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Quelles differences de sens et de raison, quelle contrarieté d'imaginations, nous presente la diversité de nos passions? Quelle asseurance pouvons nous doncques prendre de chose si instable et si mobile, subiccte par sa condition à la maistrise du trouble, n'allant iamais qu'un pas forcé et emprunte? Si nostre iugement est en main à la maladie mesme et à la perturbation; si c'est de la folie et de la temerité, qu'il est tenu de recevoir l'impression des choses; quelle scureté pouvons nous attendre de luv?

N'y a il point de hardiesse à la philosophie d'estimer des hommes, qu'ils produisent leurs plus grands effects et plus approchants de la divinité, quand ils sont hors d'eux, et furieux, et insensez1? nous nous amendons par la privation de nostre raison et son assopissement; les deux voyes naturelles, pour entrer au cabinet des dieux, et y preveoir le cours des destinees, sont la fureur et le sommeil 2: cecy est plaisant à considerer; par la dislocation que les passions apportent à nostre raison, nous devenons vertueux; par son extirpation, que la fureur ou l'image de la mort apporte, nous devenons prophetes et devins. Iamais plus volontiers ie ne l'en creus. C'est un pur enthousiasme que la saincte Verité a inspiré en l'esprit philosophique, qui lui arrache, contre sa proposition, que l'estat tranquille de nostre ame, l'estat rassis, l'estat plus sain que la philosophie luy puisse acquerir, n'est pas son meilleur estat: nostre veillee est plus endormie que le dormir; nostre sagesse moins sage que la folie; nos songes valent mieulx que nos discours; la pire place que nous puissions prendre, c'est en nous. Mais pense elle pas que nous avons l'advisement de remarquer que la voix qui faict l'esprit, quand il est desprins de l'homme, si clairvoyant, si grand, si parfaict, et pendant qu'il est en l'homme, si terrestre, ignorant et tenebreux, c'est une voix partant de l'esprit qui est en l'homme terrestre, ignorant et tencbreux;

rer que l'ame est tranquille quand nulle passion ne peut l'émouvoir. Cic., Tusc., V. 6.

1 PLATON, Phédrus, pag, 244. C.

2 Cic., de Divinat., 1, 57. C.

3 La philosophie.

et, à cette cause, voix infiable' et incroyable?

le n'ay point grande experience de ces agitations vehementes, estant d'une complexion molle et poisante, desquelles la pluspart surprennent subitement nostre ame, sans luy donner loisir de se recognoistre; mais cette passion, qu'on dict estre produicte par l'oysifveté au cœur des ieunes hommes, quoyqu'elle s'achemine avecques loisir et d'un progrez mesuré, elle represente bien evidemment, à ceulx qui out essayé de s'opposer à son effort, la force de cette conversion et alteration que nostre iugement souffre. l'ay aultresfois entreprins de me tenir bandé pour la soustenir et rabbattre; car il s'en fault tant que ie sois de ceulx qui convient les vices, que ie ne les suys pas seulement, s'ils ne m'entraisnent: ie la sentois naistre, croistre, et s'augmenter en despit de ma resistance, et enfin, tout voyant et vivant, me saisir et posseder, de façon que, comme d'une yvresse, l'image des choses me commenceoit à paroistre aultre que de coustume; ie veoyois evidemment grossir et croistre les advantages du subiect que l'allois desirant, et les sentois aggrandir et enfler par le vent de mon imagination; les difficultez de mon entreprinse s'ayser et se planir2; mon discours et ma conscience se tirer arriere : mais, ce feu estant evaporé, tout à un instant, commé de la clarté d'un esclair, mon ame reprendre une aultre sorte de veue, aultre estat, et aultre iugement; les difficultez de la retraicte me sembler grandes et invincibles, et les mesmes choses de bien aultre goust et visage que la chaleur du desir ne me les avoit presentees : lequel plus veritablement? Pyrrho n'en sçait rien. Nous ne sommes iamais sans maladie : les fiebvres ont leur chauld et leur froid; des effects d'une passion ardente, nous retumbons aux effects d'une passion frilleuse : autant que ie m'estois iecté en avant, ie me relance d'autant en arriere :

Qualis ubi alterno procurrens gurgite pontus,
Nunc ruit ad terras, scopulosque superiacit undam
Spumeus, extremamque sinu perfundit arenam ;
Nunc rapidus reiro, alque æstu revoluta resorbens
Saxa, fugit, littusque vado labente relinquit 3.

