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» voit plus ami de la liberté, de l'industrie et de » l'humanité. »

Je ne m'arrête point à relever l'impertinence du rhéteur philosophe, qui vient, après deux siècles, calomnier la mémoire d'un grand magistrat, et mettre dans le secret de son coeur les maximes qu'il n'a pu mettre dans sa bouche: ce sont les maximes elles-mêmes qu'il importe de réduire à leurs véritables conséquences. Il me semble qu'on abuse étrangement des termes, quand on prend le mot religion dans le sens que lui donne ici M. de Guibert. Une religiou peut-elle être autre chose que la parole de Dieu ? Et si Dieu a parlé, quel est ce devoir des gouvernemens d'accommoder sa parole au plus grand bonheur des hommes ! Hommes d'Etat, daigne znous répondre: s'agit-il d'une religion véritablement descendue du Ciel ? Elle est donc inaltérable dans ses dogmes, inflexible dans sa morale, invariable dans son culte; rien n'y périt, rien ne s'y introduit; seule immobile dans le mouvement de toutes les choses humaines, elle a précédé les gouvernemens qu'elle consacre, parce qu'ils sont accommodes eux-mêmes aux desseins de son auteur. Philosophes, une telle religion brave également votre protection et vos insultes; vous pourriez être ses instrumens aveugles, mais elle ne sauroit être le vôtre : son autorité l'emporte sur vos vaines législations; car vous n'avez ni espérances, ni craintes à opposer à celles qu'elle inspire.

S'agit-il d'une religion née sur la terre, et fabriquée de la main des hommes ? dans celle-là, je l'avoue, le principe de la perfectibilité est inépuisable; il vous sera permis d'y ajouter, d'en retrancher, pour le plus grand bonheur du gere

humain, Les vérités surannées feront place aux vérités contraires; et dans la balance des devoirs, les mesures et les poids s'accommoderont aux circonstances. A l'aide du temps, rien ne manquera à votre religion: si ce n'est d'être une religion, ce sera, si vous voulez, une constitution religieuse de la même nature que ces constitutions politiques dont les perfectionnemens rapides ont fatigué nos hommages; elle aura la même solidité, placera les gouvernemens sur la même base, et liera les peuples du même lien. On peut tromper les hommes sans doute; on peut même en les trompant, y négliger beaucoup de précautions; mais il ne faut cependant pas les mépriser au point de les avertir qu'on les tronipe.

Plus on réfléchit sur la doctrine philosophique appliquée aux grands intérêts de l'humanité, plus on s'assure qu'elle contient tous les genres d'anarchie, et plus on est frappé aussi de ce qu'elle renferme de sottise et d'inconséquence. Quoi de plus absurde en effet que de confondre deux choses aussi prodigieusement différentes que le sont la religion et la législation? Si la première n'est rien de plus qu'une partie de la seconde, pourquoi l'en distinguer par le mensonge d'un vain nom? Ou M. de Guibert emploie des mots vides de sens, ou il veut que les gouvernemens se servent de ce nom sacré pour donner à leurs actes le caractère de l'autorité divine. Cela est très-philosophique, j'en conviens; mais il s'élève une difficulté, qui est de choisir dans le corps des vérités religieuses, c'est-àdire révélées, celles qu'il sera nécessaire de maintenir, et celles qui seront accommodées au plus grand bonheur des hommes. Et quand le législateur philantrope a sanctionné les unes et modifié les autres, une difficulté plus grande se présente:

sur quel fondement reposent les vérités conservées, après que Dieu a été convaincu de négligence ou d'erreur? Certes, il étoit réservé à des philosophes d'appuyer l'édifice de leur religion perfectionnée, sur l'hypothèse que la parole de Dieu est soumise à la censure de leur sagesse. Ils ignorent donc que c'est la foi qui est le ressort religieux tout entier, et qu'il est brisé, si la religion est abaisséee au niveau de l'orgueil humain. Dégradée de son origine céleste, elle ne subsiste pas même comme instrument d'hypocrisie politique, puisque l'hypocrisie suppose la croyance.

