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vont jusqu'à l'impossible. Toutefois il ne faut pas négliger ces détails; car ils attestent quel était dans ces temps reculés le goût de ces peuples, et ils sont comme une partie de leur esthétique, sans parler des renseignements qu'ils peuvent fournir à l'ethnographie. Cette nomenclature exacte de trente-deux signes et de quatre-vingts marques secondaires remonte aux premiers siècles du Bouddhisme, puisqu'elle se trouve dejà dans le Lalitavistára; elle a de plus une valeur égale chez les bouddhistes du sud et chez les bouddhistes du nord. C'est donc une partie importante, quoique tout extérieure, des croyances bouddhiques; on a voulu en faire en quelque sorte un signalement que peuvent vérifier les intelligences les plus vulgaires avant de donner leur foi.

M. E. Burnouf a consacré à cette étude un des appendices les plus considérables du Lotus de la bonne Loi. Il a pris la peine d'étudier et de comparer sept listes différentes données par des ouvrages népalais et singhalais.

Je ne veux pas énumérer un à un les trente deux signes, ni encore moins les quatre-vingts marques secondaires; je n'en citerai que les plus remarquables.

Le premier signe est une protubérance du crâne sur le sommet de la tête. Rien n'empêche de croire que cette singularité de conformation n'ait appartenu à Siddhârtha. Le second signe, c'est d'avoir des cheveux bouclés tournant vers la droite, d'un noir foncé, à reflets changeants. La chevelure tournée vers la droite rappelle sans doute l'acte du jeune prince coupant ses cheveux avec son glaive; et les boucles écourtées, que l'on avait prises à tort pour celles d'un nègre, confirment celte tradition, qui vivait encore chez les bouddhistes de Ceylan quand le colonel Mac

kensie les visitait en 1797. Ce second signe est tout aussi vraisemblable que le premier. Le troisième, qui est un front large et uni, ne l'est pas moins. Le quatrième, au contraire, semble de pure invention: c'est la fameuse touffe de poils, Oûrnâ, naissant entre les sourcils, et qui doit être blanche comme de la neige ou de l'argent. Suivent deux signes qui se rapportent aux yeux. Le Bouddha doit avoir des cils comme ceux de la génisse, et l'œil, d'un noir foncé. Les dents doivent être au nombre de quarante, égales, serrées et parfaitement blanches. La description passe ensuite à la voix, qui doit être celle de Brahma, à la langue, à la mâchoire, aux épaules, aux bras, qui doivent descendre jusqu'aux genoux, beauté que nous comprenons peu, mais que les poëmes indiens ne manquent jamais de donner à leurs héros; puis à la taille, aux poils, qui doivent être tous séparés et tournés vers la droite à leur extrémité supérieure; puis aux parties les plus secrètes du corps; de là aux jambes, aux doigts, aux mains, et enfin aux pieds, qui, entre autres signes, et outre le coup-de-pied saillant, doivent être parfaitement droits et bien posés.

Les quatre-vingts marques secondaires ne font qu'ajouter des caractères moins saillants aux trente-deux qui précèdent. Il y en a trois pour les ongles, trois pour les doigts, cinq pour les lignes de la main, dix pour les membres en général, cinq pour la démarche, trois pour les dents canines, une pour le nez, six pour les yeux, cinq pour les sourcils, trois pour les joues, neuf pour les chcveux, etc., etc.

Il ne faut pas attacher à toutes ces minuties plus d'importance qu'il ne convient; mais il ne faudrait pas non

plus les négliger entièrement. Quelques-unes ont donné naissance à des superstitions qui tiennent une grande place dans le Bouddhisme. Ainsi le trente et unième signe du grand homme, c'est d'avoir sous la plante des pieds une figure de roue. De là les bouddhistes de Ceylan, du Népal, du Birman, de Siam, du Laos, etc., ont cru apercevoir en divers lieux l'empreinte du pied du Bouddha. C'est le fameux Prabhât ou Çrîpâda, le pied bienheureux, dont une des traces les plus célèbres se trouve sur le pic d'Adam à Ceylan, et où la superstition singhalaise croit reconnaître jusqu'à soixante-cinq signes de bon augure.

