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Le triomphe que Racine remporta dans cette occafion fur ce grand homme, fut peut-être moins l'effet de la préférence que méritoit fa piece, que des talents de Mademoiselle de Champmélé, qui joua avec les plus grands applaudiffements le rôle de Bérénice. Cette actrice, après avoir couru quelque temps la province, étoit venue débuter à Paris fur le théâtre du Marais. Elle n'avoit pas d'efprit mais on lui trouvoit un fens très-jufte, un grand ufage du monde beaucoup de douceur dans la converfation, une certaine naïveté aimable dans la façon de s'exprimer, qu'on préfere fouvent à un génie plus brillant. Elle avoit d'ailleurs un fon de voix gracieux & touchant, une taille grande & noble, & tant de graces qu'on eût dit qu'elle avoit cherché à les réunir toutes dans fa perfonne, afin de fe dédommager de la beauté qu'elle n'avoit pas. Un penchant décidé pour le théâtre lui tint d'abord lieu de talent. La Roque, l'un de fes camarades, fut le premier qui s'apperçut des difpofitions qu'elle avoit pour la déclamation, & il les cultiva fi heureufement qu'en moins de fix mois elle

se trouva en état de remplir les premiers rôles de la scene tragique.

Le théâtre de l'hôtel de Bourgogne étoit alors celui qui étoit le plus fuivi, parce que tous ceux qui couroient cette carriere fembloient, pour ainfi dire, s'accorder à y faire repréfenter toutes leurs pieces. Mademoifelle de Champmélé & fon mari voulurent y entrer. Le rôle d'Hermione dans Andromaque, par le quel elle débuta, étoit affurément celui qu'elle auroit dû le moins choifir, fi elle n'avoit pas eu un véritable talent, parce qu'il n'en eft guere au théâtre qui demande plus de fineffe, plus de délicateffe, & de cette foupleffe d'efprit qui ne force rien & qui donne à chaque fituation le développement qui lui eft propre. Racine fe défendit long-temps d'affifter à ce début, parce qu'il craignoit avec raifon de voir défigurer fon ouvrage. Il céda cependant aux importunités de ceux qui l'y entraînerent. Ses craintes fur les talents de la nouvelle actrice parurent d'abord fe confirmer. Mademoiselle de Champmélé ne rendit que très-foiblement les deux premiers actes; mais elle fe releva avec tant de

y

force dans les trois derniers, elle pandit tant de chaleur & de ce véritable enthoufiafme que donnent les paffions, qu'elle fut applaudie avec fureur.

Mademoiselle des Eillets, qui avoit fi bien réuffi dans le rôle d'Hermione lorfqu'Andromaque parut pour la premiere fois, fut témoin de ce fuccès. Elle fe crut oubliée pour jamais, tant elle parut perfuadée que fa concurrente avoit de génie & de talent pour la déclamation; il n'y a plus de des Eillets, difoitelle, en fortant de la comédie. Mademoiselle de Champmélé ne parvint cependant jamais à l'égaler tout à fait : ce qui faifoit dire à Louis XIV. qu'il auroit fallu que la des Fillets jouát dans cette piece les deux premiers actes, & la Champmélé les autres 1); voulant faire fentir que celle-ci avoit plus de feu pour rendre les emportements du perfonnage dans les der

1) Mademoiselle le Couvreur eft la feule actrice qui ait réuni au plus haut degré de perfection les talents de Mefdemoifelles des illets & Champmélé; elle joua le rôle d'Hermione fans autre modele que celui de fon génie,

niers actes de la piece, & l'autre plus de délicateffe & de fineffe. Seconde lettre fur Moliere & les comédiens de fon temps. Mercure de France, tom. I. pag. 1138 &

1139.

Racine fut un des premiers à féliciter Mademoiselle de Champmélé fur la réuffite. Tranfporté de joie & de plaifir, il courut à fa loge. La fatisfaction qu'éprouve un auteur qui a vu fes fentiments exprimés comme il les a conçus, fçait peu fe régler dans la maniere de fe produire. Racine tomba aux pieds de cette actrice; il lui fit des compliments fi flatteurs, qu'on regarda depuis fon affectation à la louer comme la premiere expreffion de l'amour qu'il eut dans la fuite pour elle. Dès ce moment il lui deftina tous fes premiers rôles; on difoit même qu'il les compofoit pour elle, & qu'il s'attachoit fur-tout à les affortir au genre de déclamation qu'elle s'étoit fait.

Je ne fçais pourquoi Louis Racine a voulu détruire l'opinion où l'on a toujours été que fon pere & Mademoiselle de Champmélé s'aimoient. Mémoires fur la vie de Jean Racine, page 109. Il eft, peut-être faux que Racine ait eu un fils

naturel

naturel de cette femme. Je n'examinerai point fur quel fondement porte ce fait, parce qu'il n'eft pas plus important que tout ce qui a donné lieu de l'avancer; mais ce que je dirai, c'eft que M. de Valincourt, qui étoit l'homme le plus inftruit fur la vie de Racine, Madame de Sévigné, Boileau, &c. ayant été perfuadés que ce poëte avoit été amoureux de cette actrice, c'eft une témérité de les contredire, & de n'employer, pour leur donner un démenti, que des raifonnements frivoles, des conjectures hafardées, dénuées de preuves & de tout fondement propre à les faire adopter. Le poëte le mieux fait pour exprimer la tendreffe, a dû conferver difficilement fon indifférence avec une femme aimable, quifçavoit embellir fes ouvrages & flatter continuellement fes fens & fon amour propre,

La paffion de Racine pour Mademoifelle de Champmélé fe foutint, à ce qu'on prétend, long-temps. On a dit cependant qu'elle écoutoit toujours les galanteries des différents feigneurs qu'elle féduifoit par fes talents. Une femme qui nous trompe ne néglige rien pour perfuader

Tome 1.

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