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prouesses, et, par exemple, se porter contre les places disposées à la résistance. Dans la compagnie se trouvaient les hommes les plus habiles Dunois, le sénéchal de Poitou Pierre de Brézé, les deux maréchaux de France, des maîtres des requêtes, enfin la fleur du conseil de Charles VII. Tous ces seigneurs, non moins avisés que l'évêque, lui répondirent que, des places rebelles au roi ils sauraient faire leur devoir; que pour l'heure ils étaient venus prendre Lisieux, et que si Lisieux ne se rendait incontinent, ils allaient faire donner l'assaut. Thomas Basin n'insista pas davantage; il mit ses efforts à se faire accorder quelques heures de répit, et retourna dans sa ville, où il convoqua aussitôt le clergé, les bourgeois et les nobles. Sans doute il ne voulait rien autre chose que se mettre à couvert derrière une délibération solennelle. Aussi, dès que l'assemblée, instruite de la résolution des Français, eut décidé d'une voix unanime qu'il fallait se rendre, et qu'à l'évêque appartenait le soin d'arrêter les bases de la convention, Basin, aussi expéditif que joyeux, écrivit son projet, le porta au quartier général, et le fit adopter des capitaines sans aucun changement (1). On peut voir dans le Recueil des ordonnances (2) ce traité plein de douceur et de ménagements, qui montre à la fois l'esprit conciliant du prélat et l'humanité des vainqueurs. On y réserve les droits de l'Église et ceux de la ville; on y stipule pour les Anglais la faculté de se faire sujets du roi de France ou de s'en retourner sous sauf-conduit auprès de leurs compatriotes. En France, il fut parlé de cette capitulation comme de l'un des événements les plus heureux de la guerre (3), et la rédaction en fut trouvée si sage qu'elle servit de modèle à tous les traités passés depuis avec les autres cités normandes. L'entrée des Français à Lisieux eut lieu le lendemain

(1) Histor. Caroli VII, lib. IV, cap. 17.

(2) Tome XIV, page 59: « C'est le traictié et appointement fait pour la composicion et reddicion de la ville et cité de Lisieux entre haulx et puissans et très redoubtés seigneurs Messeigneurs les contes d'Eu, de Saint-Pol et de Dunoys, etc., etc., et révérend père en Dieu et très honoré seigneur Thomas, par la permission divine, évesque et conte de Lisieux, etc., etc. ».

(3) « Et ceulx de la ditte cité de Lisieux... se rendirent sans cop férir, par le moyen de l'evesque du lien, lequel doubtoit que la ville ne fust prinse d'assault et pillée; pourquoy il fist la composicion et s'i gouverna grandement et honorablement. » Le recouvrement de la Normandie par le hérault Berri. Ms. de la Biblioth. Royale,

n. 9669. 2. 2.

17 août (1). L'évêque y parut en triomphateur, conduisant l'armée à sa cathédrale au milieu d'un concert de bénédictions. Le peuple lui attribuait son salut; les capitaines lui savaient gré de ce qu'il eût si doucement réduit en leur pouvoir une ville importante. Telle était l'opinion que ces derniers avaient conçue de lui, que le jour même ils l'appelèrent dans leur conseil. Ils avaient à statuer sur certaines lettres clandestines envoyées de Caen et de Falaise par des notables qui promettaient de faire capituler ces villes à la première apparition des Français. De telles offres plaisaient au plus grand nombre. Thomas Basin, au contraire, fut d'avis qu'il fallait y regarder de plus près avant d'agir sur la foi de propositions, sincères sans doute, mais peutêtre inconsidérées. Il objecta la force des garnisons logées dans les villes de la basse Normandie, fit prévoir l'impuissance du peuple en présence de tant de soldats, et dépeignit le danger qu'il y aurait dans le moment actuel à ce que la guerre se prolongeât sur ces parages lointains. Selon lui, la prudence exigeait qu'on prît la lisière du pays avant d'en attaquer le cœur. En s'assurant d'abord de Mantes, de Gournai, de Gisors, de Vernon et de Rouen, l'armée ne s'exposerait pas à manquer de vivres, communiquerait incessamment avec le centre du royaume, s'avancerait toujours plus forte et plus assurée du succès. Caen, Falaise et les places environnantes, attaquées en dernier lieu, ne pourraient impunément retenir les vainqueurs sous leurs murs. L'assemblée tout entière reconnut la sagesse de ces conseils, et aussitôt le plan de campagne proposé par Thomas Basin fut envoyé à la sanction du roi qui le ratifia (2).

