Imágenes de página
PDF
ePub

poison aussi dangereux ? Vous faites tout pour achever de flétrir & de corrompre ses mœurs, & vous les calomniez enfuite lorsqu'elles sont devenues votre ouvrage. Ah! pourquoi jouir de chef-d'œuvres heureux, indépendamment de vos semblables ? Ce n'étoit point là l'intention du poëte; il a écrit pour ses concitoyens, il les appelloit tous au triomphe de l'humanité; & vous en éloignez le pauvre avec dureté! Le pauvre a cependant plus besoin qu'un autre de pleurer & de s'attendrir (a); quelques diversions à ses maux ne vous feroient pas onéreuses; il apprendroit peut-être à souffrir avec plus de patience en voyant la nation assemblée ne point fermer son oreille aux accens de l'infortuné. Que fignifie donc cette falle de spectacle vuide,

(A) Il seroit d'un bon gouvernement de veiller aux plaifirs du petit peuple: il a tant de fardeaux à supporter, qu'il faut être barbare pour lui refuser des fêtes & des amusemens; il aime naturellement le spectacle : il est même de l'intérêt de l'Etat qu'il soit content, parce que la joie est le meilleur soutien du travail. On empoifonne fon ame de ces sales turpitudes, dont le peuple fent Jui-même la grossiéreté; & la police protege un pareil scandale, qui suffiroit seul à avilir une nation! Quel sera l'auteur qui fongera à ce bon peuple, qui lui donnera une nourriture saine & agréable, qui sçaura le réjouir fans le corrompre, qui lui fera aimer son sort fans flatter l'autorité, qui présidera à ses plaisirs honnêtes & lui apprendra à les goûter? Cet auteur fera plus grand à mes yeux que Corneille, Racine, Crebillon & Voltaire.

cet amphithéâtre solitaire? La voix des acteurs le plus souvent ne frappe que les murailles; tout l'intérêt, toute la vie du drame est étouffée. Agrandissez cette salle mesquine, doublez (a) les gradins, ouvrez les portiques;

(a) Au lieu de donner au théâtre françois une salle digne de fon importance, on a bâti sous le nom impropre de Colisée une espece de temple au luxe & à l'oisiveté. C'estlà qu'ils se promenent en triomphe, qu'ils étalent leur faste scandaleux, qu'ils invitent le reste des citoyens à suivre le déplorable exemple qu'ils donnent. Des gens riches & désœuvrés, des intriguans, des fainéans, des frippons, viennent, l'imagination dépravée, y méditer tous ces petits crimes qu'enfantent l'agiotage, l'escroquerie & cette industrie artificieuse & commune de duper en riant les honnêtes gens & les sots. L'artisan est arraché à ses occupations sérieuses, & tombe dans une inaction qui émousse à la fois son génie & fon courage; il ne fuit plus rien, & fon travail est coupé par ces distractions journalieres qui tuent le talent & lui défendent tout effor. Le désœuvrement & la langueur s'emparent de tous ceux qui veulent fortir tous les jours pour n'être point confondus avec le petit peuple. Autrefois le grand peintre, le statuaire, l'architecte, l'homme de lettres, se levoient de grand matin, remplissoient leur tâche toute la journée, & ne se promenoient qu'après le foleil couché. De-là ces grandes compositions fertiles, étonnantes, qui font frémir notre paresse. Aujourd'hui il faut aller dîner en vilie, & le reste du jour est entiérement perdu: c'eft presque un ridicule que de fe livrer à un travail exact & suivi. On fait un crime à un auteur de fa fécondité, parce qu'elle accuse trop hautement la molle inaction de quelques pares

