père, lesquels il avoit désapointez à son advénement à la couronne, et qui pour cette cause s'estoient trouvez en cette assemblée et connoissoit ledit seigneur son erreur. Il fut dit que le lendemain le Roy se trouveroit au chasteau de Vincennes, et tous les seigneurs qui avoient à luy faire hommage; et pour seureté de tous, bailleroit le Roy ledit chasteau de Vincennes au comte de Charolois.

Le lendemain s'y trouva le Roy et tous les princes, sans en faillir un: et estoit le portail et la porte bien garnis des gens dudit comte de Charolois en armes. Là fut le lieu où se fit le traité de paix. Monseigneur Charles fit hommage au Roy de la duché de Normandie et le comte de Charolois des terres de Picardie, dont il a esté parlé; et autres qui en avoient à faire. Et le comte de Sainct-Paul fit le serment de son office de connestable. Il n'y eut jamais de si bonnes nopces qu'il n'y en eust de mal disnez. Les uns firent ce qu'ils voulurent, et les autres n'eurent rien. Des moyens et bons personnages en tira le Roy: toutes-fois la plus grand'part demeurèrent avec le duc de Normandie, et le duc de Bretagne, et qui allèrent à Rouen prendre leur possession. Au partir du chasteau du Boisde-Vincennes, prirent tous congé l'un de l'autre, et se retira chacun à son logis; et furent faites toutes lettres, pardons et toutes autres choses nécessaires, servans au faict de la paix. Tout en un jour partirent le duc de Normandie et le duc de Bretagne pour eux retirer, premièrement audit pays de Normandie, et le duc de Bretagne, puis après en son pays; et le comte de Charolois pour se retirer en Flandres; et comme ledit comte fut en train, le Roy vint à luy, le conduisit jusques à Villiers-le-Bel, qui est un village à quatres lieues près de Paris, montrant par effet avoir un grand desir de l'amitié dudit comte: et tous deux y logerent ce soir. Le Roy avoit peu de gens, mais il avoit fait venir deux cens hommes-d'armes pour le reconduire: dont fut adverty le comte de Charolois en se couchant, qui en entra en une très-grande

suspicion, et fit armer largement de gens. Ainsi pouvez voir qu'il est presque impossible que deux grands seigneurs se puissent accorder, pour les rapports et suspicion qu'ils ont à chacune heure et deux grands princes qui se voudroient entr'aymer, ne se devroient jamais voir, mais envoyer bonnes gens et sages les uns vers les autres, et ceux-là les entretiendroient en amitié ou amenderoient les fautes.

Le lendemain au matin, les deux seigneurs dessusdits prirent congé l'un de l'autre avec quelques sages et bonnes paroles: et retourna le Roy à Paris, en la compagnie de ceux qui l'estoient allé quérir: et cela osta la suspicion qu'on pouvoit avoir eue de luy et de leur venue. Etledit comte de Charolois prit le chemin de Compiègne et de Noyon, et par tout luy fut ouvert par le commandement du Roy. De là il tira vers Amiens, où il receut leur hommage, et de ceux de la rivière de Somme, et des terres de Picardie, qui luy estoient restituées par cette paix: desquelles le Roy avoit payé quatre cens mille escus d'or, ny avoit pas neuf mois, comme j'ay dit ailleurs cy-dessus. Et incontinent passa outre, et tira au païs de Liége; pour ce qu'ils avoient desjà fait la guerre par l'espace de cinq ou six mois à son père (luy estant dehors) ès pays de Namur et de Brabant : et avoient desjà lesdits Liégois fait une destrousse entr'eux. Toutes-fois à cause de l'hyver il ne peut pas faire grand'chose. Nonobstant y eut grand'quantité de villages bruslez, et de petites destrousses furent faites sur les Liégeois: et firent une paix, et s'obligèrent lesdits Liégeois de la tenir, sur peine d'une grande somme de deniers : et s'en retourna ledit comte en Brabant.

CHAPITRE XV.

Comment, par la division des ducs de Bretagne et de Normandie, le Roy reprit entre ses mains ce qu'il avoit baillé à son frère.