M. de Guibert traite plus sévèrement la monarchie. Dans l'Eloge de Catinat, il observe encore autant de mesure que l'Académie vouloit elle-même en garder: les attaques sont détournées ou enveloppées de termes généraux, ou dissimulées sous la forme oratoire du doute. C'est avec quelque précaution, par exemple, qu'il se demande « si la » chose publique peut être admise dans la langue » d'un pays qui n'est pas républicain »: c'est à l'aide d'un peut-être, qu'il présente l'autorité paternelle «< comme la seule qui soit commandée par » la nature, et sur laquelle la pensée puisse s'ar>> rêter avec douceur. » Il étoit difficile d'ailleurs, de mettre dans la bouche d'un homme si simple et si modeste les leçons arrogantes de la philosophie; et quand il arrive à M. de Guibert de les déclamer avec son emphase accoutumée, il avoue qu'il s'écarte de son sujet. Intimidé par son héros, il n'ose faire parler que sa cendre (1). L'Eloge de l'Hospital est entièrement exempt de cette pusillanimité, quoique sans cesse l'ame de l'orateur retombe sur elle

(1) J'ai interrogé ta cendre, et ta cendre m'a répondu. Pag. 93.

méme, accablée du poids de ses chaînes. Non-seulement les principes de la monarchie sont ceux de l'intolérance et du despotisme (1); non-seulement la gloire y est souillée de servitude (2), mais les devoirs de l'amitié et de la reconnoissance y sont plus immédiats et plus positifs que celui de la fidélité à la patrie et au prince (3). Le père du chancelier de l'Hospital étoit attaché au connétable de Bourbon en qualité de médecin et de conseiller, Lorsque la révolte de ce prince éclate, il se trouve placé dans la cruelle alternative d'abandonner son maître, son bienfaiteur fugitif et proscrit, ou de renoncer pour toujours à sa patrie. « L'Hospital, » dit M. de Guibert, fut combattu, gémit, et suivit » le duc. Ses biens? Il les tenoit de lui. Sa patrie? » Il se devoit à elle sans doute; mais ce lien, si sa» cré dans une république, a-t-il les mêmes droits » dans une monarchie ?»

Il est étrange sans doute que ce fût là le langage avoué d'un officier qui devoit à la monarchie et à la faveur particulière du monarque de n'être pas un soldat perdu dans la foule; il est plus étrange encore que les graces de la cour et les honneurs académiques aient été à la fois sa récompense. Il a cependant ici le mérite de la candeur, et son nom est la seule autorité de ses paroles; mais il est coupable d'une insigne lâcheté, lorsqu'il se met à l'abri d'un nom révéré pour précipiter son pays dans l'abyme des révolutions. Voilà les sentimens que M. de Guibert ose attribuer à l'Hospital, à ce grand homme d'Etat, qui eut le plus rare de tous les cou (1) Pag. 208. (2) Pag, 247. (3) Pag. 120.

rages, celui de la modération entre des partis furieux :

« L'Hospital pensoit que les états - généraux » étoient le véritable conseil de la nation, le pal» ladium de ses droits, la ressource qui pouvoit » un jour tout réparer en tout bouleversant. C'étoit » une grande pensée que celle-là, et qui conte»noit le germe de bien d'autres.... Voilà ce que » prévoyoit l'Hospital deux siècles avant nos jours; >> et cela, par la seule force de son génie, qui avoit >> calculé ce que deux siècles n'ont encore appris » qu'à un petit nombre de citoyens, etc. » (1)

Il y auroit une extrême simplicité à prouver sérieusement que l'Hospital, en convoquant les états-généraux, n'eut jamais le projet insensé de préparer le bouleversement de la France. M. de Guibert avoit trop d'esprit pour le croire, et même pour espérer qu'on le croiroit; il obéissoit à une des lois de la composition philosophique, qui prescrit d'employer à propos le mensonge, comme précaution oratoire. Il ne s'agit donc ici ni de l'Hospital, ni de ce qu'il a pensé en effet : l'orateur a seulement voulu tempérer, par une adroite imposture, l'éclat trop vif de cette grande pensée, qu'il falloit tout bouleverser pour tout réparer.

M. de Guibert s'écrie, quelques lignes plus bas : « Aveugle et légère nation! A-t-elle jamais formé » de système, de plan, de vou seulement, avec » quelque suite? A-t-elle jamais tenté d'améliorer >> sa condition ? »

Oui, M. de Guibert, elle l'a tenté; et pour tout réparer, elle a tout bouleversé. Le fer et le feu ont dévoré les résistances; le sang a ruisselé de toutes parts; un incendie universel a confondu les cen(1) Pag. 147 et suiv.

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