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Sic volvenda ætas commutat tempora rerum :
Quod fuit in pretio, fit nullo denique honore;
Porro aliud succedit, et e contemptibus exit,
Inque dies magis appetitur, floretque repertum
Laudibus, et miro est mortales inter honore '.

Ainsi, quand il se presente à nous quelque
doctrine nouvelle, nous avons grande occasion
de nous en desfier, et de considerer qu'avant
qu'elle feust produicte, sa contraire estoit en
vogue; et, comme elle a esté renversee par
cette cy, il pourra naistre à l'advenir une tierce
invention qui chocquera de mesme la seconde.
Avant que les principes qu'Aristote a intro-
duicts 2 feussent en credit, d'aultres principes
contentoient la raison humaine, comme ceulx
cy nous contentent à cette heure. Quelles let-
tres ont ceulx cy, quel privilege particulier,
que le cours de nostre invention s'arreste à
eulx, et qu'à eulx appartienne pour tout le
temps advenir la possession de nostre creance?
ils ne sont non plus exempts du boutehors3,
qu'estoient leurs devanciers. Quand on me
presse d'un nouvel argument, c'est à moy à es-
timer que ce à quoy ie ne puis satisfaire, un
satisfera
y
car de croire toutes les ap-
parences desquelles nous ne pouvons nous des-
faire, c'est une grande simplesse; il en ad-
viendroit par là que tout le vulgaire, et nous
sommes touts du vulgaire, auroit sa creance

Or, de la cognoissance de cette mienne volubilité, i̇'ay, par accident, engendré en moy quelque constance d'opinion, et n'ay gueres alteré les miennes premieres et naturelles : car, quelque apparence qu'il y ayt en la nouvelleté, ie ne change pas ayseement, de peur que i'ay de perdre au change; et puisque ie ne suis pas capable de choisir, ie prends le chois d'aultruy, et me tiens en l'assiette où Dieu m'a mis: aultrement ie ne me sçaurois garder de rouler sans cesse. Ainsi me suis ie, par la grace de Dieu, conservé entier, sans agitation et trouble de conscience, aux anciennes creances de nostre religion, au travers de tant de sectes et de divisions que nostre siecle a produictes. Les escripts des anciens, ie dis les bons escripts, pleins et solides, me tentent et remuent quasi où ils veulent; celuy que i'ois me semble tousiours le plus roide; ie les treuve avoir raison chascun à son tour, quoiqu'ils se contrarient : cette aysance que les bons esprits ont de rendre ce qu'ils veulent vraysemblable, et qu'il n'est rien si estrange, à quoy ils n'entreprennent de donner assez de couleur pour tromper une simplicité pareille à la mienne, tre evidemment la foiblesse de leur preuve. Le ciel et les estoiles ont branslé trois mille ans; tout le monde l'avoit ainsi creu, iusques à ce que Cleanthes le samien 1, ou, selon Teophraste, Nicetas syracusien, s'advisa de main-contournable comme une girouette; car son tenir que c'estoit la terre qui se mouvoit, par le cercle oblique du zodiaque tournant à l'entour de son aixieu; et, de nostre temps, Copernicus a si bien fondé cette doctrine, qu'il s'en sert tresreglement à toutes les consequences astrologiennes : que prendrons nous de là, sinon qu'il ne nous doibt chaloir lequel ce soit des deux? et qui sçait qu'une tierce opinion, d'ici à mille aus, ne renverse les deux precedentes?

cela mon

vers la terre, inonde les rochers d'écume, et va couvrir la grève la plus éloignée; tantôt, retournant sur elle-même, entraîne dans son reflux rapide les pierres qu'elle avoit apportées, et, abaissant ses eaux, laisse la plage à découvert. VIRG., Énéid.,

XI, 624.

