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verait la souveraineté, ne se lierait plus aussi intimement avec l'intérêt général de la société; cet intérêt général ne serait plus aussi évident, aussi sensible; il serait facile de déguiser la vérité, d'environner le Gouvernement d'erreurs et de mensonges: car il est bien, à la vérité, des principes élémentaires et des bases éternelles, immuables, sur lesquels les hommes et les Gouvernemens, lorsqu'ils sont vraiment éclairés et de bonne foi, ne peuvent se méprendre (a); mais il existe aussi des intérêts de circonstances et de localités, qui ne se rattachent à ces bases et à ces principes élémentaires, que par des conséquences plus ou moins éloignées, indirectes et douteuses; et dont l'instruction, la sagesse et la bonne foi seules, ne peuvent mettre à même de juger sainement, si l'on ne voit et ne sent pas directement et par soi-même.

Lors donc qu'un peuple est devenu nombreux, que les limites de son territoire se sont étendues, les Gouvernemens démocratique et aristocratique simples et quelques-uns des Gou

(a) Voy. ci-dessus, ire part., liv. 1, 2 et 3.

vernemens théocratiques simples sont réellement dans l'impossibilité presque absolue d'exister; ils se trouvent naturellement, et par la force même des choses, changés, modifiés : et quant aux Gouvernemens olygarchique et despotique simples, et aux Gouvernemens théocratiques simples résidans entre les mains de quelques-uns seulement ou d'un seul, la prudence et le simple bon sens prescrivent de les éviter avec soin, en distinguant et séparant scrupuleusement les pouvoirs selon la nature de leurs attributions particulières, mais sans néanmoins les désunir et les isoler d'une manière nuisible à l'ensemble, à l'unité, et conséquemment aussi au bien général de la société.

Tel est en partie le grand problême que présente à résoudre l'organisation d'un bon Gouvernement; mais avant de fixer notre attention sur aucun des moyens possibles d'arriver à cette organisation, nous ajouterons à notre conviction sur la nécessité d'éviter le despotisme, c'est-à-dire la confusion des puissances constitutives sous quelque forme de Gouvernement simple qu'il se présente, en jetant

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un coup-d'œil rapide sur le double intérêt que les hommes en général ont dans la société, et sur la conclusion immédiate et nécessaire qu'il faut en tirer.

Dans la société, tout homme a deux intérêts distincts: l'un est un intérêt général et commun à la société entière; l'autre est un intérêt immédiat, direct ou personnel qui souvent peut, du moins en apparence, se trouver en opposition avec l'intérêt général.

Plus la société s'étend et s'accroit, et plus chaque individu est naturellement porté à suivre de préférence l'impulsion que lui imprime et la conduite que lui dicte l'intérêt personnel d'autant plus près, plus rapproché de lui, plus évident, plus sensible pour lui, que l'intérêt commun semble plus éloigné ou lui devient moins apparent.

Cette distinction existe pour ceux-mêmes entre les mains de qui l'autorité se rencontre. Ceux en qui réside cette autorité ont aussi, dans une société étendue et nombreuse, leur intérêt direct et personnel toujours présent et sensible, et un intérêt général et commun à la société, intérêt qui exige d'eux au contraire,

pour être aperçu, quelque réflexion, et pour être écouté, une sorte d'abnégation de celui qui les frappe le plus.

A la vérité, plus les rangs s'élèvent, et plus l'intérêt particulier doit réellement s'identifier avec l'intérêt général; mais on ne saurait cependant en disconvenir, cette manière de considérer les choses n'est pas commune à tous ceux qui sont appelés aux premiers rangs.

Malheureusement ceux-là même ne sont pas exempts des erreurs, des passions funestes, des égaremens, de l'imprévoyance attachés à la faiblesse de la nature humaine; malheureusement ils ne sont pas d'une nature supérieure, plus forte et plus parfaite que celle des autres hommes « Summi enim sunt, homines tamen »; et s'ils peuvent avoir quelquefois pour eux les avantages d'une meilleure éducation, ils sont aussi exposés trop souvent à en recevoir une plus mauvaise; ils sont d'ailleurs environnés des piéges de la flatterie et de la séduction, toujours en butte à leurs plus dangereux attraits, toujours exposés à négliger les conseils rigides. et sévères d'une froide et solide raison, pour

suivre avec irréflexion l'éclat brillant et passager des faux plaisirs, de l'erreur et des vices.

Mais admettons qu'un naturel heureux, les excellens résultats de l'éducation, la grandeur d'ame, l'élévation, la noblesse de caractère, le sentiment profond des hautes destinées qu'ils ont à remplir, celui des devoirs infinis et des sacrifices souvent pénibles qu'elles leur imposent, soutinssent constamment leur courage et leurs forces, et les missent à l'abri de tout égarement personnel.

Supposons encore qu'ils ne fussent jamais trompés par une partie de ceux qui les entourent, par cet essaim nombreux de flatteurs, de courtisans perfides, tout-à-la-fois superbes et rampans, orgueilleux et pleins de bassesse; - qui plus que tous les autres membres d'une société ne cherchent réellement à satisfaire que leurs petits intérêts; qui plus que tous les autres se jouent de l'utilité générale, ne songent qu'à briguer, pour eux ou pour les leurs, les places, les graces, les faveurs dont ils sont indignes; et qui trop souvent les obtiennent au grand préjudice de l'État et du

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