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liées qui se succèdent paisiblement pendant trois siècles, sur le trône de l'Empire; en Angleterre, familles qui règnent pendant sept cents ans; en France, trois dynasties qui occupent un intervalle de plus de treize siècles. Les descendans de Borivorius, en Bohême, et ceux de Geysas, en Hongrie, régnèrent plus de trois cents ans. Celle de Miceslas fut maintenue pendant plus de quatre cents* ans sur le trône de Pologne. Eric, le premier prince chrétien qui ait régné en Danemarck, laissa sur le trône une postérité qui étoit encore florissante cinq cents ans après lui. Avant le règne de Charlemagne, les Germains furent conquis plus de vingt fois par des nations étrangères ; devenus chrétiens, ils conservèrent leur indépendance pendant plus de dix siècles; enfin la religion chrétienne avoit besoin, pour être appréciée par les princes, de leur offrir encore un bel exemple de la stabilité des empires qui sont placés sous sa protection, elle pourroit citer l'heureuse famille de Recharède qui régna en Espagne pendant onze cents ans.

De toutes les monarchies européennes, celle qui a offert dans la suite des siècles l'exemple le plns déplorable de l'effet des passions humaines sur le sort des empires, celle qui a été tant de fois agitée, et qui se trouve aujourd'hui encore environnée de troubles, de révoltes, de soldats indisciplinés, de gouverneurs indociles qui se font payer au poids de l'or l'apparence seule de la soumission; celle, en un mot, qui ne cesse de voir ses monarques détrônés, ses princes captifs ou égorgés, ses soldats réglant les destinées du monarque et de l'Empire; en un mot, la monarchie ottomane semble avoir été placée par la Providence auprès des monarchies Tome V

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chrétiennes, pour apprendre à celles-ci que le bonheur et la durée des Etats ne peuvent être mieux assurés, que par la morale et la croyance du christianisme.

Concluons, par le témoignage éclatant que rendit au christianisme le général Wasingthon qui, en 1796, lorsqu'il résignoit la place de président des Etats-Unis d'Amérique, s'exprimoit ainsi : « La >> religion et la morale sont les bases nécessaires de >> toutes les dispositions et habitudes qui procurent >> le bonheur politique. Ce seroit en vain que les » éloges dus au patriotisme seroient réclamés par >> celui qui essaieroit de renverser ces deux grands >> appuis de la félicité humaine, ces guides de » l'homme et du citoyen. Celui qui n'est que po>>litique doit les respecter et les chérir, de même >> que celui qui n'est que pieux. Un volume ne suf>>firoit pas pour retracer tous les liens par lesquels » la religion et la morale tiennent au bonheur public » et au bonheur privé. Demandons simplement » quelle seroit la sûreté pour la propriété, la ré»putation, la vie, si le sentiment de l'obligation >> religieuse n'étoit plus joint aux sermens qui sont » une des bases des décisions dans les tribunaux ? » N'admettons qu'avec restriction la supposition » qu'on peut conserver la morale sans religion. >> Quelque 'confiance qu'on puisse accorder à l'in>>fluence d'une éducation soignée sur les esprits » d'une certaine trempe, la raison et l'expérience »> nous défendent toutes deux de nous flatter que » la morale puisse avoir de la force en excluant » les principes religieux. »

Si l'auteur de cet ouvrage eût appartenu à la religion catholique, le tableau qu'il nous donne des bienfaits du christianisme, eût été encore plus riche de détails, et plus varié, C.....

HISTOIRE, VOYAGES, POLITIQUE,

MŒURS, EDUCATION.

X V.

Détails sur les mœurs des Grecs, des Arabes et des Turcs, par M. DE CHATEAUBRIAND (1).

E

Je m'embarquai à Trieste le 1er août 1806. Nous sortimes rapidement de la mer Adriatique. Le 8, nous découvrîmes Skérie ( Corfou ) et Buthrotum, qui rappellent deux des plus belles scènes de l'Odyssée et de l'Enéide. Nous reconnûmes le rocher d'Ithaque. J'aurois bien voulu y descendre, pour visiter le jardin de Laërte, la cabane d'Eumée, et même le lieu où le chien d'Ulysse mourut de joie en revoyant son maître.

Nous dépassâmes les îles de Zanthes et Céphalonie; et le 10 au matin, les montagnes de l'Elide se formèrent dans l'horison du Nord. Le 11, nous jetâmes l'ancre devant Modon, l'ancienne Mothone, près de Pylos. Je saluai les rivages de la Grèce; et la chaloupe du bâtiment me porta aux pieds des murs de Modon. J'entrai dans cette ville délâbrée. Lorsque j'apperçus les Turcs armés et assis sous des espèces de tentes au milieu des rues, je me rappelai la belle exa pression de mon noble ami M. de Bonald, les Turcs sont campés en Europe. Cette expression est vraie sous tous les rapports, et dans toutes les acceptions.