'PLUTARQUE, de la Face de la lune, c. 4. Mais comme il n'y a point de Cléanthe Samien, et que cette opinion astronomique fut celle d'Aristarque de Samos, Coste propose avec raison d'adopter dans Plutarque la correction faite par Ménage, ad Diog. Laert., VIII, 85. Il auroit dû remarquer aussi que les meilleurs interprètes de Cicéron, Acad., II, 59, lisent Hicelas au licu de Nicetas. J. V. L.

aultre

ame, estant molle et sans resistance, seroit forcee de recevoir sans cesse aultres et aultres impressions, la derniere effaceant tousiours la trace de la precedente. Celuy qui se treuve foible, il doit respondre, suyvant la practique, qu'il en parlera à son conseil; ou s'en rapporter aux plus sages desquels il a receu son apprentissage. Combien y a il que la medecine est au monde? On dict qu'un nouveau venu, qu'on nomme Paracelse 4, change et renverse

Ainsi le temps change le prix des choses : ce qui fut estimé tombe dans le mépris; tandis que l'objet d'un long dédain s’é lève, et est estimé à son tour: on le desire de plus en plus, on le vante, on l'admire, et il se place au premier rang dans l'opinion des hommes. LUCRÈCE, V, 1275.

2 De matière, forme, et privation. Édit. de 1588, fol. 240

verso.

3 D'étre deboutés, jetés dehors, chassés.

4 Fameux alchimiste, né dans le canton de Schwitz en 1495. Appelé en 1526 à une chaire de l'université de Bâle, il commença par brûler publiquement les ouvrages d'Avicenne et de

tout l'ordre des regles anciennes, et maintient | et de leur raison que pour ruyner l'apparence de l'experience: et est merveille iusques où la soupplesse de notre raison les a suyvis à ce desseing de combattre l'evidence des effects; car ils verifient que nous ne nous mouvons pas, que nous ne parlons pas, qu'il n'y a point de poisant ou de chauld, avecques une pareille force d'argumentations que nous verifions les choses plus vraysemblables. Ptolemeus, qui a esté un grand personnage, avoit estably les bornes de nostre monde; touts les philosophes anciens ont pensé en tenir la mesure, sauf quelques isles escartees qui pouvoient eschapper à leur cognoissance; c'eust esté pyrrhoniser, il y a mille ans, que de mettre en doubte la science de la cosmographie, et les opinions qui en estoient receues d'un chascun; c'estoit

que iusques à cette heure elle n'a servy qu'à faire mourir les hommes. Ic crois qu'il verifiera ayseement cela: mais de mettre ma vie à la preuve de sa nouvelle experience, ie treuve que ce ne seroit pas grand'sagesse. Il ne fault pas croire à chascun, dit le precepte, parce que chascun peult dire toutes choses. Un homme de cette profession de nouvelletez et de reformations physiques me disoit, il n'y a pas longtemps, que touts les anciens s'estoient notoirement mescomptez en la nature et mouvements des vents, ce qu'il me feroit tresevidemment toucher à la main, si ie voulois l'entendre. Aprez que i'eus eu un peu de patience à ouïr ses arguments qui avoient tout plein de verisimilitude, Comment doncques, lui feis ie, ceulx qui navigeoient soubs les lois de Theo-heresie d'advouer des antipodes : voylà de nosphraste alloient ils en occident, quand ils tiroient en levant? alloient ils à costé, ou à reculons?» « C'est la fortune, me respondit il: tant y a qu'ils se mecomptoient. Ie luy repliquay lors que l'aimois mieulx suyvre les effects que la raison. Or, ce sont choses qui se chocquent souvent et m'a lon dict qu'en la geometrie (qui pense avoir gaigné le hault poinct de certitude parmy les sciences), il se treuve des demonstrations inevitables, subvertisant la verité de l'experience comme Jacques Peletier 1 me disoit chez moy, qu'il avoit trouvé deux lignes s'acheminant l'une vers l'autre pour se ioindre, qu'il verifioit toutesfois ne pouvoir iamais, iusques à l'infinité, arriver à se toucher 2. Et les Pyrrhoniens ne se servent de leurs arguments

Galien, disant que les cordons de sa chaussure en savoient autant qu'eux. Il fut consulté par Érasme, et méprisé de presque tout le monde; il annonçoit la pierre philosophale, et il mourut à l'hôpital de Saltzbourg, en 1541. Le recueil volumineux de ses œuvres est un grimoire qu'on ne lit plus. J. V. L.

