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256 ŒUVRES DE THOMAS.

ajouta-t-il, qu'il ne reste plus rien de moi dans le monde, que ma mémoire parmi mes amis. Le roi, trop juste et trop sensible pour souscrire à cette demande, voulut donner à ses sujets l'exemple d'honorer ce grand homme, même lorsqu'il n'étoit plus. Son corps fut embaume, et transporté avec la plus grande pompe à Strasbourg, pour y être inhumé dans l'eglise luthérienne de S. Thomas. On l'avoit souvent sollicité à se faire catholique, mais il refusa toujours de changer de religion. Il ne voulut imiter Turenne que dans les combats. C'est ce qui fit dire à la reine, ce mot connu : C'est dommage qu'on ne puisse dire un de profundis pour celui qui a fait chanter tant de te Deum!

On prodigua à sa cendre tous ces honneurs funebres, si vains, lorsqu'ils ne sont accordés qu'aux titres et à la naissance, si respectables, lorsque c'est un hommage que la reconnoissance rend au mérite. Le beau mausolée dont le modele a déjà été admiré au Louvre, et qui doit être exécuté en marbre par le celebre Pigal, achévera de consacrer la reconnoissance du roi, et la gloire du maréchal.

SUR LE

MARECHAL

DE SA X E.

ON n'a présenté dans cet éloge le maréchal de Saxe que comme homme de guerre. C'est sous ce point de vue qu'il a mérité notre reconnoissance, et qu'il a été grand. Si, après avoir vu le héros, on veut connoître l'homme, voici quelques détails que son nom peut rendre intéressants.

On sait qu'il aima beaucoup les plaisirs, et qu'il ne fut pas toujours très-délicat sur le choix. Il avoit plutôt des goûts que des passions; et ces goûts se multiplioient, ou changeoient souvent. Sa morale sur cet objet ressembloit assez à 'celle des anciens héros dont il avoit la force. Son caractere fier et libre ne lui permettoit guere de s'assujettir à plaire; et il aimoit mieux commander l'amour que le mériter. Cependant au milieu de tous ces goûts, qu'on ne peut pas même trop honorer du nom d'attachements, il ne perdit jamais de vue sa profession. Par-tout où il alloit, il avoit une bibliotheque de guerre, et dans les moments même où il sembloit le plus occupé des plaisirs, il ne manquoit jamais de se retirer pour etudier au moins deux ou trois heures. Ce contraste d'une grande idée qui le suivoit par-tour, et d'amusements qui n'étoient pas toujours fort nobles, peut servir à faire connoître les hommes.

Étant encore jeune, il fut attaché à la célebre Le Couvreur, et se plaisoit beaucoup dans sa société. Follard, Polybe, et son génie firent son éducation pour la guerre. Mademoiselle Le Couvreur la fit pour les choses agréables. Elle lui fit lire la plupart de nos poëtes, lui apprit beaucoup de vers, et orna son esprit de cette littérature légere, qui à la vérité sied mieux à une actrice qu'à un héros, et qui est plutôt un agrément qu'un mérite. C'étoit Omphale qui paroit Hercule. Heureusement il eut mieux à faire dans la suite, que de cultiver ce genre d'éducation. Etant nommé duc de Curlande, et obligé de combattre la Pologne et la Russie, mademoiselle Le Couvreur mit ses pierreries en gage pour une somme de quarante mille francs qu'elle lui envoya. L'actrice capable d'un pareil trait, étoit digne de jouer Cornélie.

Le maréchal de Saxe, à la guerre, se délassoit presque tous les jours par les spectacles, des fatigues du commandement. Quelquefois on venoit lui rendre compte dans sa loge, des démarches des ennemis, il donnoit ses ordres, et se remettoit tranquillement à écouter la piece.

