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coup d'édits, quelques chansons, et point de panégyriques. Ajoutez qu'il y a des caracteres de princes qui, même avec des talents et des vertus, déconcertent pour ainsi dire l'éloge. On louoit sous Louis XIV, on plaisantoit sous le Régent. La nation gaie et légere préféroit alors un bon mot à cent panégyriques. D'ailleurs, le Régent avoit le secret des hommes et des cours. Son esprit l'avoit mis dans la confidence de tout, il connoissoit les petits ressorts des grandes choses, et il avoit le malheur de ne pouvoir être dupe de rien. Un philosophe derriere les coulisses rit presque toujours des battements de mains du par

terre.

Le cardinal Dubois, qui ne dut son élévation qu'à la bizarrerie des circonstances, qui ne mit pas même la décence à la place des moeurs, et qui eût avili les premieres places, si jamais la puissance chez les hommes pouvoit l'être, ne se respecta point assez pour se faire respecter. Malgré son pouvoir, il ne trouva point de panégyristes. Il n'en désira pas même. Quand le faux enthousiasme des éloges ne l'eût point ennuyé, cet enthousiasme l'eût fait rire, il se connoissoit. Il eut ce mépris de l'opinion publique, qui est le dernier vice dans un particulier, et le dernier crime dans un homme puissant.

Après lui, on ne travailla pas davantage dans le même genre, mais pour d'autre

raisons. Le cardinal de Fleuri fut modeste et simple. Il eut l'ambition de l'économie et de la paix, deux choses qui font le bonheur des états, mais qui n'ébranlent point les imaginations. Il ne cherchoit point à éblouir les hommes pour les subjuguer; il n'abusoit point pour se faire craindre. D'ailleurs, il n'étoit plus dans l'âge où les passions inquietes et ardentes veulent occuper fortement les ames. Il gouverna sans bruit, ne remua rien, et content d'être absolu, ne chercha ni le faste du pouvoir, ni le faste des éloges : tout fut calme comme lui.

Vers 1744, les esprits changerent. Il s'ouvrit une grande scene en Europe. Les dépouilles de la maison d'Autriche à partager, la France et l'Espagne unies contre l'Angleterre, la Hollande, la Sardaigne et l'Empire, une guerre importante, un jeune roi qui se montra à la tête de ses armées) les présages de l'espérance, les voeux des courtisans, enfin l'éclat des conquêtes et des victoires, et le caractere général de la nation, à qui il est bien plus aisé de ne pas sortir du repos que de s'arrêter dans son mouvement, tout donna aux esprits une sorte d'activité qu'ils n'avoient point eue peut-être depuis Louis XIV. La maladie du roi et sa convalescence acheverent d'enflammer le zele. On vit renaître les éloges en foule. Tous les talents s'exercerent. La poésie rentra dans son ancienne fonction,

celle de louer. L'ode ranima son enthou siasme presqu'éteint; on fut pathétique ou plaisant dans des épîtres; on tâcha de mettre de la grandeur sans ennui dans des poëmes.. On prononça avec pompe des discours éloquents, ou qui devoient l'être. Chaque jour voyoit naître et mourir des éloges nouveaux, en prose, en vers, gais, sérieux, harmonieux et brillants, ou durs et sans couleur, tous sûrs d'être lus un jour, et malheureusement la plupart presqu'aussi sûrs d'être oubliés le lendemain. Dans cette foule, il y eut pourtant des ouvrages qui furent distingués, et qui le mériterent. Il y en eut, quoiqu'en petit nombre, où le génie seconda le zele. Je n'en citerai que deux, que le nom seul de leur auteur suffiroit pour rendre célebres. L'un est le panégyrique de Louis XV, et l'autre l'éloge funebre des officiers morts dans la guerre de 1741. L'auteur de Mahomet et de Zaïre, le chantre de Henri IV, l'historien de Charles XII et de Louis XIV, voulut dans ces deux ouvrages célébrer des événements qui intéressoient la France et l'Europe, et honorer tour-à-tour le prince et les sujets.

Le panégyrique du roi est fondé sur les faits qui se sont passés depuis 1744 jusqu'en 1748; et cette époque, comme on sait, fut celle de nos victoires. Ce qu'il n'est pas inutile de remarquer, c'est que l'auteur se cacha pour louer son prince, comme l'envie

se cache pour calomnier. Mais les grands peintres n'ont pas besoin de mettre leurs noms à leurs tableaux; celui-ci fut reconnu à son coloris facile et brillant, à certains traits qui peignent les nations et les hommes, et sur-tout au caractere de philosophie et d'humanité répandu dans tout le cours de l'ouvrage.

On peut remarquer une différence singuliere entre ce panégyrique et celui de Louis XIV par Pélisson. Pélisson est presque toujours orateur, et l'on vcit qu'il veut l'être. Le panégyriste de Louis XV ne l'est jamais il semble éviter l'éloquence comme l'autre paroît la chercher. Son style toujours élégant et noble s'éleve au dessus du style ordinaire de l'histoire; mais il ne se permet nulle part ces mouvements, ces tours périodiques et harmonieux, qui semblent donner plus d'appareil aux idées et un air plus imposant au discours. Peut-être cette différence est-elle seulement l'ouvrage du goût. Sans doute le panégyriste a pensé que toute espece d'éloquence a un peu de faste, et que lorsque les événements ont de la grandeur, le ton doit être simple. Peut-être aussi cette différence tient-elle à celle des siecles. Tout peuple qui commence à avoir des orateurs, se passionne pour un art qu'il ne connoissoit point encore. Ainsi sous Louis XIV on mettoit un grand prix à l'éloquence. Harangue, compliment, ser mon, tout ce qui appartenoit ou sembloit

appartenir au style et aux formes oratoires fixoit l'attention. Patru qu'on ne lit plus, avoit alors des admirateurs : c'étoit la premiere curiosité d'un peuple étonné de ses richesses, et qui en jouit avec l'empressement que donne une fortune nouvelle. Il y a d'ailleurs, comme nous avons vu dans chaque époque, un certain niveau que prennent les esprits, les ames, les moeurs, la langue, le style même: tout tend vers ce niveau et s'en rapproche. Sous un regne où tout avoit une certaine pompe, où le souverain en imposoit par la dignité, et où l'admiration publique, sentiment presqu'habituel, devoit élever les expressions comme les idées, il semble que la maniere oratoire devoit être plus à la mode qu'un style moins soutenu, et par conséquent moins raproché de la dignité du maître. Placez deux orateurs, l'un à la cour d'un roi de Perse, l'autre à celle d'un roi de Sparte, il faudra que leur style soit différent. Peu-à-peu les imaginations en France se calmerent, la direction des esprits changea, et la réflexion qui médite prit la grace de l'enthousiasme qui sent. Alors s'éleverent deux écrivains d'un ordre distingué, mais nés tous deux avec cette justesse qui analyse et qui raisonne, bien plus qu'avec la chaleur qui fait les orateurs et les poëtes. Fontenelle et la Mothe, en donnant le ton à notre littérature, firent comme tous les lé gislateurs; ils donnerent des loix d'après

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