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leurs moyens, l'extravagance de leurs systèmes et de leurs enseignemens. Déjà plusieurs écrivains ont rempli cette tâche, et ont considéré la philosophie sous plusieurs des rapports que nous avons indiqués; mais il reste encore à moissonner dans ce vaste champ; et un historien judicieux, un logicien exact, un critique exercé, peuvent encore y trouver matière à déployer leur sagacité et leur zèle.

Tel a sans doute été le but de M. Berthre de Bourniseaux. Eclairé sur la fausseté de la philosophie, il l'a envisagée sous un nouveau point de vue, et s'est proposé de prouver que les philosophes anciens et modernes avoient été guidés par les mèmes passions,et étoient tombés dans les mêmes erreurs; que ceux-ci n'avoient guère fait que réchauffer les vieilles opinions de ceux-là; que les abstractions des uns et les hypothèses des autres, les formes occultes des premiers et les cosmogonies des seconds étoient également inadmissibles; et qu'enfin ils n'avoient tous été que des charlatans dignes de risée et de mépris, et des fous qui, après s'être aveuglés, avoient voulu aveugler les autres. On voit que son plan est de comparer successivement les philosophes les plus fameux des temps anciens et ceux des temps modernes. Dans la partie de son ouvrage qui vient d'être publiée, il met en parallèle Pythagore et Diderot, Anaxagore et La Mettrie, Chrysippe et Cardan, Pyrrhon et Boulanger, Epicure et Rousseau. Je ne sais, je l'avoue, si ces philosophes sont tous bien assortis, et si les rapports que l'auteur établit entr'eux sont également justes et frappans. Il me semble, par exemple, que Pythagore n'est pas trèsbien accolé avec Diderot , et je ne vois pas

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que la ressemblance entr'eux soit parfaite. Si les dogmes du premier sont singuliers, ceux du second sont bien autrement bizarres. L'un fit quelques lois sages, l'autre n'inventa que des systèmes pernicieux. Le philosophe de Crotone ne chercha point à tout renverser pour assurer son pouvoir. Le fondateur de l'Encyclopédie ne fut qu'un fou qui dans les accès continus de sa fièvre chaude, s'en alloit frappant de droite et de gauche les institutions divines et humaines, détruisant tout sans rien mettre à la place. Celui-là laissa une mémoire honorée, et il est regardé encore aujourd'hui comme un des hommes les plus estimables qu'ait pu produire la vaine philosophie des anciens. La réputation de celui-ci est bien différente; et il est reconnu que la philosophie moderne n'a point enfanté d'adepte plus déréglé dans son imagination, plus inintelligible dans son bavardage, plus outré dans son style déclamatoire, plus mobile et plus tranchant à la fois dans sa doctrine. Que sera-ce, si l'on compare les résultats de leurs leçons? L'enseignement de Pythagore produisit quelques bons effets, ainsi que M. Berthre lui-même en convient. Que nous ont valu, au contraire, les chimères, l'emphase et les invectives de Diderot? Elles ont séduit des esprits crédules, elles ont fait germer dans des têtes ardentes de folles théories et de dangereux projets, elles ont contribué aux bouleversemens dont nous avons été les tristes témoins,

M. Berthre ne me paroît pas avoir traité cette partie de son sujet avec l'étendue convenable. Il a donné cent trente pages à l'examen de la philosophie de Boulanger, et quinze ou seize à celui des ecrits de Diderot; et il fonde cette disproportion sur ce que Boulanger a beaucoup plus de partisans que

le second. J'oserois croire le contraire. L'érudition indigeste d'un écrivain qui se perd sur les temps anciens dans des conjectures interminables, me semble moins propre à égarer et à pervertir, que la haine fougueuse et envenimée de celui qui en veut moins au passé qu'au présent, et dont le but étoit de détruire la religion, et d'élever sur ses ruines l'athéisme et l'immoralité; et quoique je ne pense pas que Diderot ait beaucoup de partisans, il en a sûrement encore plus que Boulanger, dont les écrits roulent sur des hypothèses vagues, et n'offrent ni le même sel à la malignité, ni le même attrait à la licence.

