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LA

CONSOLATION

PHILOSOPHIQUE

DE BOÈCE

TRADUCTION NOUVELLE EN PROSE ET EN VERS

AVEC LE TEXTE EN REGARD

ET, ACCOMPAGNÉE D'UNE INTRODUCTION ET DE NOTES

PAR

LOUIS JUDICIS DE MIRANDOL

PARIS

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET C"

RUE PIERRE-SAKRAZIN, No 14

1861

Tous droits réservés

265. i. 84

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Boèce n'a pas toujours été aussi délaissé que nous le voyons aujourd'hui. Pendant plusieurs siècles son nom a fait autorité dans l'école, et, au moyen âge, les plus fameux docteurs, les Roscelin, 'les saint Anselme, les Guillaume de Champeaux, les Abélard le reconnaissaient pour un de leurs maîtres. Il eut même cette singulière fortune que, pendant toute la durée de la grande querelle du Réalisme et du Nominalisme, ses écrits furent l'arsenal commun où les deux partis puisaient leurs armes, et que dans l'un et l'autre camp on se vantait également de l'avoir pour chef. C'est que Boèce avait écrit deux livres sur le même sujet1 et

1. Commentaire sur l'Introduction aux Catégories d'Aristote, par Porphyre.

que chacun de ces livres contenait une doctrine diamétralement opposée à celle de l'autre. Hâtonsnous de dire toutefois qu'il n'avait jamais eu la puérile fantaisie de jouer avec son esprit. A l'occasion d'une proposition assez obscure sur la nature des idées générales, des universaux, comme on les nomma plus tard', il s'était borné à exposer le pour et le contre, sans conclure, sans prévoir surtout que sa neutralité, son indifférence peut-être, serait prise un jour pour une double adhésion.

La métaphysique de Boèce est si bien oubliée aujourd'hui qu'on a peine à s'expliquer l'incroyable quantité de gloses, de dissertations et de commentaires qu'elle a fait éclore au sein de la philosophie scolastique; on cessera de s'étonner pourtant si l'on remarque avec M. V. Cousin: « que Boèce restait seul debout sur les ruines de l'antiquité, et que dans la nuit profonde où dormait alors l'esprit humain, son opinion, quelle qu'elle fût, devait être la lumière du temps et l'autorité souveraine en matière de philosophie'.

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Mais à cette époque, si l'on connaissait à fond l'écrivain, on savait peu de chose de l'homme. Quel

1. « Les Francs, les Irlandais, les Anglo-Saxons, les fils des pirates et des brûleurs de villes pâlirent sur cette question : « Si les << genres et les espèces existent par eux-mêmes ou seulement dans << l'intelligence? » Cette question portait comme en germe toute la querelle des Réalistes et des Nominaux, toute la scolastique du moyen âge, et, pour mieux dire, la philosophie de tous les temps. » (OZANAM, la Civilisation au cinquième siècle.)

2. Introduction au Sic et Non d'Abélard.

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ques détails épars dans ses livres, quelques faits vagues recueillis par une tradition sans autorité, et qui s'altérait de plus en plus en s'éloignant de sa source, voilà à quoi se bornaient les renseignements que l'on possédait sur Boèce. A vrai dire, la curiosité des érudits de ce temps était peu exigeante en pareille matière la critique historique n'était pas née encore, et le public lettré, presque aussi naïf que la foule, ne pensait pas à dégager l'histoire de la légende. De là tous les récits merveilleux qui étaient alors imaginés sans scrupule, acceptés sans contrôle, et qui faussaient l'histoire même contemporaine. A peine mort, Charlemagne devenait un héros de roman; la biographie de tout homme un peu célèbre devait payer tribut à ce goût universel pour la fiction. Dans un temps où l'on invoquait Virgile comme un saint, faut-il s'étonner qu'on ait honoré Boèce comme un martyr?

Étrange martyr cependant, si, comme nous le croyons, Boèce a été dans Rome un des derniers et des plus illustres représentants de la philosophie païenne'. Il y a longtemps que cette vérité a été soup

1. Nous aurons plus d'une fois occasion, dans le cours de cette Etude, d'employer ces mots paganisme ou polytheisme pour désigner la religion qui a précédé, dans le monde grec et romain, l'établissement du christianisme. Toutefois, nous ferons remarquer, dès à présent, qu'appliquées à la théodicée des philosophes dignes de ce nom, ces expressions ne doivent pas être prises au pied de la lettre. Les philosophes de l'antiquité ont généralement admis l'unité de Dieu, et ceux de l'école d'Alexandrie, en particulier, ont poussé jusqu'à l'excès l'idée qu'ils se faisaient de ce premier attribut, ou même, pour parler comme eux, de cet unique attribut

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