■ Jacques Peletier, mathématicien, poëte et grammairien, naquit au Mans en 4517, et mournt à Paris en 1382. Il mérita de son temps quelque célébrité, et fut lié aussi avec Théodore

de Bèze, Ronsard, Saint-Gelais, Fernel, etc. J. V. L.

C'est l'hyperbole, et les lignes droites, qui, ne pouvant arriver à se joindre à elle, ont été, pour cela même, nommées asymptotes. Voyez les Coniques d'Apollonius, liv. II, propos 4, et la propos. 14, où cet ancien mathématicien a démon

tré que les asymptotes et l'hyperbole ne peuvent jamais venir à se toucher, quoiqu'elles s'approchent l'une de l'autre à l'infini. Les mathématiciens n'ont pas besoin qu'on leur développe cette démonstration, qu'ils reconnoissent tous pour incontestable; et ceux qui ne le sont pas, doivent s'en rapporter à la décision des savants C.

tre siecle une grandeur infinie de terre ferme, non pas une isle ou une contree particuliere, mais une partie eguale à peu prez en grandeur à celle que nous cognoissions, qui vient d'estre descouverte. Les geographes de ce temps ne faillent pas d'asseurer que meshuy tout est trouvé, et que tout est veu;

Nam quod adest præsto, placet, et pollere videtur '. Scavoir mon 2, si Ptolemee s'y est trompé aultresfois, sur les fondements de sa raison, si ce ne seroit pas sottise de me fier maintenant à ce que ceulx cy en disent; et s'il n'est plus vraysemblable que ce grand corps, que nous appellons le Monde, est chose bien aultre que nous ne iugeons.

Platon dict qu'il change de visage à touts sens; que le ciel, les estoiles et le soleil renversent par fois le mouvement que nous y veoyons, changeant l'orient en occident. Les presbtres acgyptiens dirent à Herodote 1, que depuis leur premier roy, de quoy il y avoit onze mille tant d'ans (et de touts leurs roys ils luy feirent veoir les effigies en statues tirees aprez le vif), le soleil avoit changé quatre fois de route; Que la mer et la terre se changent alternatifvement l'une en l'aultre; Que la naissance

1 Car on se plaît dans ce qu'on a, et on le croit préférable tout le reste. LUCRÈCE, V, 4411.

2 C'est-à-dire, il reste présentement à savoir.

3 Dans le dialogue intitulé, le Politique, pag. 269. C.

4 HERODOTE, II, 142, 143, etc. J. V. L.

du monde est indetermince: Aristote, Cicero, | Saïs ont des memoires par escript de huict mille

de mesme et quelqu'un d'entre nous, Qu'il
est de toute eternité, mortel, et renaissant à
plusieurs vicissitudes, appellant à tesmoing Sa-
lomon et Esaïe; pour eviter ces oppositions,
que Dieu a esté quelquesfois createur sans crea-
ture; qu'il a esté oysif; qu'il s'est desdict de
son oysifveté, mettant la main à cet ouvrage;
et qu'il est par consequent subiect aux change-
ments. En la plus fameuse des escholes grec-
ques', le monde est tenu pour un dieu, faict
par un aultre dieu plus grand, et est composé
d'un corps, et d'un' ame qui loge en son cen-
tre, s'espandant, par nombres de musique, à sa
circonference; divin, tresheureux, tresgrand,
tressage, eternel: en luy sont d'aultres dieux,
la terre, la mer, les astres, qui s'entretiennent
d'une harmonieuse et perpetuelle agitation et
danse divine; tantost se rencontrants, tantost
s'esloingnants, se cachants, montrants, chan-
geants de reng, ores d'avant, et ores derriere.
Heraclitus 2 establissoit le monde estre composé
par feu; et, par l'ordre des destinees, se deb-
voir enflammer et resouldre en feu quelque
iour, et quelque iour encores renaistre. Et des
hommes dict Apuleius, sigillatim mortales,
· 4
cunctim perpetui 3. Alexandre escrivit à sa
mere la narration d'un presbtre aegyptien, ti-
ree de leurs monuments, tesmoignant l'anti-
quité de cette nation, infinie, et comprenant la
naissance et progrez des aultres pays au vray.
Cicero et Diodorus 5 disent, de leur temps, que
les Chaldeens tenoient registre de quatre cents
mille tant d'ans: Aristote, Pline 6, et aultres,
que Zoroastre vivoit six mille ans avant l'aage
de Platon. Platon dict 7 que ceulx de la ville de

'Celle de Platon. Voy. le Timée. J. V. L. 'DIOGÈNE LAERCE, IX, 8. C.

