Imágenes de página
PDF
ePub

ficile qu'un dessein tont opposé puisse en produire

de semblables.

Quoi qu'il en soit, «Mahomet, continue M. de « La Harpe, représenté trois fois en 1741, d'abord ne produisit guère qu'un effet d'étonnement, et >> même, en quelque sorte, de consternation, sans » doute à cause de la sombre et triste atrocité de la » catastrophe. Il parut n'être entendu et senti qu'à » la reprise de 1751; et son succès a toujours aug» menté depuis que le grand acteur, qui devinoit >> Voltaire, eut révélé toute la profondeur du rôle » de Mahomet. >>

On avouera, sans peine, que le goût en France étoit formé en 1741, autant qu'il le fut dix ans après, et l'on n'attribuera pas à la sombre et triste atrocité de la catastrophe de Mahomet, le peu d'effet que trois représentations consécutives produisirent sur des spectateurs familiarisés depuis trente ans avec l'horrible catastrophe de la tragédie d'Atrée. Ici M. de La Harpe raisonne mal, parce qu'il raisonne en homme prévenu. Une tragédie qui ne pèche que par la catastrophe, n'en est pas moins applaudie dans tout le reste, sur-tout aux premières représentations, où l'on ne connoit pas encore le dénouement. La catastrophe de Mahomet ne parut ni moins triste, ni moins sombre, ni moins atroce en 1751; elle ne paroit pas meilleure aujourd'hui ; et M. de La Harpe, qui la condamne, n'en donne pas moins d'éloges au reste de la pièce.

Mais en 1741, le cardinal de Fleury gouvernoit encore; et ce ministre, sage administrateur plutôt que profond politique, avoit retardé, autant qu'il l'avoit pu, les progrès d'une philosophie dont il prévoyoit les funestes effets. Il y avoit encore en France, à cette époque, de la religion et des moeurs.

L'attachement aux principes qui avoient fait la force de notre patrie, aux vertus qui en avoient fait la gloire, vivoit encore dans le cœur des Français; et les germes de désordre que la Régence avoit déposés dans l'Etat, n'avoient pas eu le temps de porter leurs fruits. Le dessein de Voltaire, de rendre le christianisme odieux, ce dessein aperçu, comme l'avoue M. de La Harpe, et dont l'auteur s'étoit vanté dans la société, dut donc produire l'étonnement, et bientôt la consternation. Les hommes de goût furent étonnés de voir paroitre une tragédie philosophique qui blessoit les règles les plus autorisées, et s'éloignoit des modèles les plus accrédités, et les gens de bien furent consternés de l'audace d'une production irréligieuse, jouée en plein théâtre, et dûrent en tirer de sinistres présages. Il fut même défendu, par l'autorité supérieure, de jouer Mahomet ; et M. de La Harpe, qui dit que le zèle craignoit les fausses interprétations, oublie sans doute qu'on ne risquoit pas de donner une interprétation défavorable au dessein que Voltaire avoit eu réellement de rendre le christianisme odieux, à ce dessein qu'on avoit aperçu, et dont l'auteur lui-même étoit vanté,

En 1751, tout étoit changé. La religion, les mœurs, le goût, l'honneur national, la gloire même „ de nos armes alloient disparoître. Fleury avoit cessé de vivre, et la volupté avoit porté la Pompadour sur le trône; la flatterie lui érigeoit des autels; et bientôt une philosophie, ennemie de Dieu et des rois, se mit sous la protection de cette digne patronne.

Des doctrines qui flattoient les passions du peuple, devoient naturellement trouver accès auprès

d'une favorite tirée, pour la première fois, dest rangs obscurs de la société, et qui cherchoit à décorer d'un vernis de bel-esprit sa scandaleuse existence. Voltaire, qui n'eut jamais de prétentions à cette noble indépendance, dont on a voulu lui faire honneur, impitoyable censeur des plus petits abus de la religion, vil flatteur des grandes corruptions des cours, encensoit l'idole qui faisoit le succès des ouvrages et la fortune des auteurs ; et en même temps qu'il adressoit des épitres dédicatoires à l'ignoble maîtresse d'un maître avili (1), il livroit à la plus grossière diffamation la mémoire honorée de l'héroïne de la France, de la femme forte qui avoit attaché la gloire de son nom, de son courage et de sa fin, à l'événement le plus merveilleux de nos annales. Chose digne de remarque, que tandis qu'un parti de gens de lettres travailloit à abaisser devant nos rivaux le génie politique et littéraire de la France, il eût commencé par couvrir d'un ridîcule ineffaçable la fille valeureuse qui avoit le plus efficacement contribué à sauver la France du joug de l'Angleterre !

