Imágenes de página
PDF
ePub

conjecturer projecta à la place de profecti a, ce qui lui a attiré les sarcasmes de M. Schneider; mais M. Schneider s'est noyé à son tour en voulant expliquer profecti (1).

Quelle objection M. de Saulcy fait-il à mon opinion sur le marais? C'est qu'en le mettant à Juvisy, « je prête à Labienus la plus lourde des fautes : celle d'une marche en flanc dans un terrain effondré entre les coteaux qu'il doit supposer garnis de Gaulois et la Seine dans laquelle rien n'est plus facile que de culbuter l'armée envahissante. » Je cherche vainement à quoi cela peut répondre. Ce n'est assurément ni à la configuration des lieux, ni aux explications que j'ai données. Les marais de Juvisy, tels que je les ai restitués d'après les anciennes cartes, sur une planche qui accompagne mon travail, s'étendent à une demi-lieue en avant des coteaux ; de plus, ils se prolongent jusque sur les bords de la Seine. Non-seulement une marche de flanc ne peut pas être supposée dans cette région-là, mais j'ai tracé moi-même la direction des Romains s'attaquant de front au marais, sous les yeux des Gaulois qui garnissaient la côte de Juvisy. Je n'encours donc pas le reproche que m'adresse M. de Saulcy, tandis que lui s'est exposé à celui d'avoir voulu me battre à toute force par des raisons militaires, dans une circonstance où il ne s'agissait que de juger si une conjecture qui dispense de corrompre le texte, ne vaut pas mieux que toutes les autres. Il a joint à cela le tort d'avoir traduit perpetua palus par « un marais constamment noyé. » Jamais, dans la bonne latinité, perpetuus, appliqué à un objet matériel, n'a eu le sens de « perpétuel. » Perpetua palus est un marais qui se prolonge indéfiniment, et non pas un marais qui ne se dessèche pas; de même que perpetui montes nous représente une chaîne de montagnes, et non pas des montagnes qui défient le temps; de même que perpetui tergum bovis est l'aloyau d'un bœuf dans toute sa longueur, et non pas l'aloyau du bœuf Apis.

Au sujet des positions prises par Camulogène et par Labienus, après que celui-ci est revenu par la rive droite de la Seine, j'ai démontré que la place du Châtelet, assignée aux Romains, et la place Maubert ou le quai Saint-Michel, assignés aux Gaulois, étaient impossibles pour deux raisons que voici :

1° En supposant les deux armées si voisines l'une de l'autre, on ne s'expliquerait pas que les Gaulois aient eu besoin qu'on leur appor

(1) Commentarii de bellis C. Julii Cæsaris, recensuit et illustravit C. Ern. Crist. Schneider, part. II (t. IV), p. 513. Hals, 1855.

tât la nouvelle des dispositions prises par Labiénus : uno fere tempore hostibus nuntiatur, etc., ni surtout qu'on leur apprît qu'on faisait un bruit extraordinaire dans le camp romain, et qu'on en faisait encore en remontant la rivière.

2o Si les Gaulois avaient été postés vers le quai Saint-Michel, ils se seraient trouvés dans la même relation à l'égard de Lutèce et à l'égard des Romains, regardant la ville et regardant le camp de Labienus, tandis que César se sert d'une expression différente pour exprimer leur position relativement à Lutèce et relativement au camp, e regione Lutetiæ, contra Labieni castra.

Pour toute réponse à cette partie fondamentale de mon mémoire, le savant académicien se borne à une discussion sur la valeur de e regione et de contra qu'il trouve parfaitement synonymes; et il se résume en les assimilant aux deux locutions françaises à côté et en face.

Je n'ai pas autre chose à répliquer sinon que à côté et en face ne sont pas plus synonymes que e regione et contra. Sans doute dans plus d'un cas les deux expressions pourront se prendre l'une pour l'autre aussi bien en français qu'en latin; mais toutes les fois que dans les deux langues elles seront employées ensemble, gouvernant chacune un régime particulier, alors deux relations seront exprimées, et non pas une seule. Que M. de Saulcy traduise, d'après sa propre doctrine, la phrase dont il s'agit, et qu'il demande à qui il voudra comment on se figure les deux positions rendues par les mots « à côté de Lutèce, en face du camp de Labienus: il verra s'il vient à personne l'idée de mettre l'un des points sur la rive gauche de la Seine et l'autre sur la rive droite avec la cité entre les deux.