En retournant aux ducs de Normandie et de Bretagne, qui estoient allés prendre possession de la duché de Normandie, dès que leur entrée fut faite à Rouen, ils commencèrent à se diviser quand ce fut à départir le butin; car encores estoient avec eux ces chevaliers que j'ay devant nommez, lesquels avoient accoustumez d'avoir de grands honneurs et de grands Estats du roy Charles, et leur sembloit bien qu'ils estoient à la fin de leur entreprise et qu'au Roy ne se pouvoient fier; et voulut chacun en avoir du meilleur endroit,

D'autre part le duc de Bretagne en vouloit disposer en partie: car c'estoit lui qui avoit porté la plus grande mise et les plus grands frais en toutes choses. Tellement se porta leur discord, qu'il fallut que le duc de Bretagne, pour crainte de sa personne, se retirast au Mont de Sainte-Katerine, près Rouen; et fut leur question jusques-là; que les gens dudit duc de Normandie, avec ceux de la ville de Rouen, furent prests à aller assaillir ledit duc de Bretagne jusques au lieu dessusdit: par quoi fut contraint de se retirer le droit chemin vers Bretagne. Et sur cette division marcha le Roy près Roy près du pays: et pouvez penser qu'il entendoit bien, et qu'il aidoit à le conduire, car il estoit maistre en cette science. Une partie de ceux qui tenoient les bonnes places, commencèrent à les luy bailler, et en faire leur bon appointement avec luy. Je ne sçay de ces choses que ce qu'il m'en a dit et conté, car je n'estoys pas sur les lieux. Il prit un parlement avec le duc de Bretagne, qui tenoit une partie des places de la basse Normandie, espérant de luy faire abandonner son frère de tous poincts. Ils furent quelque peu de jours ensemble à Caën, et firent un traitté (1), par lequel ladite ville de Caën et autres, demeurèrent ès mains de monseigneur de Lescut, avec quelque nombre de gens payez: mais ce traitté estoit si troublé, que je croy que l'un ne l'autre ne l'entendit jamais bien. Ainsi s'en alla le duc de Bretagne en son pays; et le Roy s'en retourna tirant le chemin vers son frère.

Voyant ledit duc de Normandie qu'il ne pouvoit résister, et que le Roy avoit pris le Pont-deLarche, et autres places sur luy, se délibéra prendre la fuite et de tirer en Flandres. Le comte de Charolois estoit encores à Sainct-Tron, petite ville au pays de Liége: lequel estoit assez empesché, et fut son armée toute rompue et deffaite, et en temps d'hyver, empeschée contre les Liégeois: et lui douloit bien de voir cette division: car la chose du monde qu'il désiroit le plus, c'estoit de voir un duc en Normandie; car par ce moyen il luy sembloit le Roy estre affoibli de la tierce partie. Il faisoit amasser gens sur la Picardie, pour mettre dedans Dieppe: mais avant qu'ils fussent prests, celuy qui tenoit ladite ville de Dieppe en fit son appointement avec le Roy. Ainsi retourna au Roy toute ladite duché de Normandie, sauf les places qui demeurèrent à monseigneur de Lescut, par l'appointement fait à Caën.

(1) Signé le 23 décembre 1465. Voyez D. Lobineau, Histoire de Bretagne, tome II, col. 1283.

CHAPITRE XVI.

Comment le nouveau duc de Normandie se retira en Bretagne, fort pauvre et désolé de ce qu'il estoit frustré de son intention.

Ledit duc de Normandie (comme j'ay dit) s'estoit délibéré un coup de fuir en Flandres, mais sur l'heure se réconcilièrent le duc de Bretagne et luy, connoissans tous deux leurs erreurs, et que par division se perdent les bonnes choses du monde : et si est presque impossible que beaucoup de grands seigneurs ensemble et de mesme estat, se puissent longuement entretenir, sinon qu'il y ait chef par dessus tous, et si seroit besoin que celuy-là fust sage et bien estimé pour avoir l'obéissance de tous. J'ay veu beaucoup d'exemples de cette matière à l'œil, et ne parle pas par ouyr dire : et sommes bien sujets à nous diviser ainsi à nostre dommage, sans avoir grand regard à la conséquence qui en advient: et presque ainsi en ay veu advenir par tout le monde, ou l'ay ouy dire (2). Et me semble qu'un sage prince, qui aura pouvoir de dix mille hommes et façon de les entretenir, est plus à craindre et estimer que ne seroient dix, qui en auroient chacun six mille tous alliez et confédérez ensemble pour autant que des choses qui sont à démesler et accorder entre eux, la moitié du temps se perd ayant qu'il y ait rien de conclu, ny accordé.

