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comme on voulait le lui faire espérer ; et quelque préparée qu'elle fût à cette affreuse séparation, elle ne pouvait s'en consoler, malgré le glorieux avenir de son mari, que lui rappelait le fidèle Tchhandaka.

Après avoir séjourné chez plusieurs brahmanes, qui lui offrirent successivement l'hospitalité, le jeune prince arriva de proche en proche dans la grande ville de Vaiçâli. Il avait à se préparer encore à la longue lutte qu'il allait engager avec la doctrine brahmanique. Trop modeste pour se croire déjà en état de vaincre, il voulut se mettre luimême à l'épreuve, et savoir en même temps ce que valait précisément cette doctrine. Il alla trouver le brahmanc Arâta Kâlâma, qui passait pour le plus savant des maîtres, et qui n'avait pas moins de trois cents disciples, sans compter une foule d'auditeurs. La beauté du jeune homme, quand il parut pour la première fois dans cette grande assemblée, frappa tous les assistants d'admiration, à commencer par Kâlâma lui-même; mais bientôt il admira davantage encore la science de Sidhhârtha, et il le pria de partager avec lui le fardeau de l'enseignement. Mais le jeune sage se disait déjà :

« Cette doctrine d'Arâta n'est pas vraiment libératrice; « la pratiquer n'est pas une vraie libération, ni un épui« sement complet de la misère. » Puis il ajoutait dans son cœur: «En perfectionnant cette doctrine, qui consiste « dans la pauvreté et la restriction des sens, je parvien«drai à la vraie délivrance; mais il me faut encore de plus grandes recherches. >>

Il resta donc quelque temps à Vaiçâlî. En la quittant, il s'avança dans le pays de Magadha jusqu'à Râdjagriha, qui en était la capitale. La réputation de sa sagesse et de

sa beauté l'y avait précédé; et le peuple, frappé d'étonnement de voir une telle abnégation dans un si beau jeune homme, se porta en foule à sa rencontre. La multitude qui ce jour-là remplissait les rues de la ville, cessa, dit la légende, ses achats et ses ventes, et s'abstint même de boire des liqueurs et du vin, pour aller contempler le noble mendiant qui venait quêter l'aumône. Le roi luimême, Bimbisâra, l'apercevant des fenêtres de son palais où l'avait amené cette émotion populaire, le fit observer jusqu'au lieu de sa retraite sur le penchant du mont Pandava; et dès le lendemain matin, pour lui faire honneur, il s'y rendit de sa personne, accompagné d'une suite nombreuse. Bimbisára était du même âge à peu près que Siddhartha ; et profondément ému de la condition étrange où il voyait le jeune prince, charmé de ses discours à la fois si élevés et si simples, touché de sa magnanimité et de sa vertu, il fut dès ce moment gagné à sa cause, et il ne cessa de le protéger durant tout son règne. Mais ses offres les plus séduisantes ne purent ébranler le nouvel ascète; et après avoir demeuré assez longtemps dans la capitale, Siddhartha se retira loin du bruit et de la foule sur les bords de la rivière Nairandjanâ, la Phalgou de la géographie actuelle.

Si l'on en croit le Mahavamça, cette chronique singhalaise, rédigée en vers au cinquième siècle de notre ère, par Mahânȧma, qui la composa sur les plus anciens documents bouddhiques, le roi Bimbisâra se convertit au bouddhisme, ou, pour prendre les expressions mêmes de l'auteur, se réunit à la Congrégation du Vainqueur, dans la seizième année de son règne. Il était monté sur le trône à l'âge de quinze ans, et il n'en régna pas moins de cinquante-deux.

Son père était lié d'une amitié étroite avec le père de Siddhartha; et c'était là sans doute aussi un des motifs qui avaient disposé Bimbisâra à tant de bienveillance. Son fils Adjâtaçatrou, qui fut son assassin, ne partagea point d'abord ses sentiments pour le Bouddha, et il persécuta assez longtemps le novateur avant de recevoir sa doctrine, ainsi que nous le verrons plus tard.

Cependant, le Cramana-Gaoutama, malgré l'accueil enthousiaste qu'il recevait des peuples et des rois eux-mêmes, ne se croyait pas encore suffisamment prêt à sa grande mission. Il voulut faire une dernière et décisive épreuve des forces qu'il apporterait dans le combat. Ily avait à Râdjagriha un brahmane plus célèbre encore que celui de Vaiçâlî. Il se nommait Roudraka, fils de Râma, et il jouissait d'une renommée sans égale dans le vulgaire et même parmi les savants. Siddhârtha se rendit modestement auprès de lui, et lui demanda d'être son disciple. Après quelques entretiens, Roudraka, aussi sincère que l'avait été Arata-Kâlâma, fit de son disciple un égal, et l'établit dans une demeure d'instituteur, en lui disant : « Toi et moi nous enseignerons notre doctrine à cette << multitude. >> Ses disciples étaient au nombre de sept

cents.