3 Comme individus, ils sont mortels, comme espèce, immortels. APULÉE, de Deo Socratis.

4 Sur cette lettre d'Alexandre, aujourd'hui perdue, on peut consulter saint Augustin, de Civ. Dei, VIII. 5; XII, 10; de Consensu evangelist., 1, 23; saint Cyprien, de Vanit. idol., c. 21; Minucius Félix, Octav., c. 21; J. A Fabricius, Biblioth. Græc., II, 10, 17. Le prêtre égyptien dont il étoit parlé dans cette lettre se nommoit Léon. Le savant Jablonsky, Prolegom. ad. Panth. Egypt., 45, 46, croit que la lettre même étoit un ouvrage apocryphe des premiers chrétiens. J. V. L. 5 CIC., de Divinat., I, 19; DIODORE, II, 34. C.

6 Nat. Hist., XXX, 4. C.

7 Dans son Timée, pag. 524. C.

ans, et qué la ville d'Athenes feust bastie mille ans avant ladicte ville de Saïs: Epicurus, qu'en mesme temps que les choses sont icy, comme nous les veoyons, elles sont toutes pareilles et en mesme façon en plusieurs aultres mondes ; ce qu'il eust dict plus asseureement, s'il eust veu les similitudes et convenances de ce nouveau monde des Indes occidentales avecques le nostre present et passé, en de si estranges exemples.

En verité, considerant ce qui est venu à nostre science du cours de cette police terrestre, ie me suis souvent esmerveillé de veoir, en une tresgrande distance de lieux et de temps, les rencontres d'un si grand nombre d'opinions. populaires, monstrueuses, et des mœurs et creances sauvages, et qui, par aulcun biais, ne semblent tenir à nostre naturel discours. C'est un grand ouvrier de miracles, que l'esprit humain! Mais cette relation a ie ne sçay quoy encores de plus heteroclite: elle se treuve aussi en noms, et en mille aultres choses: car on y trouva des nations n'ayants, que nous sçachions, iamais ouï nouvelles de nous; où la circonsision estoit en credit; où il y avoit des estats et grandes polices maintenues par des femmes, sans hommes; où nos ieusnes et nostre caresme estoit representé, y adioustant l'abstinence des femmes: où nos croix estoient en diverses façons en credit; icy on en honoroit les sepultures; on les appliquoit là, et nommeement celle de sainct André, à se deffendre des visions nocturnes, et à les mettre sur les couches des enfants contre les enchantements; ailleurs, ils en rencontrerent une de bois, de grande haulteur, adoree pour dieu de la pluye, et celle là bien fort avant dans la terre ferme : on y trouva une bien expresse image de nos penitenciers; l'usage des mitres, le cœlibat des presbtres, l'art de deviner par les entrailles des

■ Montaigne entasse ici tous ces rapports, tels qu'il les a trouvés dans certaines Relations, sans se mettre en peine d'exam ner s'ils sont réels, ou uniquement fondés sur l'ignorance et la prévention des Espagnols. On peut voir encore ces prétendus rapports, détaillés à peu près de la même manière que Montaigne nous les donne ici, dans l'Histoire de la Conquête du Mexique, écrite par Antonio Solis; dans l'Histoire des Guerres civiles des Espagnols en Amérique, extraite du Commentaire royal de l'inca Garcilasso de la Vega, C.