Mahomet fut donc entendu et senti, comme dit M. de La Harpe, à la reprise de 1751, et cela devoit être. Ce succès même fait époque dans l'histoire des progrês de la philosophie du dix-huitiême siècle : et c'est en effet du milieu de ce siècle que date notre dépravation politique (2) et reli

(1) Voltaire se tire assez mal de la dédicace de Tancrède à madame de Pompadour. Il commence par alléguer l'exemple de Crébillon, il insiste beaucoup sur sa reconnoissance, et se sauve à travers une longue discussion littéraire.

(2) Le Contrat-Social parut en 1752; l'Encyclopédie commença dans le même temps:

Ex illo fluere ac retro sublapsa referri,

Gallia.

,

gieuse. Le succès de Mahomet ne fit qu'augmenter, et cela devoit être encore. On sut gré alors à Voltaire, on lui a su gré depuis, du dessein qu'il y avoit caché de rendre le christianisme odieux, ce dessein qu'on avoit aperçu, même avant qu'il s'en fút vanté. Les mauvais principes en morale produisirent le mauvais goût en littérature; et si ce grand acteur qui avoit deviné Voltaire, fit sentir toute la profondeur du rôle de Mahomet tandis qu'à une époque où le goût étoit moins exercé, on n'avoit pas eu besoin d'un acteur extraordinaire pour sentir toute la profondeur des rôles d'Acomat, d'Agrippine, de Cléopâtre, et que les spectateurs avoient, sans son secours, deviné Corneille et Racine, c'est que le caractère d'un charlatan hypocrite se montre beaucoup moins par des paroles que par le geste et le maintien, et qu'il doit beaucoup plus au jeu de l'histrion qu'au génie du poète. B... d.

XIII.

Sur un ouvrage intitulé: Le Charlatanisme philo. sophique de tous les âges, dévoilé par M. BERTHRE DE BOURNISEAUX.

L'EXAMEN de la philosophie du dix-huitième siècle est une mine inépuisable où de nouvelles fouilles peuvent procurer sans cesse de nouvelles découvertes, pourvu que l'on connoisse le terrain, que l'on procède avec méthode, et que l'on sache

creuser à une certaine profondeur. Tantôt on se proposera de faire l'histoire des philosophes, de dévoiler leurs vices, leur orgueil, leur perfidie, leurs intrigues, leurs complots, et de les montrer démentant leur doctrine par leur conduite, atténuant leur témoignage par leurs calomnies, et donnant, par leurs provocations séditieuses, la mesure de l'esprit de paix, de modération et d'humanité dont ils se prétendoient animés. Tantôt on fera l'histoire de la philosophie elle-même, de ses progrès, de l'influence pernicieuse qu'elle a également eue sur les lettres et les moeurs. L'un rassemblera toutes les absurdités, toutes les impostures semées dans les écrits des ennemis du christianisme; l'autre fera ressortir les nombreuses contradictions où ils sont tombés. Celui-ci discutera pied à pied leurs principes, et les renversera par les armes de la logique et du raisonnement; celui-là les combattra par les traits de la raillerie, et les couvrira de ridicule.

Toutes ces méthodes peuvent être bonnes et victorieuses, selon les connoissances et les talens de ceux qui les emploient, et il en peut toujours résulter des leçons utiles et des instructions salutaires. Leur but commun doit être de dévoiler cette philosophie trompeuse, qui en impose par le faste de ses belles paroles, par l'étalage de ses beaux sentimens, par l'affectation de ses belles maximes, mais dont les belles paroles ne savent ni dissiper nos ténèbres ni consoler notre misère; dont les beaux sentimens sont tout en paroles, et sont parlà même stériles en effets; dont les belles maximes ont si souvent caché des projets perfides et couvert de noirs complots. Il importe de démasquer de plus en plus ses sectateurs, et de prouver l'adieux de

« AnteriorContinuar »