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dres des palais et celles des chaumières. Cependant les sages délibéroient, les droits de l'homme sous les yeux. Mais la philosophie n'a de lumières que pour détruire; elle n'en a point pour édifier. Non moins étonnée que furieuse de son impuissance, en vain elle multiplioit les essais; en vain elle punissoit les hommes de la résistance que lui opposoit la nature des choses. Lasse enfin de l'ignorance et de la cruauté de ses maîtres, cette nation, créée pour l'erreur et pour l'esclavage (1), a brisé le joug de la liberté; elle s'est rejetée dans le sein de la religion et de la monarchie. Quelques cris qui se font encore entendre ne troublent point le repos dont elle jouit; elle reconnoît la voix des sophistes qui l'ont égarée; le fruit de ses malheurs est de mépriser leurs doctrines et leurs promesses. P. P.

I X.

Le Dix-huitième Siècle.

DANS les Euvres posthumes du roi de Prusse, tome XI, il est dit, à l'occasion du livre d'Helvétius, de l'Homme et de son Education: « J'af lu » Helvétius, et j'ai été fâché, pour l'amour de lui, » qu'on l'ait imprimé; il n'y a que des paradoxes » dans son livre, des folies complètes.... Bayle » l'auroit envoyé à l'école pour étudier les rudi» mens de la logique; et cela s'appelle des philo»sophes? oui! à la manière de ceux que Lucien a » persifflés; notre pauvre siècle est d'une stérilité

(1) Pag. 149.

» affreuse en grands hommes comme en bons ou>> vrages. Du siècle de Louis XIV, qui fait honneur » à l'esprit humain, il ne nous reste que la lie, et » dans peu il n'y aura rien du tout. »

Voilà pourtant ce que pensoit du dix-huitième siècle un roi philosophe, et prôné par la philosophie aussi long-temps qu'il la protégea; mais on pourroit dire que ces paroles sont échappées à Frédéric dans un accès d'humeur. Et comment concevoir en effet qu'il ait pu sérieusement traiter si mal un siècle qui a eu la gloire de donner le jour à l'homme machine? Eh bien, nous consentons à ne pas nous en rapporter au jugement de celui que le philosophisme appela néanmoins le Salomon du Nord: discutous la chose par rapport à la France.

Parcourez l'histoire de la monarchie au dix-huitième siècle, depuis la régence jusqu'à cette époque à jamais fameuse, où une secousse extraordinaire, imprimée à tous les esprits, mit en fermentation tous les germes de bien et de mal qui sont dans l'homme, fit voir à côté de la plus incroyable scélératesse les plus sublimes vertus, et fit éclater au sein de la bassesse la plus profonde des talens oratoires et militaires dignes des plus beaux temps: que trouvez-vous depuis la mort de Louis XIV jusqu'à l'époque de la révolution, c'est-à-dire, dans un espace de soixante-quinze ans ? Où sont les capitaines comme Condé, les orateurs comme Bossuet, les tragiques comme Corneille, les comiques comme Molière, les fabulistes comme Lafontaine, les philosophes comme Descartes, les savans comme Mabillon? Dans le période de temps dont nous parlons, qu'a-t-on imaginé, exécuté de grand, d'honorable à la nation? Quels sont les monumens de sa gloire? Les vices les plus hideux se montrant sans

voile sous le gouvernement provisoire de celui que Louis XIV avoit appelé un fanfaron de vices le sceptre avili par la crapule, et du sein de la débauche passant dans les mains de la foiblesse ; des guerres honteusement soutenues, et plus honteusement terminées; une suite de ministres ou perfides, ou incapables ; des magistrals devenus persécuteurs, parce qu'ils avoient la manie de faire les théologiens; une horde de sophistes faisant la guerre au ciel, pour mieux préparer les maux de la terre: voilà ce que présente l'histoire à l'époque dont il s'agit. Si les champs de Fontenoi, et le pacifique ministère du sage Fleury, ne rappeloient la France au lecteur, il la chercheroit en vain durant la plus grande partie du siècle qui vient de s'écouler,

Loin de nous l'injustice de méconnoitre les progrès des sciences, et de contester à quelques écrivains distingués les rares talens qu'ils avoient reçus de la nature; mais le temps est venu de juger sévèrement le dix-huitième siècle, de le peser dans la balance de l'incorruptible vérité, de mettre à leur place cette multitude de beaux esprits qu'il a vù naítre, et qui se croyoient tous de grands hommes, parce qu'ils s'appeloient philosophes. Trop longtemps on nous a fatigués des éloges, étourdis de l'autorité de ces prétendus génies, dont la plupart ne eront connus dans cinquante ans que des seuls érudits; et que sont-ils devant les puissans génies du siècle de Louis XIV ? ce sont des lampes qui s'effacent devant les clartés du jour.

