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Une considération générale termine ce premier livre; et elle a pour but d'établir que les Aperçus généraux d'Organisation qu'il renferme, sont universels, applicables à tous les pays; que si le climat, le sol, la situation géographique et autres circonstances du même genre, ralentissent en effet le développement de la raison, il est également certain que la nature du Gouvernement n'a pas une influence moins active et moins puissante; que cette influence du Gouvernement peut, elle seule, dans la vérité, contrebalancer avec avantage toutes les autres, et qu'il serait absurde dans tous les cas de penser que l'absence de l'ordre, l'imperfection des institutions, l'anarchie ou le despotisme pussent être utiles aux peuples assez peu éclairés pour pour n'avoir pu s'en garantir ou

s'en délivrer; et qu'un Gouvernement bien constitué pût être nuisible à ceux qui seraient assez heureux pour en obtenir le bienfait.

Cette considération a pour objet aussi de signaler, en les réduisant à leur juste valeur, les obstacles qui s'opposent à l'entier établissement des monarchies représentatives assises sur les bases les plus durables qu'elles puissent avoir, et de prouver que l'Europe entière se trouve aujourd'hui dans une position assez favorable pour qu'elle doive raisonnablement espérer de voir se réaliser ce triomphe de la raison, auquel tous les hommes amis de l'ordre et de la justice doivent chercher à coopérer, autant qu'il leur est possible de le faire.

<< La liberté, comme la santé, ainsi que le dit Helvétius, est un bien dont malheureusement on ne sent le prix qu'après l'avoir perdu; et les peuples, en général, trop peu occupés de sa conservation, ont, par leur incurie, trop souvent fourni à la tyrannie les moyens de les asservir » (a). L'expérience seule, en effet,

(a) Voy. ses OEuvres, tom. v, pag. 15.

rend les hommes prévoyants; mais, lorsqu'ils ont acquis l'expérience, le mal existe déja, et il est plus difficile de le détruire, qu'il ne l'eût été de le prévenir, si l'état de la science l'eût alors permis car les préjugés et la mauvaise foi, la résistance de ceux qui se croient spécialement favorisés par le désordre et les préjugés, créent de nouveaux obstacles. Ce sont eux qui s'opposent de tout leur pouvoir à la réforme des abus et au perfectionnement des institutions tendantes à les détruire. Aussi Aristippe disait-il, et l'on pourrait encore répéter après lui, que penser, c'est s'attirer la haine irréconciliable des ignorans, des faibles, des superstitieux, et sur-tout des hommes corrompus, qui tous se déclarent hautement contre ceux qui veulent saisir dans les choses ce qu'il y a de vrai et d'essentiel.

Ne croyons pas cependant que cet obstacle soit le plus grand et le premier de ceux qu'il importe de surmonter : car, puisque les hommes qui cherchent le plus

à maintenir les faux préjugés, les abus, l'ignorance et le désordre qui en résulte, n'ont pour la plupart, en cela, d'autres vues que celle de leur intérêt personnel, s'il est possible, comme il l'est en effet, de leur démontrer clairement qu'ils se trompent, et que, dans la réalité, ils agissent contre cet intérêt même, on peut parvenir par là à changer leur volonté et à vaincre leur résistance. « Plus on est ignorant, remarque encore fort judicieusement l'auteur du livre de l'Education de l'homme, moins on aperçoit de rapports entre le bonheur national et le sien » (a).

D'autres hommes réellement animés du sentiment de l'honneur et de l'amour du bien, mais que des opinions fausses et un jugement peu exercé égarent aussi, seraient encore plus facilement désarmés, si l'on détruisait l'erreur qui les retient enchaînés sous son joug.

(a) HELVÉTIUS, tom. 11, pag. 99.

Le premier, et peut-être le seul obstacle à surmonter, provient donc évidemment de la faiblesse de l'entendement humain, qui ne s'est pas encore assez appliqué à l'étude d'une science aussi vaste qu'importante; il provient de la difficulté que l'intelligence éprouve à pénétrer et embrasser dans leurs détails et leur ensemble tous les élémens de vérité qu'il est nécessaire de rassembler pour l'achèvement de l'édifice immense auquel il faut que les plus forts, ou à leur défaut, le plus grand nombre au moins coopèrent.

Or les choses à cet égard n'en sont pas restées précisément au même point. Des siècles se sont écoulés, il est vrai; mais nous avons déja pu remarquer que la civilisation a fait, sous plus d'un rapport, des progrès sensibles: et relativement à l'objet qui nous occupe en ce moment, depuis quelques années surtout, ceux qu'elle a obtenus, même dans les classes les plus hautes de la société peuvent être remarqués. Vers la fin du

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