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les prêtres; puis, comme les Minnesinger, il dit aussi à son fils d'honorer les femmes, ornement du monde. Dieu, ayant créé les anges dans le ciel, donna aux hommes, en guise d'anges, les femmes sur terre; auprès d'elles se trouve le baume pour toutes les blessures; en face d'elles, le chagrin et la misère se fondent comme la rosée au soleil. Jamais Dieu n'a oublié celui que les femmes ont honoré de leur grâce. »

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A la différence de Hartmann et de Henri, qui appartenaient évidemment aux rangs inférieurs de la société, le Winsbeck ou l'auteur du Winsbeck se rangeait du côté des chevaliers. Il somme son fils de porter dignement le bouclier, il donne des préceptes sur la conduite à tenir à la cour, où il faut savoir se taire et parler à propos, éviter ceux qui médisent, brider la langue et les passions. › yeux de ce brave vieillard, la grande naissance n'a de prix qu'avec une vie vertueuse. « Je préfère avoir pour ami l'homme de naissance infime mais honorable, à l'homme haut placé, dénué de vertu. » Des sentiments analogues ne sont nullement exceptionnels; ils se retrouvent chez presque tous les poëtes didactiques.

Le Winsbeck, quelque pieux qu'il soit, ne prétend pas détourner son fils de l'acquisition des richesses; mais il ne veut pas qu'il se laisse dominer par elles. « Bien fou est celui qui préfère la richesse à Dieu et à l'honneur.... Accomplis, mon fils, ce que tu as entrepris, mais n'entreprends rien au delà de tes forces. Tu ressemblerais à l'oiseau qui quitte le nid avant l'heure, il sert de jouet aux enfants. >

Vivre chastement, fidèlement, simplement, voilà pour le Winsbeck le point capital. L'infidélité est pour lui synonyme de poison. Il veut que son fils soit fier avec les ennemis, serviable pour les amis, courtois envers tous... qu'il ne redoute point les efforts, car « jamais une souris n'est

entrée dans la gueule d'un chat endormi...... » L'avarice et l'orgueil sont à ses yeux les plus détestables voisins, qui ont séduit le diable lui-même. Être charitable et hospitalier, ne connaître que le oui et le non, c'est-à-dire n'employer que des paroles vraies, éviter tout ce qui pourrait attirer sur lui l'interdit spirituel, voilà le sommaire de cette sagesse, également bonne pour le ciel et pour la terre. Le fils, si bien conseillé, est ému par les exhortations du vieillard, il s'engage à fonder un hospice où ils pourront trouver, eux deux, un asile. Le père accomplit les vœux de son héritier, et libère ses serfs, pardonne à ceux qui l'ont offensé, et donne tous ses biens à l'établissement hospitalier qu'il a créé.

Die Winsbeckin est une imitation du Winsbeck. La marche du poëme est plus dramatique, c'est un dialogue entre une mère et sa fille, un recueil de préceptes sur la tenue et la conduite des femmes dans le monde. La mère recommande la prudence en face de la fausseté et de la violence des hommes. Pour les femmes la chasteté doit être le bien suprême et le bouclier contre toute attaque. Et lorsque la jeune fille demande un peu naïvement ce qu'est l'amour, sa mère lui répond qu'un homme sage, Ovide (!), en a déjà dit merveille; que la déesse d'amour, Vénus, blesse les cœurs et les guérit à son gré, que rien ne peut échapper à sa volonté ; qu'elle se présente invisible comme un esprit et ne laisse de repos, ni jour ni nuit. Cette conversation rappelle, à s'y méprendre, celle de Lavinie avec sa mère dans l'Eneide de Veldegh.

Je ne mentionne que pour mémoire une autre imitation du Winsbeck: le Roi tyrol de Schotten et son fils Friedebrand»; j'ai hâte d'arriver au poëme capital dans le genre qui nous occupe en ce moment.

Thomasin de Zirclaere ou Zirclaria, l'auteur du Welsche

Gast (l'hôte italien 1) doit être incontestablement placé à la tête des poëtes moralistes allemands du treizième siècle, quoique tous les critiques ne partagent pas l'enthousiasme de Gervinus pour cet écrivain originaire du Frioul, par conséquent italien d'origine, mais poëte teutonique par choix. Thomasin paraît avoir débuté dans le monde littéraire par un poëme italien sur la courtoisie »; beaucoup de pensées de ce premier ouvrage ont trouvé leur emploi dans le Welsche Gast, dont la composition date à peu près de 1216.

