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sible de secourir de quelque façon que ce fût les adversaires de celui-ci.

Cependant et par souvenir du dévouement que l'imprimeur lui avait montré en toute occasion, il consentait volontiers à prier l'empereur de faire grâce de la prison au condamné, et ne doutait pas que Sa Majesté, toujours clémente et généreuse, ne consentît à modifier et adoucir la peine, sinon à faire grâce entière.

A ces mots, Placide se leva :

Monsieur, dit-elle, ne vous dérangez pas. J'ai l'honneur de vous saluer.

Et elle sortit.

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- Après tout, pensa le député, j'en suis débar

rassé.

Là-dessus il endossa son habit noir, noua sa cravate blanche, et alla dîner chez le préfet avec Mgr l'évêque, M. le général Carcas, commandant la subdivision militaire et M. le receveur général.

Cependant Placide ne perdait pas courage. L'imprimerie vendue lui fournit de quoi payer l'amende. Son mari, hors d'état de travailler, n'était plus qu'une charge coûteuse et incommode. Elle obtint un brevet de capacité, un diplôme d'institutrice et ouvrit une école. Quelques bourgeois libé

raux, qui ne dépendaient pas du préfet, lui envoyèrent leurs filles et se firent honneur de la protéger. Peu à peu sa douceur et sa patience inaltérable la rendirent intéressante. On remarqua sa science qui, sans être extraordinaire, dépassait de beaucoup ce qu'on enseigne au couvent. On admira cette femme courageuse, qui faisait la classe pendant six heures par jour, et pour toute récréation, outre les soins qu'elle devait à son ménage, à sès enfants et à son mari malade, allait donner encore deux heures de leçons particulières à une demi-lieue de la ville.

Mais ses succès devaient s'arrêter là. Trois couvents de religieuses qui se partageaient l'éducation, et, sous des formes dévotes et doucereuses, se haïssaient cordialement, commencèrent à s'alarmer de cette concurrence et firent trêve pour un moment à leurs vieilles querelles.

Un vicaire général fut délégué par monseigneur l'évêque pour examiner et contrôler les principes moraux, la doctrine et la piété de Placide. La pauvre femme supporta cet examen malveillant avec une patience et une modestie qui touchèrent l'examinateur lui-même. Son rapport favorable ne laissait aucune prise au soupçon. Cependant les ennemis de Placide ne se tinrent pas pour battus. Le bruit

courait toujours que son enseignement n'était pas orthodoxe.

Pour mettre un terme à cette dangereuse persécution, elle alla rendre visite au nouveau maire (l'ancien venait de mourir d'apoplexie), et le pria de lui accorder sa protection. Le maire, ancien capitaine de cavalerie et bon gentilhomme, mais qui se souciait des écoles comme un goujon d'une pomme, consentit à présider solemnellement la distribution des prix; marque de faveur insigne.

Et il tint sa promesse. En quels termes, Dieu le sait! Éloquence administrative, c'est tout dire. Malheureusement, le brave homme avait remarqué la beauté de Placide et sans mauvaise intention en fit l'éloge devant ses amis. Aussitôt le bruit courut dans la ville que l'ancien cuirassier était amoureux de l'institutrice. Une bonne âme ajouta que Placide n'était pas insensible. Une autre bonne âme dit que certaine porte s'était ouverte et refermée à des heures suspectes. Puis on parla de rendez-vous donnés sur le bord de la rivière dans une maison de campagne qui appartenait au maire.

Puis on plaignit le sort du pauvre imprimeur qui, au malheur d'être devenu idiot, joignait celui d'être trompé par sa femme.

Puis une lettre anonyme avertit madame la

mairesse de la trahison de son mari; et par grand hasard la lettre anonyme disait presque vrai, car M. le maire, fonctionnaire respectable mais sujet aux faiblesses humaines, honorait de ses bontés et favorisait d'une rente de cinq à six cents francs la femme d'un jardinier du faubourg.

Puis madame la mairesse, qui ne connaissait pas ce détail, mais qui se défiait de son mari, ajouta volontiers foi à la lettre anonyme, et déclara que Placide était une malheureuse, que toutes les femmes honnêtes devaient lui tourner le dos, que ses débauches n'étaient égalées que par son impiété, etc., etc.

De plus, M. le maire, sommé de dire comment il passait la soirée, refusa de répondre à cette question (ce qu'il n'aurait pas pu faire sans avouer la femme du jardinier). Son silence fut regardé comme un aveu accablant pour Placide.

Aussitôt la pauvre femme fut tenue à l'écart comme une pestiférée. Les femmes ne lui rendirent plus son salut. Les hommes, au contraire, affectèrent de la saluer en souriant d'un air vainqueur. Les billets doux commencèrent à pleuvoir chez elle. Puis ses élèves se retirèrent; son école, ouverte en droit, fut fermée en fait, et la pauvre femme, à peine sortie de la misère, sentit qu'elle allait y retomber.

Sur ces entrefaites, le vicaire général revint, et,

d'un ton doux mais péremptoire, conseilla de quit

ter la ville.

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Pourquoi partir? demanda Placide.

- Pour mettre fin au scandale, ma chère en

fant, répliqua le prêtre.

Et alors, avec de doux reproches et des phrases tortueuses, il raconta ou fit entendre tous les commérages de la ville; puis il conclut en disant qu'un prompt départ était le seul remède, et que si l'on tardait davantage, il faudrait craindre un éclat et peut-être un charivari.

-Monsieur l'abbé, dit Placide avec une douce fermeté, je me fie à Dieu du soin de faire reconnaitre mon innocence, et je reste ici.

Mais le coup était porté. Aussitôt que l'abbé fut' sorti, elle se mit au lit avec une fièvre violente. Trois jours après elle était morte. Cette âme si douce, si délicate et si digne d'un meilleur sort était brisée par la calomnie.

Son mari, toujours idiot, sentit à peine la grandeur de cette perte. Il mendie son pain sur la grande route. Ses enfants, élevés à l'hôpital, se Souviennent à peine de leur mère et n'osent en parler. Ils lisent dans tous les yeux qu'elle était digne de mépris et peut-être finiront-ils par le

croire.

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