Charles VII, alors à Vendôme, s'approchait du théâtre de la guerre par la route du Perche. L'évêque de Lisieux, parti à sa rencontre, le rejoignit à Verneuil, où il lui prêta serment de fidélité (3). Il fut accueilli avec cette affabilité que le roi témoignait aux hommes de mérite. On le pourvut d'une charge de

(1) « Et pour faire l'entrée, la bannière du roy fut desployée... Si entrèrent-ilz en fort bel ordre, et allèrent les seigneurs dessus dits faire leur oroison à la grant église cathédrale... Quant au dit evesque, les bourgeois et le peuple le receurent fort humblement; et fut crié Noel à leur venue, etc. » Chronique de Mathieu d'Escoussy, chap. 34.

(2) Historia Caroli VII, lib. IV, cap. 18.

(3) Le 28 août 1449. Gallia christiana, t. XI, col. 795.

conseiller, aux appointements de 1,000 livres (1), et dès les premiers jours il fit l'essai de son crédit en demandant et impétrant la grâce d'un fameux clerc normand, docteur en droit et en décrets, chanoine de Coutances, d'Avranches et du Mans, qui avait soutenu le parti des Anglais avec une passion exagérée (2). De cette manière, servant Charles VII et servi de lui, il s'attacha étroitement à sa personne, et l'accompagna pendant tout le reste de son voyage, à Évreux, à Louviers, à Pont-de-l'Arche. Puis une insurrection populaire ayant ouvert les portes de Rouen aux Français, comme le roi différait d'entrer dans cette ville jusqu'à ce qu'elle eût été purgée de la garnison ennemie, Thomas Basin y fut envoyé d'avance avec les seigneurs de Torcy et d'Orval, afin de surveiller les Anglais dans les bastilles où ils s'étaient réfugiés, et de tout disposer pour la prochaine arrivée des vainqueurs (3). Le jour du triomphe, il était, en habits pontificaux, à la porte Beauvaisine (4), où il complimenta le roi et lui présenta tous les évêques de la province, ses amis, que son exemple avait ramenés au parti de leur légitime souverain.

La révolution qui venait de s'opérer ne changea rien à sa vie passée. Dès que la paix l'eut rendu libre de choisir entre les travaux du Grand-Conseil ou les pieux devoirs de son ministère, il retourna sans hésiter au milieu de son troupeau, se promettant bien de ne plus le quitter, à moins que ses services ne devinssent indispensables au roi. Ce fut là, pendant les heures de repos que lui laissaient les soins de son administration, dans ce loisir littéraire si plein de charmes pour lui, comme il l'avoue lui-même (5), qu'il composa, peu de temps après l'expulsion des Anglais, deux écrits de jurisprudence que je ne saurais m'abstenir de mentionner à cet endroit de sa vie. L'un de ces ouvrages a été signalé déjà dans le grand travail de M. de L'Averdy sur le procès de Jeanne d'Arc; l'autre est tout à fait

(1) Quittance de l'évêque de Lisieux, du 24 mai 1450. Par d'autres quittances du 8 septembre 1452 et du 28 juillet 1453, il paraît que sa pension comme conseiller fut réduite à 600 livres. Bib. Royale, ms. Gaignères; titres des évéchés, Lisieux, f. 43. (2) Le 21 septembre 1449, à Louviers. Archives du Royaume, K, reg. 179, pièce 377, Abolitio pro Mgo. Radulpho Le Jolivet.

(3) Historia Caroli VII, lib. IV, cap. 20.

(4) Chronique de Jean Chartier, éd. Godefroi, p. 183.

(5) « Reversus ad otium litterale in quo mihi summa voluptas est. » Thomas Basin, Ms. de la Bibliot. Roy., n. 5970 A, fol. 67.

ignoré. Le mérite de tous les deux est de faire connaitre quelques remarquables opinions de l'auteur.