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M. Berthre eût donc dû, à mon gré, s'arrêter un peu plus sur le philosophe de Langres. Il eût trouvé dans ses nombreux écrits une source féconde de réflexions piquantes. Il l'eût vu tantôt déiste, tantôt pyrrhonien, plus souvent encore athée décidé, et toujours dogmatisant du ton le plus affirmatif, et prononçant ses décisions dans le style et avec le ton d'un oracle. Que n'a-t-il consulté l'édition de ses Œuvres, publiée en 1798 par un homme de lettres qui avoit été son élève, son ami et son coopérateur dans ses travaux philosophiques? Cette édition, faite, dit-on, avec beaucoup d'exactitude et de soin, lui eût présenté des ouvrages dignes d'exercer sa critique. Il ne se fût pas contenté alors d'extraire des Pensées philosophiques quelques sophismes insidieux, ou de se railler de quelques conjectures extravagantes tirées de l'Interprétation de la Nature; et tant d'autres écrits lui eussent paru mériter un article un peu plus long et une réfutation un peu plus soignée. Qui ne s'indigneroit en effet de voir un homme qui parle tant de morale et de vertu, passer son temps à composer des romans

aussi dangereux sous le rapport moral, que pitoyables sous le rapport littéraire ? L'éditeur luimême, tout admirateur qu'il est de son maître, blâme plusieurs détails révoltans de la Religieuse, et il convient que, pour la gloire de Diderot, il eût fallu jeter au feu les trois quarts de Jacques le fataliste, et que le goût et l'honnêteté exigeoient ce sacrifice. Si tel est son avis, malgré le culte qu'il rend à son maitre, on nous permettra bien d'être un peu plus difficiles encore, et de dire que pour la gloire de Diderot, il eût fallu jeter au feu les trois quarts de ses Œuvres. Il eût fallu y jeter tant de déclamations forcenées contre le christianisme, tant de prédications insolentes contre l'autorité, tant d'écrits pleins d'invectives et de fiel. Il eût fallu y jeler ces romans scandaleux, où il n'y a ni esprit ni goût, qui ne se traînent que sur des tableaux dégoûtans et sur des détails abjects. 'Il eût fallu y jeter ce Supplément au Voyage de Bougainville, où l'on prêche la corruption des mœurs, et où l'on fait l'apologie des plus honteux désordres. Il eût fallu sur-tout y jeter cette pièce fanatique, ce dithyrambe atroce, ces vers qu'aucune anecdote n'explique, qu'aucune circonstance n'excuse, qu'aucun sophisme ne sauroit justifier; ces vers qui resteront sans copie, comme ils sont sans modèle dans la langue française:

Et ses mains ourdiroient les entrailles du prêtre ,
A défant d'un cordon pour étrangler les rois.

Voilà les excès que M. Berthre eût pu signaler, et qui lui eussent fourni matière à des chapitres plus intéressans peut-être, et plus utiles que ceux qu'il a consacrés à l'examen de la doctrine de Pythagore.

Les deux philosophes qu'il met ensuite en regard, sont Anaxagore et La Mettrie, tous deux connus par des idées folles sur l'origine des choses. Mais le moderne a sans doute encore ici la palme. Il n'est pas fort étonnant qu'un ancien, qui ne voyoit rien de satisfaisant dans les divers écrits des philosophes, et qui n'étoit point éclairé des lumières de la révélation, ait imaginé des théories très-bizarres, sans doute, mais auxquelles il étoit difficile d'en substituer alors de beaucoup plus solides. La Mettrie n'a point une pareille excuse; et celui qui, au dix-huitième siècle, a pu faire l'homme machine et l'homme plante; celui qui nous fait pousser comme des champignons, qui dit que la terre ne produit plus d'hommes par la même raison qu'une vieille poule ne pond plus d'œufs, que les premiers hommes furent d'abord des plantes et des arbres dont l'organisatiou se perfectionna insensiblement, et que d'heureuses combinaisons leur donnèrent peu à peu des yeux et des oreilles; celui, dis-je, qui a rêvé ces absurdités et cent autres pareilles, est un fou, et un fou d'autant plus méprisable, que ses ouvrages respirent le libertinage et l'athéisme. Il avoit senti, comme plusieurs autres incrédules, que pour mieux séduire les esprits, il falloit corrompre les cœurs, et que pour extirper la croyance d'un Dieu, il étoit bon d'étouffer la pudeur et de justifier les vices tactique profonde, qui ne leur a que trop réussi, et qui, flatlant toutes les passions à la fois, se servoit de l'orgueil pour nourrir des penchans déréglés, et de ces penchans même pour accroitre et fortifier une orgueilleuse doctrine. M. Berthre dit que l'on croit généralement que La Mettrie, à la mort, revint à la religion de ses pères, et rétracta sincèrement ses erreurs. Je souhaite de tout mon

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