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de Cambrai, sombre et violente épopée, où se révèle à nous avec une sorte de crudité toute la brutalité et toute la férocité des mœurs féodales, est à la fois un véritable document historique et un récit souvent puissant, varié, auquel s'attache un intérêt passionné. Il fut écrit, semble-t-il, au x° siècle par le trouvère Bertolais, puis remanié plusieurs fois, et c'est la version du XIII siècle que nous en possédons. Batailles, combats singuliers, immenses tueries et massacres, incendies de monastères où les mères périssent dans les flammes sous les yeux de leurs fils impuissants, impositi juvenum flammis ante ora parentes, toutes ces horreurs d'une époque violente forment un tableau d'où la grandeur morale est absente, mais qui remuent fortement et notre imagination et notre sensibilité.

C'est aussi le caractère de la Chanson des Lorrains, << geste » immense, composée de trois poèmes, Garin, Girbert et Anséis. Rivalité de deux grandes familles féodales, pièges, guets-apens, trêves, trahisons qui rallument la guerre, immenses chevauchées et surprises multipliées à chaque pas, le tout se déroulant à travers toute la France et une partie de l'Espagne, sorte de chronique d'un Froissart du moyen âge, où des renseignements précis, très utiles pour nous, sur les lieux, les chemins, les villes, les populations et les coutumes se mêlent aux scènes de guerre et d'amour; la Chanson des Lorrains est certainement la plus curieuse de toutes les chansons de geste et comme la plus inépuisable à l'investigation et à l'enquête.

Il faut connaître encore Girart de Viane, où Victor Hugo a pris l'épisode du duel de Roland et Olivier; le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et Constantinople;

Berthe aux grands pieds; Huon de Bordeaux; Renaut de Montauban; Aliscans, où l'on remarque une très noble figure de femme; Raoul de Cambrai; Aymeri de Narbonne; Girart de Roussillon, qui offre cette particularité que nous en avons une version en langue d'oïl et une autre en provençal et que celle-ci est, avec la Chanson des

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SCENE DU ROMAN DE BERTHE AUX GRANDS PIEDS D'après une peinture du XIIIe siècle.

Albigeois, la seule chanson de geste en langue d'oc que nous possédions.

Ce que nous appelons le cycle breton est la bibliothèque, bien plus considérable que celle du cycle français, déjà si grande, qui contient tous les poèmes en l'honneur du roi Artus et de ses compagnons ou vassaux. — Cet Artus a existé. Il a été, au VIe siècle, roi des parties méridionales de l'Angleterre; il s'est battu contre les Saxons.

Une histoire légendaire s'est formée autour de son nom comme autour de celui de Charlemagne. Cette légende (conquête de la terre, aventures d'amour, chevauchées à la découverte et à la poursuite du Saint-Graal, coupe sacrée

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où but Jésus-Christ pendant la Cène) servit longtemps de matière aux lais que chantaient les harpeurs bretons. Elle pénétra en terre de France par la Normandie et devint l'élément, sans cesse renouvelé et inépuisé toujours, de chansons de geste qui avaient un caractère particulier.

Elles sont plus romanesques que les chansons d'origine française, c'est-à-dire à la fois plus gracieuses et plus mêlées de merveilleux. Il y a chez elles plus de sorcellerie, d'enchanteurs, de magiciens et de fées. Les auteurs de ces poèmes de la Table.ronde, comme on les a appelés à cause de la table ronde autour de laquelle Artus faisait ranger ses vassaux, sont les Ariostes du moyen âge, et du reste Arioste n'est que le dernier et le plus grand d'entre eux; mais ce sont des Ariostes mélancoliques, sans cesse épris de mystérieux, hantés de rêves, voyant la nature comme un ensemble et une succession de miracles, animant les objets matériels, humanisant les animaux et spiritualisant les hommes, se plaisant au mélange continu de la réalité et de l'irréel, aussi intrépidement imaginatifs que les auteurs des antiques épopées indiennes. Il faut retenir les noms de Robert Wace, de Robert de Boron et de Chrétien de Troyes, qui sont les auteurs les plus célèbres, appartenant à ce cycle, dont les noms nous soient parvenus.

Robert Wace est le moins romanesque de tous et celui dont la manière se rapproche le plus de celle du cycle français. Il vivait au XIIe siècle, était né à Jersey et fut chanoine de Bayeux. Dans son roman intitulé Brut (légende), il ramasse les traditions celtiques sans beaucoup d'ordre ni de suite, quelquefois avec une précision pittoresque assez vigoureuse. Dans son Roman de Rou, c'est-à-dire de Rollon et des ducs de Normandie, plus historien encore, quoique évidemment légendaire, il prétend nous donner les annales de la Normandie depuis 900 environ jusqu'à 1100. C'est dans ce poème que se trouvent les vers si souvent cités qu'on a appelés la Marseillaise du onzième siècle, c'est à savoir le chant des paysans révoltés contre le duc Richard Ier et leurs seigneurs :

Nous sommes hommes comme ils sont,

Et tout aussi grands corps avons,
Et tout autant souffrir pouvons...

C'est là encore qu'est le récit de cette bataille d'Hastings où « Taillefer qui moult bien chantait » célébrait la vaillance

Du duc Roland et des vasseaux
Qui moururent à Ronceveaux.

Mais les véritables poètes du cycle breton, chantant Artus, le Saint-Graal, et les fées et les enchanteurs et les enchantements, sont Robert de Boron, Chrétien de Troyes et les auteurs de Merlin et de Tristan. Robert de Boron, qui vivait au XIIe siècle ou au commencement du XIII, avait écrit sur le Saint-Graal un grand poème dont il ne nous reste que la première partie, sous le titre de Joseph d'Arimathie. Son frère, Hélie de Boron, écrivit le roman de Giron le courtois. Chrétien de Troyes, très lettré, versé dans les choses antiques, traducteur d'Ovide, sur l'ordre de la comtesse de Champagne, Marie, fille de Louis VII et d'Éléonore d'Aquitaine, mit en vers les belles légendes de Lancelot, du Chevalier au lion, de Perceval le Gallois, d'Erec, de Cligès. Ces histoires sont touchantes et d'un caractère élevé. Perceval est le type du chevalier pieux et mystique, l'idéal à proposer plus tard aux chevaliers de Malte. Son histoire est une sorte d'ascension continue vers la vertu sublime et la perfection. Il subit d'abord, par nombre d'aventures, comme les épreuves d'initiation à la chevalerie; puis, quand il a ainsi obtenu l'honneur de s'asseoir à la « Table Ronde », il recommence; il fournit une nouvelle carrière à la recherche du Saint-Graal; il le trouve, en obtient la garde, veille longtemps sur ce dépôt sacré, et c'est le second

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