Ainsi se retira le duc de Normandie en Bretagne, pauvre et deffait, et abandonné de tous ses chevaliers qui avoient esté au roy Charles son père, et avoient fait leur appointement avec le Roy, et mieux appointez de luy que jamais n'avoient esté du Roy son père. Ces deux ducs dessusdits estoient sages après le coup (comme l'on dit des Bretons) et se tenoient en Bretagne, et ledit seigneur de Lescut, principal de tous leurs serviteurs. Et y avoit maintes ambassades allans et venans au Roy de par eux, et de par luy à eux deux, et de par eux au comte de Charolois, et de luy à eux du Roy audit duc de Bourgogne, et de luy au Roy: les uns pour sçavoir des nouvelles, les autres pour. soustraire gens, et pour toutes mauvaises marchandises, sous ombre de bonne foy.

Aucuns y allèrent par bonne intention, pour cuider pacifier les choses: mais c'estoit grand' folie à ceux qui s'estimoient si bons et si sages, que de penser que leur présence pût pacifier si

(2) Ou l'ay ouy dire: ces quatre mots sont rayés dans le vieil exemplaire.

grands princes, et si substils comme estoient ceux-cy, et tant entendus à leurs fins et veu spécialement que de l'un des costez, ny de l'autre, ne s'offroit nulle raison. Mais il y a de bonnes gens, qui ont cette gloire, qu'il leur semble qu'ils conduiroient des choses là où ils n'entendent rien : car quelquefois leurs maistres ne leur descouvrent point leurs plus secrettes pensées. La compagnie de tels que je dis, est que le plus souvent ne vont que pour parer la feste, et souvent à leurs despens: et va tousjours quelque humblet, qui a quelque marché à part. Ainsi au moins l'ay-je veu par toutes ces saisons dont je parle, et de tous les costez. Et aussi bien, comme j'ay dit, les princes doivent estre sages à regarder à quelles gens ils baillent leurs besongnes entre mains; aussi devroient bien penser ceux qui vont dehors pour eux, s'entremettre de telles matières, et qui s'en pourroient excuser, et ne s'en empescher point, sinon qu'on vit qu'eux-mesmes y entendissent bien, et eussent affection à la matière, ce seroit estre bien sage. Et j'ay connu beaucoup de gens de bien s'y trouver bien empeschez et troublez. Jay veu princes de deux natures: les uns si subtils et si très-suspicionneux, que l'on ne sçavoit comment vivre avec eux, et leur sembloit tousjours qu'on les trompoit : les autres se fioient en leurs serviteurs assez ; mais ils estoient si lourds et si peu entendans à leurs besongnes, qu'ils ne savoient connoistre qui leur faisoit bien ou mal. Et ceux-là sont incontinent muez d'amour en haine, et de haine en amour. Et combien que de toutes les deux sortes s'en trouve bien peu de bons, ny là où il y ait grande fermeté, ny grande seureté, toutes-fois j'aimerois tousjours mieux vivre sous les sages que sous les fols pour ce qu'il y a plus de façon et manière de s'en pouvoir eschapper et d'acqué rir leur grâce: car avec les ignorans ne sçait-on trouver nul expédient, pour ce qu'avec eux ne fait-l'on rien mais avec leurs serviteurs faut avoir affaire desquels plusieurs leur eschappent souvent. Toutes-fois il faut que chacun les serve et obeysse, aux contrées là où ils se trouvent: car on y est tenu et aussi contraint. Mais tout bien regardé, nostre seule espérance doit estre en Dieu car en celuy-là gist toute nostre fermeté et toute bonté, qui en nulle chose de ce monde ne se pourroit trouver mais chacun de nous la connoist tard, et après ce que nous en avons eu besoin: toutes-fois vaut encore mieux tard que jamais.