J'ai tenu à entrer dans tous ces détails, à la fois sur la vie réelle de Çâkyamouni et sur sa légende, pour qu'on pût voir nettement les deux côtés du génie bouddhique. D'une part, une grandeur d'âme peu commune; une pureté morale presque accomplie, une charité sans bornes; une vie héroïque qui ne se dément pas un seul instant; de l'autre part, une superstition qui ne recule devant aucune extravagance, et qui ne se rachète que par une admiration enthousiaste pour la vertu et pour la science; des deux côtés, de très-nobles sentiments avec des erreurs déplorables: le salut du genre humain cherché avec une ardeur infatigable et la plus louable sincérité; et des chutes désastreuses, trop juste punition d'un orgueil qui ne s'est point connu, et d'un aveuglement que rien ne peut éclairer. Telles sont les deux faces les plus générales du Bouddhisme. Nous allons les retrouver dans sa morale et sa métaphysique.

CHAPITRE TROISIÈME

Caractère général de la morale bouddhique, d'après la rédaction canonique des Conciles; la Triple corbeille et les Trois précieux; les quatre vérités sublimes; les dix préceptes; les douze observances spéciales aux religieux sur le vêtement, la nourriture et le logement; les six vertus transcendantes, et les vertus secondaires; la confession, les devoirs de famille; la prédication. —Influence de la morale bouddhique sur les individus et sur les gouvernements; idéal du Bouddha; Poûrna; Kounâla; Vâsavadattâ et Oupagoupta; les rois Bimbisâra, Adjâtaçatrou et Açoka; édits moraux de Piyadasi, répandus dans l'Inde entière; voyages des pèlerins chinois au cinquième et au septième siècle de notre ère, Fa-Hien et Hiouen-Thsang.

Bien que Çakyamouni soit un philosophe, et qu'il n'ait jamais prétendu être autre chose, on aurait tort d'attendre de lui un système méthodique et régulier. Il a prêché toute sa vie; et, en s'adressant à la foule, il n'a pas dû employer les formes sévères que la science demande, mais que n'auraient point comprises ses nombreux auditeurs, et que le génie brahmanique lui-même n'a que fort imparfaitement employées. Chargé, par la mission qu'il s'était donnée, de sauver le genre humain et les créatures, ou mieux encore les êtres et l'univers entier, l'ascèle doit prendre un langage accessible à tous, c'est-à-dire le plus simple possible et le plus vulgaire1.

1 M. E. Burnouf a remarqué avec sa sagacité ordinaire que cette condition

Ainsi les idées du Bouddha, quoique très-arrêtées dans son propre esprit, quoique toutes-puissantes sur l'esprit de ses adeptes, ont été peu précises dans la forme. Le Bouddha lui-même n'avait rien écrit, et ce furent ses principaux adhérents qui, réunis en concile, aussitôt après sa mort, fixèrent dans les Soûtras les paroles du maître et la doctrine qui, tout à l'heure, allait devenir un dogme. Deux autres conciles, après le premier, rédigèrent définitivement les écritures canoniques telles que nous les avons, et que les reçurent, en les traduisant, tous les peuples soumis au Bouddhisme. Ce travail de rédaction successive était fini deux siècles au moins avant notre ère.

On sait d'ailleurs que le premier concile réuni à Râdjagriha, dans le Magadha, sous la protection d'Adjâtaçatrou, partagea les écritures canoniques en trois grandes classes que ne changèrent point les rédactions subséquentes les Soûtras ou discours du Bouddha, le Vinaya ou la discipline, l'Abhidharma ou la métaphysique. Ananda fut chargé de compiler les Soûtras; Oupâli, le Vinaya; et Kâçyapa, qui avait dirigé toutes les délibérations, se réserva la métaphysique. Les Soûtras, le Vinaya et l'Abhidharma forment ce qu'on appelle le Tripitaka, ou la Triple corbeille, de même que le Bouddha, la Loi, et l'Assemblée forment le Triratna, ou les Trois Perles, les Trois Précieux. Les Soûtras, qu'on nomme aussi Bouddha-våtchana ou parole du Bouddha, et Moûlagrantha, le Livre du texte, sont considérés avec toute raison par les bouddhistes du nord comme les

nécessaire du bouddhisme expliquait son infériorité littéraire à l'égard du brahmanisme. L'art, sous toutes ses formes, est resté à peu près inconnu du bouddhisme, et l'art du style, en particulier, lui est complétement étranger. La lecture des soûtras est presque insoutenable.

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