Maître de Rouen, Charles VII avait résolu de relever enfin la mémoire de Jeanne d'Arc de la flétrissure que lui avaient infligée les Anglais. Pour cela, il était nécessaire d'infirmer la sentence de condamnation chose difficile, parce qu'en matière d'hérésie, les jugements n'admettaient point d'appel, et qu'il fallait une bulle du pape, usant de son autorité apostolique, pour saisir une seconde fois l'Église d'une affaire déjà décidée par l'Église. Arriver à obtenir cette bulle fut le but constant de cinq années de correspondances, de consultations et d'ambassades. D'abord, la prévarication des juges fut constatée par une enquête; ensuite, on fit passer à Rome cette enquête jointe aux pièces de la procédure, afin d'avoir sur l'ensemble l'opinion des avocats consistoriaux ; enfin, pour achever d'éclaircir les points laissés dans le doute par les jurisconsultes italiens, on eut recours aux lumières des plus fameux docteurs qui fussent alors dans le royaume. Toutes ces démarches devaient précéder la demande en révision. Thomas Basin fut l'un des savants consultés, et pour obéir à la volonté du roi, il composa un volumineux mémoire, celui-là même que j'ai signalé au commencement de cette notice (1). Il serait difficile aujourd'hui d'apprécier à sa juste valeur un pareil travail, rédigé dans une forme convenue, avec ce formidable appareil de divisions, de distinctions, de citations que comportait la controverse scolastique. Quant au fond, il présente les conclusions les plus favorables à la poursuite d'une nouvelle instance. La nullité du procès, aux termes du droit, y est rigoureusement établie; et pour ce qui concerne le dogme, l'auteur démontre que rien ne justifiait l'imputation d'hérésie portée contre l'accusée; qu'au contraire toutes les raisons militaient en faveur de la pureté de sa foi et de la réalité de ses inspirations. C'est absolument et presque dans les mêmes termes l'opinion énoncée par le prétendu Amelgard, lequel jugeant la Pucelle, non pas sur la foi des traditions populaires, mais uni

(1) Ce mémoire se trouve dans les deux manuscrits de la Bibliothèque du Roi, n. 5970, et de d'Urfé. Il est ainsi souscrit: « Subscriptum et signatum per me, Thomam, immeritum episcopum Lexoviensem, inter utriusque juris doctores minimum; » d'où l'on voit qu'il s'était fait recevoir docteur dans les deux facultés de droit; mais il ne dit ni où, ui quand.

quement d'après les circonstances consignées au procès, déclare sa condamnation inique selon toutes les jurisprudences, et sa mission, divine, autant du moins qu'il est donné aux hommes de discerner les conseils de Dieu (1). Merveilleuse conformité de sentiments, et dont personne n'aura plus lieu de s'étonner, à présent que la cause en est connue.

Le mémoire justificatif de la Pucelle n'est pas daté. A en juger par la place qu'il occupe parmi les écritures du procès, il fut des premiers remis entre les mains des enquêteurs, par conséquent achevé au plus tard en 1453. A quelque temps de là, Thomas Basin fut encore officiellement consulté, non plus comme canoniste, mais à titre de praticien consommé dans l'expérience des tribunaux civils. Une commission royale l'évoqua à Paris, pour y aviser aux procès, dit-il, de concert avec le grand sénéchal de Normandie, Pierre de Brézé (2). L'échiquier de Rouen étant alors comme anéanti sous la masse des procès, il s'agissait, selon toute apparence, de trouver à ce tribunal quelque moyen d'action plus efficace, plus propre à le tirer d'embarras qu'aucun de ceux qu'il possédait. Dans les discussions qui eurent lieu à ce sujet, l'évêque de Lisieux démontra facilement que la source du mal était dans le vice de la procédure; que tant qu'on s'en tiendrait au style usité, on s'évertuerait à chercher des expédients dont l'effet serait nul. Là-dessus, donnant carrière à ses idées, il proposa un plan de réforme qui n'était rien de moins qu'une révolution dans le droit. Telle était la nature de ses conclusions qu'elles ne purent être déférées au Conseil royal; mais le grand sénéchal, frappé de leur singularité, voulut les examiner plus à loisir, et en se séparant de son collègue, il le pria de les lui exposer sous forme de mémoire. Telle est l'origine du traité de Thomas Basin sur la réforme de la procédure, ouvrage qu'il commença au mois de janvier 1455 et qu'il publia dans l'année (3).

(1) Historia Caroli VII, I. c.

(2)

Cum anterioribus diebus una essemus Parisius... et de rebus forensibus circa quas erat commissio regia pro qua illo conveneramus, versato inter nos sermone, etc. >> Thomas Basin, Ms. n. 5970, folio 67.

(3) << Transactis festis solemnibus nativitatis dominicæ. » Voici le titre de cet ouvrage: « Libellus editus a Thoma episcopo Lexoviensi de optimo ordine forenses lites audiendi et definiendi, ad clarissimum virum, dominum Petrum de Brezi, ma

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