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LIVRE SECOND.

CHAPITRE PREMIER.

S'ensuit le commencement des guerres qui furent entre le duc de Bourgogne et les Liégeois, et comme la ville de Dinand fut prise, pillée et rasée.

Depuis le temps que dessus, se passèrent aucunes années, durant lesquelles le duc de Bourgogne avoit chacun an guerre avec les Liégeois : et quand le Roy le voyoit empesché, il essayoit à faire quelque nouvelleté contre les Bretons, en faisant quelque peu de confort aux Liégeois : et aussi tost le duc de Bourgogne se tournoit contre luy pour secourir ses alliez ou eux-mesmes faisoient quelque traitté ou quelque trève. En l'an 1466 fut pris Dinand, assise au pays de Liége, ville très-forte de sa grandeur, et trèsriche, à cause d'une marchandise, qu'ils faisoient de ces ouvrages de cuivre, qu'on appelle dinanderie qui sont en effet pots et poisles, et choses semblables. Le duc de Bourgogne, Philippe (lequel trespassa au mois de juin l'an 1467) s'y fit mener en sa grande vieillesse en une litière: tant avoit de haine contre eux, pour les grandes cruautez dont ils usoient contre ses sujets, en la comté de Namur, et par espécial contre ceux de Bouvines, petite ville assise à un quart de lieuë près dudit lieu de Dinand: et n'y avoit que la rivière de Meuse entre deux : et n'y avoit guères que lesdits de Dinand y avoient tenu le siége, la rivière entre deux, l'espace de huit mois entiers, et fait plusieurs cruautez ès environs et tiroient de deux bombardes, et autres pièces de grosse artillerie continuellement durant ce temps, au travers des maisons de ladite ville de Bouvines: et contraignoient les pauvres gens d'eux cacher en leurs caves, y demeurer. Il n'est croyable la haine qu'avoient ces deux villes l'une contre l'autre : et si ne faisoient guères de mariages de leurs enfans, sinon les uns avec les autres: car ils estoient loin de toutes autres bonnes villes.

et

L'an précédent de la destruction dudit Dinand (qui fut la saison que le comte de Charolois estoit venu devant Paris, où avoit esté avec les autres seigneurs de France, comme avez ouy), ils avoient fait un appointement et paix avec ledit seigneur, et luy donnèrent certaine somme d'argent : et s'estoient séparez de la cité de Liége, et fait leur fait à part: qui est le

vray signe de la destruction d'un pays, quand ceux qui se doivent tenir ensemble, se séparent et s'abandonnent. Je le dis aussi bien pour les princes et seigneurs alliez ensemble, comme pour les villes et communautez. Mais pour ce qu'il me semble que chacun peut avoir veu et lù de ces exemples, je m'en tay, disant seulement que le roy Louis nostre maistre, a mieux seeu entendre cet art de séparer les gens, que nul autre prince que j'aye jamais veu ny connu : et n'espargnoit l'argent, ny ses biens, ny sa peine: non point seulement envers les maistres, mais aussi bien envers les serviteurs. Ainsi ceux de Dinand se commencèrent tost à repentir de cet appointement dessusdit: et firent cruellement mourir quatre de leurs principaux bourgeois qui avoient fait ledit traité et recommencèrent la guerre en cette comté de Namur, tant que pour ces raisons, que pour la sollicitation que faisoient ceux de Bouvines, le siége y fut mis par le duc Philippe : mais la conduite de l'armée estoit à son fils et y vint le comte de Saint-Paul, connestable de France, à leur secours partant de sa maison, et non pas par l'auctorité du Roy, ny avec ses gens-d'armes: mais amena de ceux qu'il avoit amassez és marches de Picardie. Orgueilleusement firent une saillie ceux de dedans, à leur grand dommage. Le huictiesme jour d'après furent pris d'assaut, après avoir esté bien batus : et n'eurent leurs amis loisir de penser s'ils les aideroient. Ladite ville fut bruslée et rasée et les prisonniers, jusques à huit cens, noyez devant Bouvines, à la grande requeste de ceux dudit Bouvines. Je ne sçay si Dieu l'avoit ainsi permis, pour leur grande mauvaistié: mais la vengeance fut cruelle sur eux.