Mais, comme à Vaiçâlî, la supériorité du jeune ascète ne tarda point à éclater, et bientôt il dut se séparer de Roudraka: «Ami, lui dit-il, cette voie ne conduit pas à «<l'indifférence pour les objets du monde, ne conduit pas

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à l'affranchissement de la passion, ne conduit pas à l'em« pèchement des vicissitudes de l'être, ne conduit pas au « calme, ne conduit pas à l'intelligence parfaite, ne con · « duit pas à l'état de çramana, ne conduit pas au Nirvana.

>>

Puis, en présence de tous les disciples de Roudraka, il so sépara de lui.

Parmi eux, il s'en trouva cinq qui, séduits par l'enseignement de Siddhartha et la clarté de ses leçons, quittèrent leur ancien maître pour suivre le réformateur. Ce furent ses premiers disciples. Ils étaient tous les cinq de bonne caste, comme le dit la légende. Siddhartha se retira d'abord avec eux sur le mont Gayâ; puis il revint sur les bords de la Nairandjanâ, dans un village nommé Ourouvilva, où il résolut de rester avec ses compagnons avant d'aller enseigner le monde. Désormais il était fixé sur la science des brahmanes; il en connaissait toute la portée ou plutôt toute l'insuffisance. Il se sentait plus fort qu'eux. Mais il lui restait à se fortifier contre lui-même; et bien qu'il désapprouvât les excès de l'ascétisme brahmanique, il résolut de se soumettre pendant plusieurs années aux austérités et aux mortifications. C'était peut-être un moyen de gagner une considération égale à celle des brahmanes auprès du vulgaire; mais c'était peut-être aussi un moyen de dompter ses sens.

Siddhartha avait vingt-neuf ans quand il quitta le palais de Kapilavastou.

Ourouvilva est illustre dans les fastes du bouddhisme par cette longue retraite, qui ne dura pas moins de six ans, et pendant laquelle Siddhartha se livra, sans que son courage faillit un seul instant, aux austérités les plus rudes <«< dont les Dieux eux-mêmes furent épouvantés. » Il y soutint contre ses propres passions les assauts les plus formidables, et nous verrons plus tard comment la légende a transformé ces luttes tout intérieures en combats où le démon Pâpiyan (le très-vicieux), avec toutes ses ruses et

ses violences, se trouve enfin terrassé et vaincu malgré son armée innombrable, sans avoir pu séduire ou effrayer le jeune ascète, qui, par sa vertu, détruisait l'empire de Mâra, le pêcheur.

Mais au bout de six ans de privations, de souffrances inouïes et de jeûnes accablants, Siddhartha, persuadé que. l'ascétisme n'était point la voie qui mène à l'intelligence accomplie, résolut de cesser des pratiques aussi insensċes, et il reprit une nourriture abondante, que lui apportait une jeune fille de village, nommée Soudjâtâ. Il recouvra en peu de temps ses forces et sa beauté détruites dans ces macérations affreuses. Mais ces cinq disciples, qui lui étaient restés fidèles et l'avaient imité pendant ces six années,-furent scandalisés de sa faiblesse ; ils le prirent en dédain, et l'abandonnèrent pour s'en aller à Bénarès, au lieu dit Rishipatana, où il devait lui-même les rejoindre bientôt.

Resté seul dans son ermitage d'Ourouvilva, Siddhartha continua ses méditations, en ralentissant ses austérités. C'est dans cette solitude qu'il acheva, selon toute apparence, d'arrêter pour jamais et les principes de son système et les règles de la discipline qu'il comptait proposer à ses adhérents. Il prit dès lors personnellement la tenue et les habitudes qu'il devait leur imposer plus tard; et, par son propre exemple, il crut devoir prévenir les résistances que ses préceptes rigoureux pourraient rencontrer parmi ses sectateurs même les plus enthousiastes. Depuis six ans qu'il errait de villes en villes, de forêts en forêts, le plus souvent sans abri, et ne reposant que sur le sol, les vêtements que le chasseur lui avait jadis cédés tombaient en lambeaux. Il fallait les renouveler; voici comment il

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