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PHILOSOPHIQUE

DE LA RÉVOLUTION

DE FRANCE.

SUITE DU LIVRE DIXIÈME.

CHAPITRE IX.

Opinion de Robespierre.

«PAR quelle fatalité, la question qui devrait

réunir le plus facilement tous les suffrages, ne paraît-elle que le signal des dissentions et des tempêtes? Je ne répéterai point qu'il est des formes sacrées, qui ne sont pas celles du barreau; qu'il est des principes supérieurs aux rubriques consacrées par les préjugés; que le véritable jugement d'un roi, c'est le mouvement spontanée d'un peuple fatigué de la tyrannie, qui brise le sceptre dans les mains du tyran qui l'opprime; c'est le plus équitable de tous les ju

1792.

AN 1.

gemens. Je ne vous répéterai pas que Louis était 1792 déjà condamné avant le décret où vous avez

prononcé qu'il serait jugé par vous. Je veux raisonner dans le systême qui paraît prévaloir; j'ajouterai même que je partage, avec le plus faible d'entre nous, les affections particulières qui peuvent intéresser en faveur de l'accusé. Inexorable, quand il s'agit de calculer d'une manière abstraite le degré de sévérité que la justice doit employer contre les ennemis des peuples, j'ai senti chanceler dans mon cœur la vertu républicaine, en présence du coupable humilié devant la puissance souveraine. La haîne des tyrans et l'amour de l'humanité ont une source commune dans le cœur de l'homme juste, qui aime son pays; mais la dernière preuve de dévoûment que les représentans du peuple doivent à la patrie, c'est d'immoler les mouvemens de la sensibilité naturelle au salut du peuple. La faible sensibilité qui sacrifie l'innocence au crime, est une cruauté ; la clémence qui compose avec la tyrannie, est une barbarie.

de

» Le motif qui vous force à vous occuper Louis, n'est pas le desir d'une vengeance indigne, mais la nécessité de cimenter la liberté par la punition du tyran. Tout systême de lenteur contrarie directemeut votre but. Il vaudrait mieux que vous eussiez oublié le soin de le punir, que de faire de son procès un ali

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ment de trouble. Chaque instant de retard amène pour nous un nouveau danger; les dé- AN 1. lais nourrissent au sein de cette assemblée , la sombre défiance, les soupçons cruels. La voix de la patrie vous presse de håter une décision qui importe à l'intéret suprême ; quel scrupule vous enchaîne, je n'en trouve les motifs, ni dans les principes des amis de l'humanité, ni dans ceux des philosophes, ni dans ceux des hommes d'Etat, ni même dans ceux des praticiens.

>> La procédure est arrivée à son dernier terme; l'accusé vous a déclaré qu'il n'avait plus rien à dire pour sa défense. Un malheureux, pris en flagrant délit, ou prévenu d'un crime ordinaire sur des preuves mille fois moins éclatantes, eût été condamné dans les vingtquatre heures.

» Fondateurs de la république, il y a longtems qu'en votre ame et conscience vous pouviez juger le tyran du peuple français ! Doutez-vous de ses crimes? Non, vous auriez douté de la nécessité de l'insurrection, vous feriez le procès de la nation elle-même.

Vous avez rendu deux décrets dilatoires, et peut-être vous êtes - vous déjà plusieurs fois reproché trop de faiblesse. C'est dans les premiers momens après l'insurrection que vos vues étaient plus saines, vos principes plus surs. Insensiblement yous vous éloignez peut-être,

sans le savoir, de la volonté générale ; telle est 1792. la pente malheureuse du cœur humain. En

voici un exemple frappant. Lorsque Louis, au retour de Varennes, fut mis en jugement de l'assemblée constituante, un cri général d'in-* dignation s'élevait contre lui, il n'y avait qu'une voix pour le condamner. Peu de tems après les idées changèrent, les sophismes, les intrigues prévalurent sur la justice; c'était un crime de réclamer contre lui la sévérité des lois à la tribune de l'assemblée nationale. Ceux qui demandent aujourd'hui, pour la seconde fois, la punition de ses attentats, furent alors persécutés, précisément parce qu'ils étaient restés en trop petit nombre fidèles aux principes sévères de la liberté. Louis seul était sacré ; les représentans du peuple qui l'accusaient, n'étaient que des factieux, des désorganisateurs. Le sang des meilleurs citoyens, le sang des femmes et des enfans coula pour lui sur l'autel de la patrie: sachons mettre à profit les leçons de l'expérience.

» Je n'ai pas cru à la nécessité de juger sans désemparer. Cependant cette mesure était justifiée par la morale. C'est soustraire les juges à toute influence étrangère, lorsqu'on les renferme seuls avec leur conscience et les preuves jusqu'au moment où ils auront prononcé leur sentence. Tel est le motif qui soumet les jurés, en Angleterre, à la gêne qu'on voulait yous im

poser. Je l'ai jugée superflue. La gloire de la convention nationale consiste à déployer un grand caractère, à immoler les préjugés serviles aux grands principes de la raison et de la philosophie. Je vois sa dignité s'éclipser à mesure que nous oublions cette énergie des maximes républicaines, pour nous égarer dans un dédale de chicanes ridicules, et que nos orateurs font faire à la nation un nouveau cours de monarchie.

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>> Votre vigueur sera la mesure de l'audace ou de la souplesse des despotes étrangers avec vous, elle sera le gage de votre servitude ou de votre liberté. La victoire décidera si vous êtes des rebelles ou les fondateurs d'un nouvel ordre de chose; c'est la grandeur de votre caractère qui vous assurera la victoire........ Mais que nous sommes loin du but, si elle peut dominer parmi nous, cette étrange opinion, que d'abord on eût à peine osé imaginer, qui ensuite a été soupçonnée, qui enfin a été hautement proposée !

» Nous avons d'abord paru inquiets sur les suites des délais que la marche de cette affaire pouvait entraîner, et il ne s'agit de rien moins aujourd'hui que de la rendre interminable! Nous redoutions les troubles que chaque moment de retard pouvait amener, et voilà qu'on nous garantit en quelque sorte le bouleversement de la république ! Eh! que nous im

AN 1.

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