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» encore plus d'autorité, que la mort n'en » prendra sur vos cendres pour les dé» truire. On a besoin de votre nom pour » faire à nos descendants l'apologie de »notre siecle. Ils douteront au moins de » ses excès, quand ils sauront qu'il a pro» duit en votre personne ce que nos peres » avoient admiré dans les Du Guesclin, les » Bayard et les Dunois pour la gloire des »rois, le salut de la patrie, et l'honneur » de la vertu. »

Il n'y a personne qui, dans tous ces morceaux, ne reconnoisse le ton d'un orateur. Ces trois éloges funebres firent la réputation de la Rue; celui, sur-tout, du maréchal de Boufflers, passe pour son chefd'œuvre *. La Rue a moins d'art, plus d'éloquence naturelle, mais aussi moins d'éclat, et sur-tout moins d'imagination dans le style que Fléchier. Bossuet a créé une langue; Fléchiera embelli celle qu'on parloit avant lui; la Rue, dans son style négligé, tantôt familier et tantôt noble, sera plutôt cité comme orateur que comme grand écrivain. Le plus souvent il jette et abandonne ses idées sans s'en appercevoir, et l'expression naît d'elle-même. Cette négligence sied bien aux grands mouvements. Le sentiment, quand il est vif, commande à l'expression, et lui communique sa chaleur et sa force: mais

On a encore de lui l'oraison funebre de Bossuet, celle du premier maréchal de Noailles, mort en 1709, et celle de Henri de Bourbon, pere du grand Condé.

l'ame de la Rue n'est point en général assez passionnée pour soutenir toujours et colorer son langage. Enfin, c'est peut-être de tous les orateurs celui qui a le plus approché de la marche de Bossuet, mais il est loin de son élévation, comme de ses inégalités il n'est pas donné à tout le monde de tomber de si haut.

Pourquoi veux-tu être un autre que toimême ? disoit un philosophe à un ancien. C'est une leçon à tous les hommes; aux uns pour ne pas sortir de leur caractere, aux autres pour ne pas sortir de leur talent. Massillon, comme on sait, fut le dernier des hommes éloquents du siecle de Louis XIV. On le choisit aussi quelquefois pour célébrer des héros et des princes, à peu près comme la tendresse ou l'orgueil ont recours aux plus célebres artistes pour élever des mausolées. Mais ses succès en ce genre ne soutinrent pas sa réputation. Cet orateur si connu par son éloquence, tantôt persuasive et douce, tantôt forte et imposante, qui développoit si bien les foiblesses de l'homme et les devoirs des rois et qui, à la cour d'un jeune prince, parlant au nom des peuples comme au nom de Dieu, fut digne également de servir à tous deux d'interprete; cet orateur, qui sut peindre les vertus avec tant de charmes, et traça de la maniere la plus touchante le code de la bienfaisance et de l'humanité pour les grands, n'a pas, à beaucoup près, le même caractere

dans ses éloges funebres. On voit qu'il étoit plus fait pour instruire les rois que pour les célébrer: tant il est vrai que les plus grands talents ont des bornes dans les genres qui se touchent.

On a de lui les éloges d'un prince de Conti, du Dauphin, fils de Louis XIV de Louis XIV lui-même, et de madame mere du Régent. Le prince de Conti qu'il a loué, étoit ce petit-neveu du grand Condé, si fameux par son esprit, sa valeur et ses graces; qui à Steinkerque et à Nervinde déploya un courage si brillant; qui dans toute sa personne avoit cet éclat qui éblouit, et impose encore plus que le mérite; et que sa grande réputation et l'éloquence de l'abbé de Polignac placerent pendant quelques jours sur un trône. Cet éloge paroîtroit susceptible d'intérêt et de mouvement; mais il y en a peu. La maniere est petite et froide. L'orateur divise et subdivise. Il a l'air d'un homme qui craint de s'égarer, et qui se tient sans cesse à un fil. Ce n'est point du tout la marche de l'éloquence, qui est plus assurée d'elle-même, et suit tous ses mouvements avec une certaine fierté. La morale même qui est le principal mérite de l'ouvrage, y paroît rétrécie. Quelquefois elle a plus l'air de la finesse que de la grandeur. D'autres fois elle couvre et éclipse le sujet. Enfin ce sont trop souvent des réflexions qui au lieu de naître, et de forcer, pour ainsi dire, l'orateur, paroissent arrangées, que l'esprit fait de sang-froid, et

que l'ame des lecteurs reçoit de même L'éloge funebre du grand Dauphin, et celui de la duchesse d'Orléans sont dans le même genre. Mais celui de Louis XIV a un caractere un peu différent. Ce qui y domine, c'est une grande pompe, et une certaine majesté de style. Massillon y a prodigué toute la richesse de l'élocution et la magnificence des images. L'oreille est sédui-. te, mais l'ame demeure vuide. L'espece de grandeur qu'on croit appercevoir d'abord, n'est qu'une grandeur de décoration. D'ailleurs la marche est uniforme. Tout l'ouvrage est une suite de tableaux qui trop rapprochés, se nuisent pour l'effet. On n'ignore point qu'il y a un art de disperser les grandes masses pour que l'oeil se repose, et que l'imagination ait à désirer. Alors les intervalles même sont utiles, et ils préparent la beauté de ce qu'on ne voit point encore. Un autre défaut de cet éloge, et qui en diminue l'effet, c'est qu'on ne démêle pas bien l'espece de sentiment qui anime l'orateur : il a l'air, quand il loue, de s'être commandé l'admiration: mais l'admiration commandée est froide; et ce sentiment, comme on sait, ne se communique jamais que par enthousiasme.

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Au reste, ce défaut tient peut-être à un mérite de l'ouvrage, mérite d'autant plus estimable, qu'il ne se trouve dans aucune oraison funebre ni avant, ni après Massillon, et qu'il s'agissoit d'un roi et de

Louis XIV; c'est que l'orateur y parle assez ouvertement des foiblesses et des vices de celui qu'il est chargé de louer, et ne dissimule point que ce regne si brillant pour le prince a été souvent malheureux pour le peuple. Ce courage aussi respectable du moins que l'éloquence, et beaucoup plus rare, mérite d'être observé, et mériteroit sur-tout de servir de modele.

CHAPITRE X X X I I. Des éloges des hommes illustres du dix-sep tieme siecle, par Charles Perraut.

NOUS

OUS avons vu jusqu'à présent que dès qu'un homme en place, roi ou prince cardinal ou évêque, général d'armée ou ministre, enfin quiconque, ou avoit fait ou avoit dû faire de grandes choses, étoit mort, tout aussitôt un orateur sacré, nommé parla famille, s'emparoit de ce grand homme, et après avoir choisi un texte, fait un exorde ou trivial ou touchant, sur la vanité des · grandeurs de ce monde, divisé le mérite du mort en deux ou trois points, et chacun des trois points en quatre; après avoir parlé longuement de la généalogie, en disant qu'il n'en parleroit pas, faisoit ensuite le détail des grandes qualités que le mort avoit eues, ou qu'il devoit avoir, méloit à ces qualités des réflexions ou fines ou profon

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