Quatre écrivains ont jeté un éclat extraordinaire dans le cours du dix-huitième siècle; ils doivent être classés à part, être seuls au premier rang; je veux parler de Voltaire, Montesquieu, JeanJacques Rousseau et Buffon. Sans doute la reli

gion indépendante des vaines opinions comme des révolutions des temps, après tant de siècles d'existence et de triomphes, n'avoit besoin ni des suffrages de l'auteur de l'Esprit des Lois, ni de ceux du peintre de la nature; mais enfin on doit observer que si l'un et l'autre ont eu des torts, l'un et l'autre aussi ont rendu dans leurs écrits et par leur conduite les hommages les plus solennels au christianisme, et que l'impiété n'a pas le droit de les compter parmi ses apôtres. Quant à Jean-Jacques, disons à sa gloire qu'il mérita d'encourir la haine des athées par son attachement inviolable à ces premiers dogmes sans lesquels il n'est ni morale ni société; mais aussi disons à sa honte que, dominé, pour ainsi dire, ainsi dire, tour-à-tour par deux génies contraires, il répandit le mensonge comme la vérité; qu'il poussa l'orgueil jusqu'à la manie, le paradoxe jusqu'à l'extravagance, l'oubli des bien. séances jusqu'au cinisme le plus révoltant. Malheur à l'écrivain qu'il est impossible d'estimer après l'avoir lu! Que lui sert-il d'avoir été original, nerveux, éloquent? Tout cela peut éblouir une jeunesse inconsidérée qui cherche par-tout l'apologie de ce qui la flatte et l'enchante; mais ne doit-on pas avant tout chercher l'honnête homme dans l'écrivain? Lisez les Confessions de Saint Augustin, vous ne pourrez vous empêcher de le plaindre, de l'aimer, de prendre à son sort l'intérêt le plus vif et le plus tendre; on gémit avec lui quand il se débat dans les chaînes de la volupté: avec lui on s'assied et l'on pleure sous l'arbre solitaire qui voit couler les larmes abondantes de son repentir; avec lui on se réjouit, on triomphe, lorsqu'après tant d'efforts il goûte enfin la paix et la liberté de la vertu. Comme tout dans lui décèle une belle ame!

Comme il est affectueux et délicat dans son amitié! Comme il est touchant dans tout ce qu'il nous dit de Monique sa mère! « J'avoue, dit-il, que je >> reçois une très grande consolation de ce que >> même, dans sa dernière maladie, elle se louoit >> si fort de mes soins et de mes devoirs, et té» moignoit de les avoir si agréables, qu'elle me >> nommoit son bon fils, et disoit avec des senti>> mens de tendresse tout extraordinaires, qu'elle » n'avoit jamais entendu sortir de ma bouche la >> moindre parole qui pût lui déplaire. Mais, mon » Dieu, qui nous avez créés, quelle comparaison » y avoit-il entre les respects que je lui rendois » et les soins extrêmes qu'elle avoit de moi ? et » ainsi, parce qu'en la perdant je perdois une si >> grande consolation, mon ame demeuroit bles»sée, et je sentois comme déchirer cette vie com» posée de la sienne et de la mienne qui aupara>> vant n'en faisoient qu'une.» Si vous lisez les Confessions de J-J., quelle idée rapporterez-vous de ce philosophe? En admirant l'écrivain pourriezvous vous empêcher de mépriser l'homme, et de vous indigner contre l'impudence du personnage qui veut orgueilleusement mettre le genre humaiņ dans la confidence de ce qu'il a fait de plus vil et de plus abject? C'est par un sentiment d'abnégation sublime qn'Augustin révèle ses foiblesses; c'est par un excès d'orguefl que J.-J. entretient ses lecteurs de ses criminelles turpitudes, et le premier est autant au-dessus du second, que l'héroïsme de la vertu est au-dessus des bassesses du vice.

Que dirons-nous du patriarche de la philosophie moderne? Qu'il soit l'égal des beaux génies qui l'ont précédé ou qu'il vienne après eux, c'est là un point de critique que nous ne discuterons

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