(1) On sait que M. de Châteaubriand, occupé d'un ouvrage qui doit servir comme de preuve au génie du christianisme, a voulu reconnoître par lui-même les lieux où il place ses personnages tel a été l'objet du voyage auquel on doit les détails qu'on va lire.

Je continuai mon voyage par terre.

Je ne vis dans le Péloponèse qu'un pays en proie à ces Tartares débauchés qui se plaisent à détruire à la fois les monumens de la civilisation et des arts, les moissons même, les arbres et les générations entières. Pourroit-on croire qu'il y ait au monde des tyrans assez absurdes et assez sauvages pour s'opposer à toute amélioration dans les choses de première nécessité? Un pont s'écroule, on ne le relève pas; un homme répare sa maison, on lui fait une avanie. J'ai vu des capitaines grecs s'exposer au naufrage avec des voiles déchirées, plutôt que de racommoder ces voiles: tant ils craignoient de faire soupçonner leur aisance et leur industrie!

De Modon, je me rendis à Coron, sur le golfe de Messénie. Je traversai ce golfe; je remontai le long du Pamissus. J'entrai dans l'Arcadie par un des Hermæum du mont Lycée, je passai à Mégalopolis, ouvrage d'Epaminondas, et patrie de Philopémen; j'arrivai à Tripolizza, cité nouvelle dans le valon de Tégée, au pied du Ménale. Je revins sur mes pas pour visiter Sparte, le Taigète, et la vallée de la Laconie. De là, je pris le chemin d'Argos par les montagnes je contemplai tout ce qui reste de la ville du roi des rois; je m'arrètai à Mycènes et à Corinthe. En passant l'isthme par les monts Géraniens, je vis un aga blesser un grec d'un coup de carabine, et lui faire donner cinquante coups de bâton pour le guérir (1).

(1) Nous rapporterons ici quelques traits semblables tirés d'un autre article du même écrivain, qui feront mieux connoître le despotisme turc, ou plutôt l'affreuse anarchie qui fait un despote de chaque musulman. En vain, dans le Péloponnèse, on veut se livrer aux illusions des Muses: la triste vérité vous poursuit. Des

Je descendis à Mégare et à Eleusis; je séjournai quelque temps à Athènes; et disant enfin un éter

loges de boue desséchée, plus propres à servir de retraite à des animaux qu'à des hommes ; des femmes et des enfans en haillons, fuyant à l'approche de l'étranger et du janissaire; les chèvres mêmes effrayées se dispersant dans la montagne, et les chiens restant seuls pour vous recevoir avec des hurlemens voilà le spectacle qui vous arrache au charme des souvenirs. La Morée est déserte : depuis la guerre des Russes, le joug des Turcs s'est appésanti sur les Moraïtes; les Albanais ont massacré une partie de la population; on ne voit de toutes parts que des villages détruits par le fer et par le feu; dans les villes, comme à Mistra, des faubourgs entiers sont abandonnés ;* nous avons souvent fait quinze lieues dans les campagnes, sans rencontrer une seule habitation. De criantes avanies, des outrages de toutes les espèces, achèvent de détruire dans la patrie de Léonidas l'agriculture et la vie. Chasser un paysan grec de sa cabane, s'emparer de sa femme et de ses enfans, le tuer sur le plus léger prétexte, est un jeu pour le moindre aga du plus petit village. Le Moraïte, parvenu au dernier degré du malheur, s'arrache de son pays, et va chercher en Asie un sort moins rigoureux; mais il ne peut fuir sa destinée : il retrouve des cadis et des pachas jusque dans les sables du Jourdain et les déserts de Palmyre....

Les monumens n'ont pas moins à souffrir que les hommes de le barbarie ottomane. Un épais Tartare habite aujourd'hui la citadelle remplie des chef-d'œuvres d'Ictinus et de Phidias, sans daigner demander quel peuple a laissé ces débris, sans daigner sortir de la masure qu'il s'est bâtie sous les ruines des monumens de Périclès. Quelquefois seulement le tyran-automate se traîne à la porte de sa tanière : assis les jambes croisées sur un sale tapis, tandis que la fumée de sa pipe monte à travers les colonnes du temple de Minerve, il promène stupidement ses regards sur les rives de Salamine et la mer d'Epidaure. Nous ne pourrions peindre les divers sentimens dont nous fûmes agités, lorsqu'au milieu de la première nuit que nous passâmes à Athènes, nous fûmes réveillés en sursaut par le tambourin et la musette turque, dont les sons discordans partoient des combles de Propylées; en même temps un prêtre musulman chantoit en arabe l'heure passée à des Grecs chrétiens de la ville de Minerve. Ce derviche n'avoit pas besoin de nous marquer ainsi la fuite des ans, sa voix seule dans ces lieux annonçoit assez que les siècles s'étoient écoulés.

Cette mobilité des choses humaines est d'autant plus frappante

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