1

que la multitude entre en foule, & remplisse> ces loges: le concours immense du peuple enflammera l'acteur languissant, prêtera au drame une nouvelle chaleur: animé par le grand nombre, l'acteur sera plus disposé à concevoir & à nourrir ce feu qui naît de l'émotion gé nérale. Alors point de passions représentées qui soient indifférentes à l'assemblée: elle versera des larmes, & les larmes répandues unanimement feront plus douces: aucun ne pourra se dérober aux traits de cette sympathie si supé. rieure aux vues retrécies de l'amour-propre & de l'intérêt (a) personnel. Ainsi que les hommes

seux qui croient acheter la gloire à bon marché. Une manie ambulante promene ces êtres végétans, qui n'ont de feu & d'activité que pour le vice : heureux encore quand ils ne font que livrés à une futilité puérile. Cependant l'ennui plane dans ces salons dorés, où l'archet monotone des plus mauvais violons invite le baillement; une stupide agitation qui s'éloigne de la gaîté, est la preuve que tous ces personnages qui se croisent, se regardent tristement & ne sentent rien. Le quarr de cette énorme & inutile dépense aurois suffi à dresser un spectacle, où l'on auroit pu affeoir le peuple & dire quelque chose à fon ame: mais c'est ce qu'on ne vouloit pas.

(a) Solon avoit raison de punir ceux qui ne prenoient aucun intérêt dans les guerres civiles. L'homme qui peut refter indifférent au milieu de fi grands intérêts, est plus ennemi de la patrie que celui qui s'arme contre elle. De même l'homme dont l'œil demeure sec quand toute l'assemblée fond en larmes, est fort au dessus alors, ou fort au dessous de l'humanité.

1

s'unissent dans les factions, embrassent la même cause avec rapidité, se dévouent pour forcer les barrieres qui gardent la tyrannie; ainsi les cœurs s'élanceront vers les mêmes idées, les adopteront, s'en rempliront & chériront les coups nobles & hardis qui iront frapper directement sur le timbre de l'utilité publique (a). Je ne veux point inférer que le spectacle doive servir à faire oublier aux peuples leurs calamités. Loin de moi ces barbares pensées. Le peuple qui crioit: du pain & des spectacles! étoit un peuple déjà avili & qui préparoit ses longues & dernieres infortunes (b). Je veux que le théâtre soit pour lui un objet d'instruction, un honnête délassement, un plaisir utile, & non une distraction, ou un moyen politique pour l'étourdir & pour l'amuser, loin de toute réflexion sérieuse & patriotique (c).

(a) Il est probable que l'homme ne découvrira jamais la premiere cause de la nature, les principes des êtres, le sens de ce que l'on nomme esprit, ame; mais il peut faire 'des progrès immenfes dans le champ de la morale, dans celui de la politique, dans l'art de rendre la société plus fertile en avantages réciproques. Il semble que Dieu ait interdit à l'homme certaine connoiffance pour qu'il mette mieux à profit celles qui sont à sa portée.

(b) Madame de Maintenon disoit en mil sept cent dix, au moment où le trône & l'Etat étoient ébranlés: Tout est paisible à Paris, parce qu'on y a la comédie & du pain.

(c) Auguste, ce tyran fubtil, étoit trop adroit pour négliger les moyens les plus furs d'amollir les Romains ;

C'est pour confirmer ces idées, que je vais traiter de celles qui doivent appartenir au роёte; le lecteur verra dans quel esprit cette dis. fertation a été composée, & fuppléera à ce que je ne puis exprimer.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

BARON

:

, pour ex

celler dans son art, devoit étre bercé sur les genoux des reines (a). Le poëte ne doit point être bercé sur les genoux des reines, parce qu'il ne s'agit point de former son extérieur, & que sa dignité ne réside point dans la représen. tation; mais il doit respirer dès l'enfance dans les bras de la fimplicité des mœurs & de la vertu: il doit se nourrir des pensées les plus faines, qui ont appartenu aux écrivains antiques

il encouragea ces fameux pantomimes, tels que Pilade & Bathille, qui formoient des factions théâtrales; il devoit fourire de voir tout un peuple oublier les Brutus, les Camille, les Pompée, les Caton, & se passionner en faveur de tel ou tel Mime: mais il n'est pas le seul souverain qui ait dû fourire.

(a) Il y a eu de grands comédiens bercés de cette maniere, mais ce n'est pas de ceux-ci dont il s'agit

« AnteriorContinuar »