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s'abandonner à la tyrannie de la multitude aveugle et déréglée? Si un roi fait quelque entreprise, il est du moins en état d'écouter les autres ; mais le peuple est un monstre aveugle, qui n'a ni raison, ni capacité; il ne connaît ni la bienséance, ni la vertu, ni ses propres intérêts. Il fait toutes choses avec précipitation, sans jugement et sans ordre, et ressemble à un torrent qui marche avec rapidité, et à qui on ne peut donner des bornes; si on souhaite donc la perte des Perses, qu'on établisse parmi eux le gouvernement populaire. Pour moi, je suis d'avis qu'on fasse choix de quelques gens de bien, et qu'on mette entre leurs mains le gouvernement et la puissance. » Tel était le sentiment de Mégabyse.

Après lui, Darius s'exprima ainsi : « Il me semble qu'il y a beaucoup de justice dans le discours qu'a fait Mégabyse contre l'État populaire, mais que toute la raison n'est pas de son côté, quand il préfère le gouvernement d'un petit nombre à celui d'un seul ; il est constant qu'on ne peut rien imaginer de meilleur et de plus parfait, que le gouvernement d'un homme de bien. De plus, quand un seul est le maître, il est plus difficile que les ennemis découvrent les conseils et les entreprises secrètes. Quand le gouvernement est entre les mains de plusieurs, il est impossible d'empêcher que la haine et l'inimitié ne prennent naissance parmi eux; car comme chacun veut que son opinion soit suivie, ils

deviennent peu-à-peu ennemis.. L'émulation et la jalousie les divisent; ensuite leurs haines se portent jusqu'à l'excès; de là naissent les séditions, des séditions les meurtres, et enfin des meurtres et du sang on voit naître insensiblement un despote; ainsi le gouvernement tombe toujours entre les mains d'un seul. Dans l'État populaire il est impossible qu'il n'y ait pas beaucoup de corruption et de malice: il est vrai que l'égalité n'engendre aucune haine; mais elle fomente l'amitié entre les méchans, qui se soutiennent les uns les autres, jusqu'à ce que quelqu'un qui se sera rendu agréable au peuple, et qui aura acquis de l'autorité sur la multitude, découvre leurs trames et fasse voir leur perfidie: alors cet homme se montre véritablement monarque; et delà on peut reconnaître que la monarchie est le gouvernement le plus naturel, puisque les séditions de l'aristocratie, et la corruption de la démocratie nous font revenir également à l'unité de la puissance d'un seul.

Dans les siècles modernes, depuis long-temps aussi les publicistes les plus éclairés ont reconnu que la démocratie absolue a son despotisme comme tous les autres gouvernemens simples, et qu'en général tous ces gouvernemens ne sont, pour euxmêmes et pour la société, qu'inconvéniens, embarras et dangers.

« Dans une démocratie, dit Blackstone, où le droit de faire des lois réside dans la masse du

peuple, on doit espérer de trouver la vertu publique, ou la bonté d'intention, plus que chacune des deux autres qualités requises pour le gouvernement (suivant l'auteur, la sagesse et la puissance). Les assemblées populaires s'égarent dans leurs résolutions, et sont faibles dans l'exécution; mais en général elles ont l'intention de faire ce qui est juste et droit, et elles ont toujours un certain degré de patriotisme et d'esprit public. Dans les aristocraties, il doit y avoir plus de sagesse que dans les deux autres formes de gouvernement, puisqu'elles sont ou doivent être composées des citoyens les plus expérimentés; mais il s'y trouve moins de probité que dans une république, et moins de force que dans une monarchie. La monarchie est en effet le gouvernement le plus fort, puisque par la réunion complète des pouvoirs législatif et exécutif (ajoutez et judiciaire), le prince tient dans sa main tous les nerfs du gouvernement tissus ensemble; mais il peut faire usage de cette force pour des projets imprudens ou oppressifs; et c'est un danger toujours imminent (a). »

Nous développerons davantage par la suite toutes ces vérités; contentons-nous, quant à présent, de remarquer avec un autre publiciste « que que la concentration, des pouvoirs dans les mêmes mains est

(a) Comment. sur les lois angl. Disc. prélim. sect. II, tom. 1, Trad. sous presse de M. N. M. Chompré.

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précisément ce qui constitue le despotisme, et que la liberté ne gagne jamais rien à ce que ces pouvoir's ainsi confondus soient exercés par un certain nombre d'hommes, ou par un seul (a). » Lorsque le peuple athénien condamnait à mort ses généraux vainqueurs, disait le commissaire du Roi, à la tribune de la Chambre des députés, dans l'une des dernières sessions, lorsque le peuple athénien envoyait en exil le juste Aristide, lorsqu'il faisait avaler la ciguë à Socrate, le peuple athénien eût-il par ticipé tout entier à ces actes, ils n'en seraient pas moins des actes de tyrannie, tout aussi exécrables que ceux des Pisistrates ou des Critias (b). » Suivant l'auteur de la Défense des Constitutions américaines, A Florence où l'administration fut tourà-tour entre les mains des nobles, des grands, des communes, des plébéiens, de la populace, la passion de dominer fut dans tous la même, et le gou vernement de chacun de ces Ordres divers, dégénéra aussitôt en une tyrannie si insupportable, que l'histoire de cette ville n'est guère composée que de

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(a) Voy. JEFFERSON. Observations sur la Virginie: trad. de M. l'abbé MORELLET, pag. 251.

(b) Disc. prononcé par M. Cuvier, commissaire de S. M. pour la défense du projet de loi relatif aux élections, dans la chambre des députés, session de 1816; Moniteur du 29 décembre.

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révolutions et de passages de l'un à l'autre (a). Ailleurs il dit aussi judicieusement dans ce sens : «Chercher à distinguer avec Loiseau, Bossuet et plusieurs autres, entre le pouvoir despotique absolu, et le pouvoir tyrannique et arbitraire, c'est s'attacher à une pure chimère, qui ne peut rien avoir de réel ni de vrai (b). » — « Le meilleur gouvernement, comme s'exprime Burlamaqui, n'est ni une monarchie absolue, ni le gouvernement purement populaire : le premier est trop fort, il prend trop sur la liberté, et penche trop vers la tyrannie le second est trop faible, il livre trop les peuples à eux-mêmes, et il va à la confusion et à la licence (c). » On peut rattacher de même à ceci, quoique peut-être contre sa propre pensée, ce que dit ailleurs l'annotateur de ce grand publiciste : « L'esclavage vient de l'abus du pouvoir souverain: on peut en abuser dans les constitutions qu'on regarde comme les plus inaccessibles aux vices; car les vices de l'humanité sont dans l'ordre des choses. Ce n'est pas dans une monarchie (d) que les Camilles,

(a) JOHN ADAMS. Défense des constitutions américaines, tom. 11, lett. II, pag. II.

(b) Ibid.

(c) Principes du Droit de la N. et des Gens, tom. VI, 2o part., chap. 11, § vi, pag. 205.

(d) Entendez, ici et dans les passages qui précèdent, par

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