Maintenant, je sais très-bien ce que vaut une distinction grammaticale du genre de celle que j'ai faite sur e regione et contra, et ce n'est pas moi qui ferais reposer tout le plan d'une campagne sur quelque chose d'aussi délicat. Aussi cette distinction n'a-t-elle été pour moi qu'un argument subsidiaire. La véritable raison qui m'a fait rejeter les positions fixées par les savants du siècle dernier est l'absurdité des conséquences que ces positions entraînaient avec elles. C'est après avoir fait ressortir cela de mon mieux que j'ai montré comment le latin se prêtait à une autre interprétation. Pourquoi M. de Saulcy n'a-t-il pas suivi la même marche? Pourquoi, avant de descendre à une dispute de mots d'où il est toujours si facile de faire sortir les ténèbres, ne s'est-il pas attaqué aux raisons de gros bon sens que j'avais alléguées tout d'abord? Vraisem

blablement parce qu'il ne m'a pas suivi avec assez d'attention, m'ayant condamné dès le moment qu'il a eu connaissance de ces armes découvertes au Bas-Meudon. Mais passer de la sorte à travers les mailles d'une argumentation, ce n'est pas la défaire, et je ne désespère pas de ramener M. de Saulcy lui-même à mon parti, si je dresse de nouveau l'obstacle que sa préoccupation l'a empêché d'apercevoir, c'est-à-dire si je pose cette simple question: César aurait-il reconnu, comme il l'a fait pour Camulogène, les talents militaires d'un général qui, campé vers le quai Saint-Michel, nonseulement n'aurait pas été en mesure de s'opposer à une invasion de la rive gauche, préparée au Châtelet, mais n'aurait même rien soupçonné du départ qui s'effectuait si près de lui?

L'article de la Revue contemporaine contient bien d'autres assertions qui demanderaient la réplique, comme par exemple, la tentative de Labiénus pour traverser la Bièvre, transportée à Gentilly pendant que les Gaulois se seraient tenus sur les pentes de la montagne Sainte-Geneviève; comme les difficultés chimériques créées pour cette opération du passage qui, eût-elle nécessité des remblais, aurait pu se faire en deux heures par le travail de mille hommes; comme les raisons données pour établir que les Romains ont dû passer la Marne; comme l'étymologie proposée pour le nom de Montrouge afin d'identifier ce lieu, qui n'est ni mont ni colline, avec une certaine colline mentionnée dans le récit de la bataille et dont la prise coûta beaucoup de sang aux Romains, etc., etc. Mais ce sont là des conséquences du système, qui tombent d'elles-mêmes du moment qu'on n'accorde, ni que Labiénus s'avançant par la rive gauche ait échoué devant la Bièvre, ni que, s'étant transporté sur la rive droite, il soit venu camper devant Lutèce. Par conséquent, j'en ai dit assez pour maintenir mes conclusions d'autrefois qui sont :

1° Que les Romains, dans leur première marche sur Lutèce, furent arrêtés en avant de Juvisy par des marais très-prolongés que formait l'Orge avant d'arriver à la Seine;

2° Qu'au terme de leur seconde marche, ils prirent position sous Créteil, dans la presqu'île formée par le confluent de la Seine et de la Marne;

3° Que, pour aller livrer bataille, ils passèrent la Seine à la hauteur d'Alfort, faisant croire qu'ils voulaient passer également à Choisy, et au-dessus de Choisy ;

4° Que les Gaulois, postés du côté de Lutèce, en vue du territoire de Créteil, ne purent pas faire mieux, même avec toute la diligence

et toute l'intelligence dont l'homme est capable, que de se mettre en ligne lorsque l'armée romaine tout entière était déjà sur la rive gauche ;

5° Que la bataille se livra dans la plaine qui forme les territoires d'Ivry et de Vitry, le nom de ce dernier village étant à lui seul un monument, puisque Victoriacum veut dire le lieu de la victoire.