Pour nous rendre compte de la place qu'occupe dans l'ensemble de la littérature allemande le poëme de Thomasin de Zirclaria, rappelons-nous que d'une part la philosophie, au commencement du treizième siècle, sortait des écoles cléricales, et que, de plus, les hommes sérieux ne pouvaient se contenter, pour leurs lectures, ni des poëmes de la Table ronde, ni des fictions empruntées aux traditions nationales. On aspirait à des jouissances intellectuelles sérieuses et austères; or, la prose allemande n'étant pas encore formée, les penseurs étaient naturellement portés à donner à leurs inspirations la forme poétique. Le but que se proposait Thomasin de Zirclaere dans le long sermon en vers, intitulé l'Hôte d'Italie, c'est de proclamer l'excellence de la vertu, de la piété, de la courtoisie. A son gré les aventures et les contes ne peuvent servir qu'à occuper et orner l'imagination des jeunes gens; mais pour un âge plus mûr, il faut une nourriture plus substantielle. Lorsqu'on peut comprendre les fortes pensées, il ne faut plus perdre son temps

1. Der welsche Gast, von Thomasin Zirclaria, a été édité en entier pour la première fois par Rückert. Quedlinbourg et Leipzig, 1852; 1 vol. in-8°. Il forme le volume XXX de la Bibliothèque de la littérature nationale allemande.

avec des contes. Plus d'un poëte épique, vers la fin de sa carrière, a pensé comme Thomasin et jeté un coup d'œil de regret sur sa vie pécheresse.

Thomasin cherche à voir partout le fond des choses, à lire au fond du cœur: à son époque comme de nos jours, les pensées morales, politiques, philosophiques, religieuses, s'entre-croisaient, se contre-disaient; dans ce dédale il cherchait un fil conducteur. Il voyait bien, qu'en divinisant l'amour et la passion, comme faisaient les poëtes épiques et lyriques, on augmentait le mal. « L'amour, dit Thomasin, est de telle nature qu'il rend le sage plus sage, le fou plus fou.... L'amour précipite l'homme à travers champs, comme l'éperon fait du cheval. »

Pour notre poëte, le mal, la ruine des mœurs est dans la fluctuation de la pensée; aussi recommande-t-il avant toutla fermeté (die stœte), c'est-à-dire ce que nous appellerions l'esprit de conduite.

Au début de son œuvre, lorsqu'il emprunte encore des passages à son poëme italien, il fait grand cas des convenances, de la courtoisie; la noblesse du cœur lui semble inséparable de la noblesse de race. Peu à peu il se défait de ce préjugé; il déclare fou celui qui se croirait grand par sa naissance. « Noble est celui qui applique son cœur et son âme au bien. Nous sommes tous nobles de race, car Dieu est notre père à nous tous. Qui renie Dieu renie sa noblesse native; noble et courtois est celui qui fait le bien. » Ainsi cette apparente contradiction dans les principes de Thomasin s'explique; il devient plus libéral, plus charitable à mesure qu'il avance dans la carrière. Il recommande « d'honorer l'homme dans le serviteur, car celui que vous seriez tenté de repousser du pied ici-bas, sera peut-être un jour assis à un rang plus élevé que vous dans la maison du Seigneur.

Thomasin est enthousiaste de la vie des philosophes grecs ou romains; c'est chez eux qu'il trouve l'énergie, la vertu, tous les principes qu'il voudrait inculquer à la jeunesse de son siècle. En face de la mobilité du monde, il aspire à donner à l'homme un point d'appui qui l'empêche d'être ballotté comme un jouet entre le plaisir et la peine. Aussi sa doctrine sur la constance et l'inconstance forme-t-elle le noyau de son livre.

«Sans la fermeté (die state) toutes les autres vertus ne sont que néant. L'inconstance est l'esclave du vice; elle édifie aujourd'hui ce que demain elle détruira; elle change brusquement le carré en cercle; aujourd'hui elle prodigue l'éloge à ce qu'elle blâmera demain; elle touche à l'infidélité, à la fausseté même. La fidélité, la constance est la mère de tout bien, voilà pourquoi dans Tristan et Iseult la fidélité conquiert le ciel, malgré l'adultère et la honte. Dans les Nibelungen, la même vertu est si haut placée, qu'elle ne peut être flétrie, pas même par le meurtre et par le crime. L'inconstance est la malédiction qui pèse sur l'homme depuis Adam, tandis que les éléments et les animaux suivent invariablement la carrière qui leur est tracée par la Providence. Les planètes sont toujours demeurées fidèles à leur nature; l'homme seul, libre de sa volonté et pourvu de raison, change chaque jour.

Comme les moralistes de tous les siècles, Thomasin enseigne ou recommande le mépris des richesses. «Les biens de la terre ne sont pas, à vrai dire, des biens; la vertu seule est le vrai trésor. Voyez le pauvre subitement enrichi... est-il heureux?... nullement. Il craint, il est mécontent, il est avare. Le pauvre et le riche, le sujet et le maître peuvent et doivent être heureux chacun dans sa sphère. Si l'homme attaché à telle ou telle profession plus ou moins humble se sent malheureux, ce sont les désirs insatiables qui lui in

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