Le lendemain que la ville fut prise, arrivèrent les Liégeois en grand'compagnie, pour les secourir, contre leur promesse : car ils s'estoient séparez d'eux par appointement, comme ceux de Dinand s'estoient séparez de la cité de Liége. Le duc Philippe se retira pour son ancien aage, et son fils et toute son armée se tirèrent au devant des Liégeois: nous les rencontrasmes plustost que ne pensions: car par cas d'aventure, nostre avant-garde s'égara, par faute de ses guides et les rencontrasmes avec la bataille, où estoient les principaux chefs de l'armée. Il estoit jà sur le tard: toutes-fois on s'apprestoit de les assaillir. Sur cela vindrent gens députez de par eux au comte de Charolois : qui requirent qu'en l'honneur de la Vierge Marie (dont il estoit la veille) il voulsist avoir pitié de ce peuple, en excusant leurs fautes au mieux qu'ils purent. Lesdits Liégeois tenoient contenance de

gens qui désiroient la bataille, et toute opposite de la parolle de leurs ambassadeurs. Toutesfois après qu'ils furent allez deux ou trois fois, fut accordé par eux entretenir la paix de l'an précédent, et bailler certaine somme d'argent: et pour seureté de tenir cecy mieux que ce qui estoit passé, ils promirent bailler trois cens ostages, nommez en un rolle par l'évesque de Liége, et par autres ses serviteurs estans en l'armée, et les bailler dedans le lendemain huict heures. Cette nuit estoit l'ost des Bourguignons en grand trouble et doute: car ils n'estoient en rien clos ny fort, et estoient séparez et en lieu propice pour les Liégeois qui tous estoient gens-de-pied, et connoissans le pays mieux que nous. Aucuns d'eux eurent envie de nous assaillir et mon advis est qu'ils en eussent eu du meilleur. Ceux qui avoient traité l'accord, rompirent cette entreprise.

Dès que le jour apparut, tout nostre ost s'assembla, et les batailles furent bien ordonnées, et le grand nombre, comme de trois mille hommes-d'armes, que bons que mauvais, et douze ou quatorze mille archers, et d'autres gens-de-pied, beaucoup du pays voisin. On tira droit à eux, pour recevoir les ostages, ou pour les combattre, s'il y avoit faute. Nous les trouvasmes jà séparez, et se départoient par bandes et en désordre, comme peuple mal conduit: il estoit jà près d'heure de midy et n'avoient point baillé les ostages. Le comte de Charolois demanda au mareschal de Bourgogne, qui estoit là, s'il leur devoit courre sus ou non. Ledit mareschal respondit que ouy: et qu'il les pouvoit deffaire sans péril, à quoy ne devoit dissimuler, veu que la faute venoit d'eux. Après on en demanda au seigneur de Contay (que plusieurs fois ay nommé) qui fut de cette opinion, disant que jamais n'auroit si beau party : et les luy monstra jà séparez par bandes, comme ils s'en alloient, et loua fort de ne tarder plus. Après on en demanda au connestable, comte de Sainct-Paul, qui fut d'opinion contraire: disant qu'il feroit contre son honneur et promesse d'ainsi le faire: disant que tant de gens ne peuvent estre si tost accordez en telle matière, comme de bailler ostages, et en si grand nombre, et loüoit de renvoyer devers eux sçavoir leur intention. L'argu de ces trois nommez, avec ledit comte, fut grand et long sur ce différend. De l'un costé il voyoit ses grands et anciens ennemis deffaits, et les voyoit sans nulle résistance. D'autre costé, on l'argueroit de sa promesse la fin fut qu'on envoya un trompette vers eux lequel rencontra les ostages qu'on luy amenoit. Ainsi passa la chose, et s'en retourna

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