Aurai-je le regret de terminer en disant que dans le travail de M. de Saulcy je n'ai rien trouvé dont je pusse faire mon profit?

Non, j'accepte une correction qu'il fait à mon système sur un point où je me suis exagéré la portée d'un mot. César, en parlant de la position des Gaulois, les représente comme campés sur les bords de la Seine, in ripis Sequanæ. D'après un certain nombre d'exemples que j'avais recueillis dans les Commentaires sur l'emploi de ripa et de ripæ, j'avais cru que le pluriel entraînait toujours pour notre auteur l'idée des deux rives, et j'avais placé les Gaulois de Camulogène, sur la rive droite aussi bien que sur la rive gauche. M. de Saulcy a retourné contre moi un passage que j'avais allégué en faveur de cette opinion, et qui reste incertain, car il s'y agit d'un camp protégé par les rives de l'Aisne, les Romains occupant l'une et l'autre rive. Mais en cherchant de nouveau, j'ai rencontré un autre exemple qui donne raison à mon honorable adversaire. C'est ce que César dit du Doubs relativement à Besançon ita ut radices ejus montis ex utraque parte ripe fluminis contingant (B. G. I, 38). Je renonce dès lors à mettre des Gaulois sur la rive droite de la Seine, et je me félicite, pour mon travail, d'une discussion d'où il sort amendé.

En dehors de la question, j'ai remarqué encore une excellente conjecture que je m'empresse de signaler. Dans le chapitre où César mentionne les rumeurs qui circulaient parmi les Gaulois pendant sa retraite de Gergovie, les manuscrits et les éditions donnent cette phrase inintelligible: Gallique in colloquiis interclusum itinere et Ligere Cæsarem, inopia frumenti coactum, in provinciam contendisse confirmabant. Les commentateurs se sont exténués à raisonner sur itinere sans arriver à rien de plausible. M. de Saulcy remplace ce mot par Elavere, l'Allier. C'est là une de ces restitutions qui se recommandent par elles-mêmes. Je ne craindrais pas de la proposer comme incontestable, si je donnais une édition des Commentaires.

J. QUICHERAT.

LA QUESTION D'ALESIA

DANS

LA REVUE des deux mondes.

Une personne qui ne s'est pas fait connaître vient de transporter la question d'Alesia dans la Revue des Deux Mondes(1). Son article est en faveur du Mont-Auxois, et assurément ce qu'on a écrit de plus habile en ce sens. Il se distingue par beaucoup de suite dans les idées, par une solide instruction classique et bibliographique, par une connaissance de la guerre où il est difficile de ne pas reconnaître quelqu'un qui l'a faite. Néanmoins la conclusion est faible. L'auteur, en commençant sa campagne, n'avait pas autour de lui tous les renseignements: il le confesse, et l'on s'aperçoit que, les renseignements une fois venus, s'ils n'ont pas eu le pouvoir de détruire une opinion déjà formée, ils ont du moins ébranlé la confiance sur laquelle cette opinion s'était assise en premier lieu; de sorte que le militaire qui s'est prononcé comme le voulaient, à son point de vue, les principes de l'art, finit par se demander si un jour l'archéologie ne viendra pas lui donner tort. Il prend congé de ses lecteurs par un doute qui les laisse dans la perplexité.

Je n'ai pas d'accès auprès du public à qui s'adresse la Revue des Deux Mondes pour le tirer de ce fâcheux état d'incertitude; mais, devant les personnes que ces sortes de discussions intéressent, je puis montrer que le nouveau thème qui vient d'être essayé n'affaiblit en rien ma conclusion pour Alaise. Je serai bref, ayant déjà traité cette matière avec de tels développements, que je dois craindre d'engendrer l'ennui. Pour avoir plus tôt fait, je réduirai les raisons qui me sont opposées en propositions, à chacune desquelles je donnerai la réplique.

1o On s'exagère l'effectif de l'armée romaine. Il n'était pas de plus de cinquante mille hommes, y compris les auxiliaires germains.

Peu m'importe que César n'ait eu que cinquante mille hommes,

(1) N° du 1er mai 1858.

« AnteriorContinuar »