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voyageuse et appelé partout par le désir de voir quelque chose, il alla successivement en Écosse auprès des Douglas, à Bordeaux avec le Prince Noir, en Italie avec le duc de Clarence. Il voit Bologne, Ferrare, Rome, la Savoie. Revenu dans son pays, il est curé des Estinnes au Mont, près de Mons, puis chanoine de Chimay et chapelain du comte de Blois. Avec celui-ci il vient en France et y séjourne de 1384 à 1386. Et c'est ensuite voyage en Flandre, voyage en Auvergne, voyage en Béarn auprès de Gaston Phoebus; voyage à Avignon, à Paris, en Hollande, en Languedoc, en Berri, en Zélande, et encore à Paris, et encore en Angleterre, jusqu'au moment où la vieillesse seule a raison de lui et le fixe à Valenciennes jusqu'à sa mort, entre 1400 et 1410.

Nul homme n'a vu plus de pays et surtout ne chevaucha davantage. Dans les intervalles de ses voyages et même au cours de ses excursions, il rédigeait la chronique de son temps et faisait des vers. C'étaient lais, virelais, rondeaux et petits poèmes galants, sentimentaux ou allégoriques. C'était li Horloge amoureux, li Débat du cheval et du lévrier, li Trettié de l'épinette amoureuse, li Foli buisson de Fonèce, li Paradis d'amor, li foli mois de mai, très aimable éloge du printemps, etc. Fraîcheur, grâce, coloris et surtout naturel, c'est ce qu'on trouve dans ces rêveries aimables. Soit qu'il fasse dialoguer son cheval avec le lévrier qui gambade autour de lui, soit qu'il dialogue lui-même, d'un air mélancolique qu'on peut se figurer, avec le dernier florin qui reste dans sa bourse, il a une gaieté malicieuse de page qui charme ou au moins fait sourire. Des subtilités compassées et laborieuses, on en trouvera, comme dans l'Horloge d'amour, où il compare pièce à pièce le cœur de l'homme à une pendule. Mais ses

recherches elles-mêmes ont un air de facilité et son tour est toujours aisé et élégant. N'est-ce pas la plus jolie ballade que nous ayons eu en France avant Villon que celle-ci?

Sur toutes fleurs tient on la rose belle

Et en après, je crois, la violette,

La fleur de lis est belle et la perselle

La fleur de glay (glaïeul) est plaisante et parfette
Et plusieurs sont qui aiment l'anc„lie,

Le pyomer, le muguet, la soussie;
Chacune fleur a par soi son mérite;

Mais je vous dit, tant que pour ma partie,
Sur toutes fleurs j'aime la marguerite.

Car ou temps pleuve, ou grésille ou il gelle,
Soit la saison ou fresche ou laide ou nette,
Cette fleur est gracieuse et nouvelle,

Douce et plaisante, blanchette et vermillette;
Close est à point, ouverte et épanie,

Ja ni sera morte ni apalie.

Toute beauté est dedans li écrite;

Et pour un temps quand bien j'y étudie,
Sur toute fleur j'aime la marguerite.

Mais trop grand deuil me croit et renouvelle,
Quand me souvient de la douce fleurette;
Car enclose est dedans une tourelle,

A une haie au devant d'elle faite,

Qui nuit et jour m'empêche et contrarie;
Mais si Amour veut être à mon aye (aide),

Jà, pour creneau, pour tour et pour garite,
Je ne laira qu'à occoison ne die :

Sur toutes fleurs j'aime la marguerite.

Christine de Pisan, qui a beaucoup moins de valeur que Froissart comme historien, en a moins aussi comme poète. C'était la fille d'un homme assez singulier, Thomas de Pisan, qu'on a nommé aussi Thomas de Bologne. Ce Thomas était médecin, astrologue et très véhémentement

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soupçonné de sorcellerie. Il faisait des prophéties, composait des philtres pour Charles V et pour le duc de Bourgogne; il fit un traité sur la pierre philosophale. C'était un docteur ès sciences occultes. Sa fille chercha moins loin et peut-être fit mieux. Elle était née à Venise vers 1363 et avait été amenée en France par son père à l'âge de cinq ans. Mariée à quinze ans et veuve à vingt-cinq, elle écrivit pour vivre, offrant ses ouvrages au roi et aux grands seigneurs qui avaient connu son père et l'avaient vue elle-même élevée à la cour. En vers, elle a écrit, comme tous les poètes du temps, des lais, des rondeaux, des ballades, des dittiés. Douce, tendre, mélancolique, souvent charmante dans l'expression pudique des sentiments amoureux, elle ne laisse pas de dépasser quelquefois le cadre ordinaire des poésies du temps et d'écrire des poèmes politiques ou historiques. Tels le Chemin de longue étude, la Mutation de fortune, qui est une manière d'histoire universelle en vers. Tel encore le Dittié de Jeanne d'Arc, qui renferme quelques pages d'une admirable éloquence. Voici un fragment de ballade qui donnera une idée, et favorable, je crois, de sa manière dans le genre tendre :

Tant avez fait par votre grand douceur,
Très doux ami, que vous m'avez conquise,
Plus n'y convient, complainte ni clameur,
Jà n'y aura pour moi défense mise.
Amour le veut par sa douce maîtrise
Et moi aussi le veux; car se m'ait Dieux,

Au fort c'était foleur quand je m'avise
De refuser ami si gracieux.

(Dieu m'ait avec lui)

Christine de Pisan est morte vers 1430.

Avant de quitter la poésie lyrique et élégiaque, notons

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JEAN OKEGHEM, CHANTRE DE LA CHAPELLE DU ROI D'après une peinture d'un manuscrit contenant les Chants royaux du Puy de Rouen (1519-1528).

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