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femmes et serviteurs, qui se presentent à l'envy à se brusler et enterrer avecques le mary ou maistre trespassé; loy que les aisnez succedent à tout le bien, et n'est reservé aulcune part au puisné, que d'obeïssance; coustume, à la promotion de certain office de grande auctorité, que celuy qui est promeu prend un nouveau nom et quitte le sien; de verser de la chaulx sur le genouil de l'enfant freschement nay, en luy disant, Tu es venu de pouldre, et retourneras en pouldre; › l'art des augures. Ces vains umbrages de nostre religion, qui se voyent en aulcuns de ces exemples, en tesmoiguent la dignité et la divinité : non seulement elle s'est aulcunement insinuee en toutes les nations infidelles de deça par quelque imitation, mais à ces barbares aussi comme par une commune et supernaturelle inspiration; car on y trouva aussi la creance du purgatoire, mais d'une forme nouvelle; ce que nous donnons au feu, ils le donnent au froid, et imaginent les ames et purgees et punies par la rigueur d'une extreme froidure: et m'advertit cet exemple, d'une aultre plaisante diversité; car, comme il s'y trouva des peuples qui aimoient à deffubler le bout de leur membre, et en retrenchoient la peau à la mahumetane et à la iuifve, il s'y en trouva d'aultres qui faisoient si grande conscience de le deffubler, qu'à tout des petits cordons is portoient leur peau bien soigneusement estiree et attachee au dessus, de peur que ce bout ne veist l'air; et de cette diversité aussi, que, comme nous honorons les roys et les fes

animaulx sacrifiez, l'abstinence de toute sorte de chair et de poisson, à leur vivre; la façon aux presbtres d'user, en officiant, dé langue particuliere et non vulgaire; et cette fantasie, que le premier dieu feust chassé par un second, son frere puisné : qu'ils furent creez avecques toutes commoditez, lesquelles on leur a depuis retrenchees pour leur peché; changé leur territoire, et empiré leur condition naturelle: qu'aultresfois ils ont esté submergez par l'inondation des eaux celestes; qu'il ne s'en sauva que peu de familles, qui se iecterent dans les haults creux des montaignes, lesquels creux ils boucherent, si que l'eau n'y entra point, ayant enfermé là dedans plusieurs sortes d'animaulx; que quand ils sentirent la pluye cesser, ils meirent hors des chiens, lesquels estants revenus nets et mouillez, ils iugerent l'eau n'estre encores gueres abbaissee; depuis, en ayant faict sortir d'aultres, et les voyants revenir bourbeux, ils sortirent repeupler le monde, qu'ils trouverent plein seulement de serpents: on rencontra, en quelque endroict, la persuasion du iour du iugement, de sorte qu'ils s'offensoient merveilleusement contre les Espai gnols, qui espandoient les os des trespassez en fouillant les richesses des sepultures, disants que ces os escartez ne se pourroient facilement reioindre; la traficque par eschange, et non aultre; foires et marchez pour cet effect; des nains et personnes difformes pour l'ornement des fables des princes; l'usage de la faulconnerie selon la nature de leurs oyseaux; subsides tyranniques; delicatesses de iardinages; dan- tes en nous parant des plus honnestes vesteses, saults basteleresques, musique d'instruments que nous ayons; en aulcunes regions, ments, armoiries; ieux de paulme, ieu de dez et de sort, auquel ils s'eschauffent souvent iusques à s'y iouer eulx mesmes et leur liberté; medecine non aultre que de charmes ; la forme d'escrire par figures; creance d'un seul premier homme pere de touts les peuples; adoration d'un Dieu qui vesquit aultrefois homme en par- Si nature enserre dans les termes de son faicte virginité, ieusne et penitence, preschant progrez ordinaire, comme toutes aultres chola loy de nature et des cerimonies de la reli- ses, aussi les creances, les iugements et opigion, et qui disparut du monde sans mort na- nions des hommes; si elles ont leur revolution, turelle; l'opinion des geants; l'usage de s'eny- leur saison, leur naissance, leur mort, comme vrer de leurs bruvages et de boire d'autant; les choulx; si le ciel les agite et les roule à sa ornements religieux peincts d'ossements et tes-poste, Quelle magistrale auctorité et permates de morts, surplis, eau beneicte, aspergez; nente leur allons nous attribuant? Si, par ex

pour montrer toute disparité et soubmission à leur roy, les subiects se presentoient à luy en leurs plus vils habillements, et entrants au palais prennent quelque vieille robe deschiree sur la leur bonne, à ce que tout le lustre et l'ornement soit au maistre. Mais suyvons.

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