On sait que la veille d'une bataille étant au spectacle, l'acteur chargé d'annoncer, dit qu'on ne joueroit pas le lendemain à cause de la bataille, maist annonça la piece pour le jour d'après. Il falloit une victoire pour que les acteurs tinssent parole, et ils la tinrent. Il faut convenir que cette maniere de faire la guerre n'étoit guere celle des Scipions; mais le maréchal de Saxe avoit pris les mœurs de la nation qu'il commandoit. Il faisoit comme elle, un jeu des combats, et unissoit aux plaisirs un courage profond et calme, comme elle y a joint de tout temps un courage impétueux et brillant.

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Tout s'allie chez les hommes. On peut quelquefois aimer les plaisirs et être cruel; le maréchal de Saxe étoit humain. Il savoit respecter le sang des soldats et le ménageoit. Un jour un officier général lui montrant un poste qui pouvoit être utile ; « il ne vous coûtera pas, dit>il, plus de douze grenadiers. » Passe encore dit le maréchal, si c'étoit douze lieutenans-généraux. Sans doute par cette plaisanterie, il ne vouloit point blesser un corps d'officiers respectable, et qui, par leurs services comme par leur grade, sont la plupart destinés à commander. Il voulut seulement faire voir combien il ménageoit un corps de soldats célebre par sa valeur.

La nuit qui précéda la bataille de Raucoux, il étoit dans sa tente, triste et plongé dans une rêverie profonde. M. Sénac, avec qui dans ce moment il se trouvoit seul, lui demande le sujet de sa tristesse. Le maréchal lui répondit, en parodiant ces vers d'Andromaque :

Songe, songe, Sénac, à cette nuit cruelle,

Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle: Son ge aux cris des vainqueurs, songe aux cris des

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Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants, etc.

Il ajouta un moment après : Et tous ces soldats n'en savent rien encore. Ce mouvement d'un général qui dans le silence de la nuit s'attriste en pensant aux massacres du lendemain, et fait réflexion que de tant de milliers d'hommes qui dorment, une partie ne se réveillera que pour mourir, a quelque chose de profond, de sensible et de tendre qui n'est pas ordinaire.

Ce même homme qui s'attendrissoit sur le sort des soldats, faisoit valoir avec zele les services

des officiers, et les appuyoit à la cour, de tout son crédit. Il avoit pour le mérite militaire cette estime profonde et réfléchie, que doit avoir un homme qui ne s'est jamais occupé que, d'une idée. Ce sentiment ne l'empêcha point de rendre quelquefois des services d'un autre genre. Un jeune officier, dans un de ces moments où la crainte l'emporte sur le devoir, et où l'on consulte plus la nature que l'honneur, avoit disparu. Son absence avoit été remarquée. Tout se déchaînoit, les hommes braves, par estime pour sa valeur; ceux qui l'étoient moins, pour se persuader à eux-mêmes et aux autres qu'ils étoient fort au dessus d'une telle foiblesse, Le maréchal de Saxe l'apprend, dit qu'il a donné à cet officier une commission secrete, et le fait avertir de paroître publiquement le lendemain à son lever. L'officier s'y rend. Le maréchal va au devant de lui, lui parle quelque temps en secret, et le loue ensuite tout haut d'avoir rempli avec autant de promptitude que d'intelligence les ordres qu'il lui a donnés. Par cette conduite, il conserva un citoyen à l'état, sauva l'honneur d'une famille, et empêcha qu'une foiblesse d'un moment ne fit le malheur et la honte d'une vie entiere. Il n'est pas nécessaire d'ajouter que cet officier fut par la suite le plus brave des hommes.

Quelquefois il employoit dans ses propos une certaine sévérité militaire, qui tenoit à la hauteur d'un homme accoutumé à faire le sort des états. Il assiégeoit une place. On vint pour capituler. A la tête des députés étoit un homme qui se préparoit à lui faire un discours. « M. le » harangueur, dit le Maréchal, ce n'est point aux bourgeois à se mêler des querelles des >princes; point de discours.

Il étoit impossible que le maréchal de Saxe

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